Non, le CO2 n'est pas "avant tout" un engrais pour les plantes selon une nouvelle étude

Depuis la révolution industrielle, le CO2 émis par les activités humaines s'est ajouté au CO2 produit naturellement par les écosystèmes, augmentant la concentration de dioxyde de carbone dans l'atmosphère, entraînant le dérèglement climatique, établi par la communauté scientifique internationale. Pourtant, des publications très partagées sur les réseaux sociaux en juin 2024 mettent en avant les effets de fertilisation du CO2, s'appuyant sur des articles scientifiques, assurant que le CO2 serait "avant tout" un engrais. Elles y voient la preuve qu'il est inutile de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre et remettent en cause le consensus scientifique qui appelle à lutter contre le réchauffement. En réalité, cet effet fertilisant diminue avec le temps et est loin d'être suffisant pour compenser les émissions dues à l'activité humaine et le rythme d'augmentation du CO2 dans l'atmosphère terrestre, qui accélèrent le réchauffement climatique, ont souligné plusieurs spécialistes à l'AFP.

"Etude : plus de C02 et de chaleur ont rendu le monde plus vert au cours des 40 dernières années", indique le titre d'un article dont une capture d'écran a été relayée à plusieurs milliers de reprises par plusieurs comptes sur X (ici, ), sur Facebook, sur Telegram et sur des blogs depuis le 1er juin par des internautes basés en France mais aussi au Québec.

"Le CO2 est avant tout un engrais favorisant la croissance des plantes. C'est ce que montre également une étude récemment publiée. Le monde devient en réalité plus vert, ce qui entraîne également une baisse des températures de surface. Les théories apocalyptiques absurdes de la secte climatique sont continuellement réfutées", poursuit le texte.

<span>Capture d'écran prise sur X, le 10/06/2024</span>
Capture d'écran prise sur X, le 10/06/2024

Attention : ces publications utilisent des arguments trompeurs régulièrement mis en avant pour tenter de prétendre qu'il n'est pas utile de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Mais comme l'ont expliqué des experts interrogés par l'AFP, ces raisonnements occultent de mentionner les limites de la fertilisation par le carbone, et des experts déjà interrogés par l'AFP mettent en avant des recherches plus récentes révélant un ralentissement du verdissement.

CO2 et verdissement

Le CO2 est un gaz dit "naturel" participant entre autres au fonctionnement de notre organisme. Il n'est pas considéré comme un polluant et n'est pas dangereux en tant que tel, mais lorsque sa concentration dans l'atmosphère est élevée, il contribue au réchauffement de la planète au même titre que le méthane ou le protoxyde d'azote qui sont, eux aussi, des gaz à effet de serre (GES).

L'impact sur les végétaux d'un apport plus important de dioxyde de carbone (CO2) a été largement mesuré par les scientifiques, notamment via l'étude d'un mécanisme clé : la photosynthèse.

Cette dernière correspond au processus à travers lequel les plantes utilisent l'énergie du Soleil pour "fabriquer de la biomasse en piégeant le CO2 présent dans l'atmosphère", illustre Nicolas Viovychercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l'Environnement (LSCE–IPSL), le 5 juin à l'AFP.

En d'autres termes, les plantes utilisent l'énergie du Soleil, le CO2 et d'autres nutriments pour fabriquer des sucres, qui sont leur nourriture et leur permettent de grandir - c'est ce qui est parfois nommé "effet fertilisant" ou effet "verdissant" du CO2.

Grâce à ce processus, les plantes fixent le carbone de l'air dans leurs feuilles, leurs tiges et leurs racines, créant ainsi ce qui est communément connu sous le nom de "puits de carbone naturels" dans lesquels le carbone est stocké.

Et en ce sens, "il est vrai que le CO2 a un effet fertilisant sur les plantes", note Nicolas Viovy, qui ajoute néanmoins que "le problème est que le CO2 est un gaz à effet de serre en même temps", ce qui fait qu'il participe en parallèle au réchauffement du climat, et qui n'est pas mentionné dans les publications sur les réseaux sociaux.

Contrairement aux publications qui prétendent que les émissions de CO2 et leurs effets de verdissement sur les plantes seraient ainsi une bonne nouvelle pour le climat, "on a plutôt tendance à voir les plantes comme une solution pour tamponner les effets du réchauffement", ajoute Antoine Martinchercheur CNRS à l'Institut des sciences des plantes à Montpellier auprès de l'AFP le 10 juin.

"L'augmentation de CO2 dans l'atmosphère due aux émissions humaines induit de nombreux changements du climat qui sont néfastes pour la végétation. Les émissions de CO2 d'origine humaine sont la principale cause du réchauffement global observé, et des impacts qui y sont associés", explique aussi Sonia Seneviratne, professeure en sciences climatiques à l’école polytechnique fédérale de Zurich, le 6 juin à l'AFP.

Elle rappelle notamment que le Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), référence en matière de connaissances sur le climat, mentionne "clairement les effets négatifs du dérèglement climatique d'origine humaine induits par l'augmentation des concentrations de CO2 dans l'atmosphère pour les écosystèmes" dans son dernier rapport (lien archivé ici).

Parmi ces effets négatifs attribués au réchauffement, le Giec cite notamment "l'augmentation régionale de la superficie brûlée par les incendies de forêt (jusqu'au double des niveaux naturels), la mortalité des arbres allant jusqu'à 20 % et le déplacement des biomes jusqu'à 20 km en latitude et 300 m en altitude", dans les "écosystèmes tropicaux, tempérés et boréaux du monde entier".

<span>Graphique montrant l'évolution de la concentration de CO2 avec et sans l'influence d'El Nino et La Nina, ainsi que la concentration de CO2 projeté en 2024 par rapport aux trois scénarios du Giec visant à limiter le réchauffement à 1,5°C</span><div><span>Julia Han JANICKI</span><span>Anibal MAIZ CACERES</span><span>AFP</span></div>
Graphique montrant l'évolution de la concentration de CO2 avec et sans l'influence d'El Nino et La Nina, ainsi que la concentration de CO2 projeté en 2024 par rapport aux trois scénarios du Giec visant à limiter le réchauffement à 1,5°C
Julia Han JANICKIAnibal MAIZ CACERESAFP

Affirmer comme le font les publications diffusées sur les réseaux sociaux que le CO2 est "avant tout un engrais favorisant la croissance des plantes" est ainsi grandement trompeur, selon les chercheurs interrogés par l'AFP - car cette lecture simpliste passe sous silence tous les autres effets, néfastes, liés à l'augmentation des émissions de CO2 sur le climat.

Des effets variables suivant les zones

Sur la capture d'écran diffusée sur les réseaux sociaux, figurent les mots "Report 24", ce qui permet de retrouver un article en allemand publié le 3 février 2023 sur un site portant ce nom -dont des contenus trompeurs, liés notamment à la pandémie de Covid-19, ont déjà fait l'objet d'articles de vérification de l'équipe germanophone de l'AFP (comme ici, ou ).

L'entrée sur ce site renvoie vers plusieurs articles scientifiques - dont le premier (archivé ici) a été publié en janvier 2023 dans la revue reconnue Nature Communications et est intitulé "Biophysical impacts of earth greening can substantially mitigate regional land surface temperature warming" ("Les effets biophysiques du verdissement de la Terre peuvent atténuer l'augmentation des températures régionales au sol").

Comme indiqué dans son résumé, l'article s'intéresse aux conséquences, notamment sur les températures locales, de changements dans la couverture végétale de certaines régions, à partir d'observations satellites sur le "verdissement" de la Terre.

Ce dernier est "principalement dû au changement climatique à grande échelle et aux effets fertilisants du CO2", indique l'article - qui ne remet ainsi aucunement en cause l'existence du changement climatique.

Il conclut qu'une augmentation de la couverture végétale a des conséquences différentes selon les régions, et peut, localement, contribuer à faire baisser la température.

De façon générale, l'augmentation de la couverture végétale a également pu réduire la température globale, mais très faiblement, notent les chercheurs dans l'article.

<span>Capture d'écran du résumé de l'étude, prise le 10/06/2024</span>
Capture d'écran du résumé de l'étude, prise le 10/06/2024

Cet article ne remet ainsi pas en cause le consensus scientifique sur le réchauffement climatique comme le sous-entendent les publications sur les réseaux sociaux, et s'intéresse plutôt à l'une de ses conséquences - l'augmentation du CO2 liée aux activités humaines - et son impact sur un point spécifique qui est le verdissement des plantes.

Comme le notent les auteurs de l'article, "les effets [de l'augmentation du CO2, NDLR] sont contrastés : dans les zones tempérées, il va effectivement y avoir un refroidissement, mais dans des zones tropicales, c'est l'inverse", souligne Nicolas Viovy.

Les spécialistes interrogés par l'AFP rappellent que le CO2 n'est pas le seul paramètre pouvant influer sur la croissance des plantes, celles-ci ont également besoin d'autres nutriments (azote, phosphate), de soleil, et d'eau.

"Or, dans les zones tropicales, on va avoir avec le réchauffement climatique des effets contraires d'assèchement", ce qui peut contribuer au ralentissement du verdissement, note Nicolas Viovy.

En février 2022, Eckhard George, professeur en physiologie nutritionnelle des cultures à l'université Humboldt de Berlin, et expert en métabolisme des plantes, pointait déjà, auprès de l'AFP, les limites du caractère positif de l'effet fertilisant du CO2.

"Il est exact que la surface foliaire [ou surface 'verte' - qui correspond à la surface occupée par des feuilles par unités de sol, NDLR] augmente lorsque l'apport de CO2 augmente. Mais cela ne se produit que si la croissance n'est pas limitée par d'autres facteurs, tels que le stress hydrique, le manque de nutriments, les fluctuations de température, le manque ou l'excès de soleil ou l'étanchéité de la surface"relevait-il alors.

Antoine Martin note aussi que les plantes ont "différents métabolismes de photosynthèse" : certaines vont absorber plus ou moins de CO2 et ajoute aussi qu'il y a "des effets collatéraux négatifs" à l'augmentation de CO2 qui jouent directement sur l'effet de fertilisation.

"Chez les plantes cultivées sous forts taux de CO2, on observe une diminution de la valeur nutritionnelle des plantes - c'est-à-dire leur concentration en minéraux", ce qui peut notamment poser des inquiétudes liées à la sécurité alimentaire, et exposer des populations qui consommeraient ces plantes à des carences alimentaires, comme détaillé dans plusieurs articles de recherches.

<span>Principales causes d'insécurité alimentaire dans le monde en 2023, d'après un rapport du Global Network Against Food Crises et du Food Security Information Network</span><div><span>Jonathan WALTER</span><span>Aníbal Maíz Cáceres</span><span>AFP</span></div>
Principales causes d'insécurité alimentaire dans le monde en 2023, d'après un rapport du Global Network Against Food Crises et du Food Security Information Network
Jonathan WALTERAníbal Maíz CáceresAFP

Vers un possible ralentissement du verdissement

Le deuxième article mentionné dans l'entrée de "Report 24" avait été publié en janvier 2022 dans la revue éditée par le groupe Elsevier "Sustainable Horizons", qui se présente comme "le journal officiel" d'une université de sciences et technologies basée à Shenzhen en Chine, et dont les articles sont, selon son site, "relus par des pairs" avant publication (ce qui est généralement un gage de rigueur scientifique, comme détaillé dans cet article de l'AFP qui explique comment s'y retrouver parmi les publications scientifiques).

L'article est intitulé "Hydrological feedback from projected Earth greening in the 21st century" ("Retours sur les prévisions de verdissement de la Terre au 21e siècle").

Il mentionne effectivement une augmentation globale de la "surface verte" liée au développement des plantes sur la Terre au cours de ces 40 dernières années, et prédisent que cette dernière pourrait encore s'accroitre.

Il est avéré que la surface verte a augmenté sur Terre ces dernières décennies, comme le détaillaient déjà plusieurs spécialistes dans cet article de vérification de l'AFP de juin 2023.

Mais l'article de Sustainable Horizons mentionné "utilise des scénarios anciens qui utilisent des anciens modèles", qui "ne prenaient pas en compte le cycle de l'azote", qui est aussi l'un des nutriments utilisés pour la croissance des plantes, note Nicolas Viovy.

Les anciens modèles avaient ainsi "tendance à surestimer le verdissement", et de nouvelles études prenant en compte leur révision tendent plutôt à relativiser ces derniers, mettant en avant un ralentissement du verdissement ou des tendances au brunissement des feuilles par exemple, ajoute le chercheur.

C'est le cas d'une étude publiée en 2020 dans la revue "Science" qui conclut, à l'aide de données satellitaires, que l'effet de fertilisation par le CO2 a diminué à l'échelle mondiale entre 1982 et 2015, ce qui s'explique par exemple par le manque de nutriments et la diminution de la disponibilité de l'eau du sol.

Une autre étude de 2021 publiée dans "Biogeosciences" constate également, à l'aide de données satellites, que l'augmentation de la surface foliaire mondiale ralentit.

"La littérature scientifique montre très clairement que la végétation devient de moins en moins efficace en tant que puits de carbone en fonction du réchauffement global, à cause des impacts des changements physiques du climat, qui incluent une forte augmentation des canicules, et dans certaines régions sensibles, en particulier en Amazonie, aussi une augmentation des sécheresses", résume aussi Sonia Seneviratne.

<span>Des arbres dans la vallée de Tarhaus, dans la région de Transylvanie en Roumanie, le 9 juillet 2023</span><div><span>Daniel MIHAILESCU</span><span>AFP</span></div>
Des arbres dans la vallée de Tarhaus, dans la région de Transylvanie en Roumanie, le 9 juillet 2023
Daniel MIHAILESCUAFP

Augmentation de CO2

La concentration de CO2 est traditionnellement mesurée en "partie par million" ou ppm, un indicateur qui permet de calculer le taux de pollution dans l'air et plus globalement dans l'environnement. Comme son nom l'indique, le ppm permet de savoir combien de molécules de polluants on trouve sur un million de molécules d'air.

La concentration de CO2, qui était de 282 ppm en 1800, avait franchi en mai 2022 la barre des 420 ppm, selon l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA) (lien archivé).

"Si on regarde les études qui font des projections, on voit que l'effet positif va globalement se renverser et sera de moins en moins efficace. On est actuellement sur une concentration de CO2 à peu près à 400 ppm [400 parties par million, NDLR], on a encore un peu de marge, mais quand on va arriver vers 700/800ppm l'effet sera quasiment négligeable", prévenait Nicolas Viovy en mars 2023 auprès de l'AFP.

L'impact de l'effet fertilisant du CO2 sur les végétaux est donc bien à mettre en perspective, soulignent les spécialistes.

"Les plantes fixent effectivement plus de CO2 lorsque la concentration en CO2 dans l'atmosphère augmente. Mais la quantité de CO2 supplémentaire fixée par les plantes est loin d'être suffisante pour compenser les émissions supplémentaires émises par l'Homme", concluait déjà Eckhard George en 2023.

Sonia Seneviratne estime ainsi que les deux études mentionnées dans les publication sur les réseaux sociaux "ne changent pas cette évaluation qui est basée sur un très grand nombre d'études de référence".

Elle ajoute que bien que certains points restent "incertains" pour les chercheurs, les connaissances actuelles "ne suggèrent pas que les effets induisant plus de croissance des plantes compensent les effets négatifs dûs aux augmentations régionales des événement extrêmes tels que les canicules et les sécheresses".

Et la situation devrait encore se complexifier au regard du rythme d'augmentation du CO2 dans l'atmosphère terrestre.

Selon les estimations du Global Carbon Project, organisation qui cherche à quantifier les émissions mondiales de gaz à effet de serre et leurs causes en collectant et en analysant des données sur le sujet qui sont consultables sur son site, les émissions mondiales de CO2 ont atteint en 2023 un record de 36,8 milliards de tonnes émises dans l'atmosphère, en augmentation par rapport au précédent record de 2022.

<span>Emissions mondiales de CO2 issues des énergies fossiles de 1955 à 2023 (projection pour 2023)</span><div><span>Julia Han JANICKI</span><span>Sabrina BLANCHARD</span><span>AFP</span></div>
Emissions mondiales de CO2 issues des énergies fossiles de 1955 à 2023 (projection pour 2023)
Julia Han JANICKISabrina BLANCHARDAFP

L'origine humaine du changement climatique est régulièrement remise en question sur les réseaux sociaux, ainsi que les effets du CO2 sur le climat. Pour tenter de répondre à cette désinformation, l'équipe de vérification de l'AFP a réalisé des fiches dédiées sur le climat, consultables ici.

10 juin 2024 Corrige le prénom du chercheur Antoine Martin