1936-2024 : le jeu des différences entre le Front populaire et le Nouveau Front populaire

En 1936, le Front populaire, alliance inédite de gauche, remporte les élections législatives. En 2024, le Nouveau Front populaire, successeur de la Nupes, se présente aux législatives. Quelles différences?

Dimanche 9 juin, un peu après 21h. Emmanuel Macron, dissout l’Assemblée nationale, devant la défaite de son camp aux élections européennes. La liste Renaissance, portée par Valérie Hayer, échoue à 14,6%. Jordan Bardella, pour le Rassemblement national (RN), rafle 31,4% des voix.

Une heure plus tard, le député insoumis de la Somme, François Ruffin, en direct sur BFMTV, lance un appel aux forces de gauche. “C’est le seul moyen aujourd’hui de faire front face au Rassemblement national (RN). J’en appelle dès ce soir à Marine Tondelier (secrétaire nationale des Écologistes), Olivier Faure (premier secrétaire du Parti socialiste), Fabien Roussel (premier secrétaire du Parti communiste), et Manuel Bompard (coordinateur national de LFI), pour qu’on se range derrière une barrière commune ‘Front populaire’”. Quelques jours plus tard, au prix d'intenses tractations, le Nouveau Front populaire voit le jour en vue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet prochains.

Alors retour en 1936? Si le nom de Nouveau Front populaire renvoie au premier gouvernement socialiste de la IIIe République, l’historien Jean Vigreux, auteur de Le Front Populaire 1934-1938, aux éditions Que Sais-Je, pointe néanmoins plusieurs différences entre les deux alliances.

L’idée d’une union des gauches, avant même le nom "Front populaire", naît le 6 février 1934, après la manifestation des ligues factieuses d’extrême droite, en face de la Chambre des députés.

“La France des années 1930 traverse une crise sociale, politique, morale sans précédent. Le pays affronte les effets du krach boursier de 1929 à partir de 1932: le chômage de masse et les faillites d’entreprises", détaille l'historien

“Ces ligues dénoncent une IIIe République impuissante et corrompue”, explique Jean Vigreux. Les partis de gauche perçoivent alors “les fascistes comme étant aux portes du pouvoir”.

Outre-Rhin, Adolf Hitler arrive au pouvoir en 1933, et la France accueille ses premiers réfugiés allemands. L'autoritarisme, comme solution à la crise, trouve une audience dans le pays. “Les ligues jouent sur la xénophobie, et la quête du sauveur, qui pourrait incarner un pouvoir fort”.

En 2024, les Français sortent d’une élection européenne. À l’époque, les prochaines législatives sont prévues en 1936.

Pris de court par l'annonce de la dissolution, les partis de gauche, du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), au Parti socialiste (PS), scellent l’union le 14 juin. En 5 jours et 4 nuits, avant des législatives prévues 2 semaines plus tard.

Le Front populaire, se construit lui entre février et juillet 1934. Et ce temps n’est pas de trop. Les deux principaux partis de la future alliance -Parti communiste (PCF) et SFIO (futur PS)-, sont brouillés.

"Depuis le Congrès de Tours en 1920, ce sont des 'frères ennemis'." Les communistes ont rejoint la IIIe Internationale de Lénine, adhérant à la ligne du Kremlin. Les socialistes la refusent.

Mais les forces de gauche "sentent le danger". Celui de l'extrême droite. Dès le 9 février, à Paris, une contre-manifestation, opposée aux ligues fascistes, est organisée. Elle réunit le Parti communiste, la Confédération générale du travail unitaire (CGTU), et des militants socialistes. Le 12, un rassemblement unitaire cette fois se tient: CGT, PS, PC, et les radicaux de gauche marchent ensemble.

Les communistes abandonnent la logique "du classe contre classe", pour adhérer à celle du Front populaire". Et rejoignent les réformistes du PS.

"À l'été 1934, l'union populaire antifasciste aboutit à l'union politique", analyse Jean Vigreux. Le 14 juillet 1935 marque la première manifestation d’ampleur du mouvement, et l’appel à la dissolution des extrêmes droites.

Le 27 juillet, 6 mois plus tard, est signé un pacte d’unité d’action antifasciste entre le Parti communiste et le Parti socialiste. L'union est parachevée à l'automne. "Les radicaux, le parti centriste pivot de la IIIe République rejoint l’alliance", analyse Jean Vigreux.

“Le programme de 1936 est bref", rappelle l'historien. "Très offensif, il s’organise autour de trois mots d’ordre: pour le pain, la paix, la liberté".

Le programme du Nouveau Front populaire de 2024 est plus étayé, et prend la forme d’un contrat de coalition si l’alliance remporte les élections de juillet prochain. D’abord "20 mesures de rupture" à appliquer les “15 premiers jours", pour "répondre aux urgences qui abîment la vie et la confiance du peuple français". Puis un “été des bifurcations”, marqué par 3 lois: pouvoir d’achat, santé et éducation.

Suit un “ambitieux programme de transformation”, du “retour” des services publics, au droit au logement, en passant par la convocation d’une assemblée constituante, pour rédiger une nouvelle Constitution.

Quand en 2024 le Nouveau Front populaire acte le principe d’un candidat unique par circonscription, en 1936, chaque parti de gauche investit son candidat au premier tour. “Toutes les formations politiques du Front populaire présentent leurs propres candidats”, rappelle Jean Vigreux.

L’alliance se fait dans les urnes au second tour. “Le candidat de l’union arrivé en tête est soutenu par ses alliés: les dirigeants des partis, et le Comité national du Rassemblement populaire, appellent au report de voix”.

Succès dans les urnes le 26 avril et le 3 mai 1936. Le Front populaire fait élire 386 députés, sur 608. Avec 146 sièges socialistes, contre 116 pour les radicaux, et 72 députés communistes, le premier ministre est issu des rangs de la SFIO: ce sera Léon Blum.

Article original publié sur BFMTV.com