"On s'est fait détrousser": comment la campagne européenne de Valérie Hayer s'est enlisée

Ils y ont cru ce 7 mai, à la Maison de la Mutualité. Valérie Hayer tient ce jour-là un meeting dans le 5e arrondissement de Paris. Le Premier ministre Gabriel Attal est là. Mais c'est Emmanuel Macron que tout l'état-major espère voir débarquer. Pour enfin réveiller une campagne atone. Même les proches conseillers du président sont présents. Espoir seulement. L'Élysée prévient l'équipe de Valérie Hayer: le chef de l'État ne viendra pas. Officiellement, il rentre trop tard d'un déplacement. Rendez-vous manqué.

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Début juin, à quelques jours du scrutin, même si les proches de Gabriel Attal continuent d’évacuer les sondages, "qui ne tiennent pas compte des votes de dernière minute", la majorité anticipait déjà la défaite dans les urnes.

Une défaite largement confirmée ce dimanche 9 juin: la tête de liste Renaissance obtient 15,2% des suffrages, selon notre estimation Elabe pour BFMTV, RMC et La Tribune. Loin derrière Jordan Bardella et ses 31,8%, pas beaucoup mieux que le candidat PS-Place publique Raphaël Glucksmann à 14%. Suffisant pour conduire Emmanuel Macron à dissoudre l'Assemblée nationale.

Défaite ou déroute? "Une débâcle oui", tranchait un conseiller gouvernemental avant même le scrutin. "Quand j’entends que si Bardella fait moins de 35%, ce n'est pas si grave, ça me fait bondir."

Premier meeting, première polémique

Tout a commencé le 9 mars à Lille. Premier meeting de la campagne. La quasi-intégralité du gouvernement, et tous les chefs des partis de la majorité sont présents. Les discours sont enflammés, la dramatisation du scrutin poussée à l'extrême.

"Hier, Daladier et Chamberlain, aujourd’hui Le Pen et Orban", lance Valérie Hayer à la tribune, les yeux rivés sur le prompteur. "Les mêmes mots, les mêmes arguments, les mêmes débats. Nous sommes à Munich en 1938. (...) Il est minuit moins une."

Mais la tête de liste ne fait pas seulement hurler les historiens: elle-même n'assume pas la référence. Le lendemain, la tête de liste reconnaît une erreur qu’on lui a soufflée, pour ne pas dire une figure imposée.

"C’est une bonne candidate, une femme remarquable. mais c’était une mauvaise campagne", souffle un ministre de premier plan. "J’ai une impression de gâchis."

Valérie Hayer fait l’unanimité dans son rôle, mais un parlementaire s'interroge: "Était-ce le bon rôle?" "On a fait le choix, face à l’animal ultra-médiatique Bardella, de mettre une femme légitime, de compétence", poursuit cet élu. Mais moins une femme de médias."

"Bonne candidate", mais "mauvaise campagne"

Illustration ce 2 mai, à la sortie du débat avec la tête de liste RN sur BFMTV. En marchant vers la sortie, Valérie Hayer confie son énorme soulagement que ce soit enfin fini. La pression n'a fait que s'accroitre dans les jours qui l'ont précédé. Elle a commencé par le plus difficile.

De plus, la campagne "s’est mise en place trop tardivement", analyse un parlementaire: Valérie Hayer n'a été officiellement désignée tête de liste Renaissance que fin février, à peine trois mois avant le scrutin.

"Marine Le Pen et Jordan Bardella, ça fait des années qu’ils se préparent. Nous, on s’est dit bêtement 'on a le temps, les Francais ne s’intéresseront aux européennes qu’à la dernière minute'. Eux, ils ont eu le temps de faire infuser leurs idées."

Faire campagne n'est pas chose innée, et Valérie Hayer, eurodéputée méconnue du grand public, le découvre à ses dépens. "Elle n’a pas compris que la politique, en campagne électorale, c’est l’art de la répétition. Ce n’est pas grave de répéter souvent la même chose, au contraire", confie une figure de la majorité qui la conseille. "À chaque matinale, elle se rend malade à savoir sur quoi elle pourrait faire des annonces, dire des choses nouvelles."

Lors de ses différents meetings en régions, la candidate se concentre à chaque fois sur une thématique en particulier. Au point de paraître très fade, surtout lorsqu’elle passe après Gabriel Attal. Comme fin mai, à Boulogne-Billancourt où elle est restée sur la thématique du droit des femmes, quand le Premier ministre scandait "l'Europe est mortelle, et voter pour l'extrême droite c'est appuyer sur la gachette". Un discours très politique pour appeler à la mobilisation.

Macron et Attal, soutiens ou repoussoirs?

Au fil des mauvais sondages, le couple exécutif est venu en renfort… aggravant la situation, selon certains proches.

"Quand le chef de l’État fait un discours de 1h48 à La Sorbonne, très brillant mais très loin de la vie quotidienne, ça passe totalement au-dessus de la tête des Français", analyse après-coup un ministre.

1h48 ôtée au temps de parole de sa candidate, "qui aurait pu en profiter pour exister, asseoir sa personnalité". "Sortir le président en renfort, ça veut dire que la candidate ne suffit pas", abonde un député. "C’est acter une défaite annoncée. Le Premier ministre, chef de la majorité, ça avait déjà plus de sens."

Gabriel Attal, missionné explicitement par le président, dans une interview donnée au Parisien, pour "aller faire campagne", s’approche du ring. Nouvelle déconvenue le 23 mai, lors de son duel télévisé avec Jordan Bardella. Pourtant, à l’issue du débat, le satisfecit était vif côté Matignon: "On a plié le jeu, on l’a mis face à ses contradictions sur la double frontière, l’industrie, son absentéisme."

"Un ministre tempère aujourd’hui: "Gabriel Attal a été très bon. Mais Jordan Bardella a gagné le débat à la seconde où il s’est assis sur sa chaise. Il voulait la légitimité, il l’a eue."

"Dans la tête de certains Français, si Jordan Bardella peut être au niveau d’un Premier ministre, ça veut dire que Marine Le Pen peut être présidente", analyse, dépité, un député. Résultat: aucune inversion de la courbe des sondages. La liste RN engrange même 2 points supplémentaires la semaine suivante.

"On n'est pas entrés dans le match"

Autre raté dans la campagne de Valérie Hayer, le positionnement, jugent des parlementaires et élus. "On a joué en contre depuis le début!", tempête un ministre. "On s’est positionnés par rapport aux autres. Même quand c’est le RN qui a choisi les sujets de débat, on n'est pas entrés dans le match."

"On aurait dû assumer notre politique dure en matière d’immigration, dire que le pacte asile et immigration va vraiment changer la donne. Au lieu de ça, on a encore fait du 'et en même temps'. Et face au RN, ça n’est pas suffisant."

Pire encore, certains choix de campagne, vus comme des "cadeaux" offerts à Bardella. Ce 7 mai, le conseiller d'un ministre de premier plan fulmine. En meeting à Paris, Valérie Hayer s'adresse "à Colombe, et à toutes les Colombe de notre pays".

Nous sommes alors en pleine polémique autour de cette sexagénaire allocataire du RSA, qui, interrogée quelques jours plus tôt par TF1, explique remettre tous ses espoirs en Marine Le Pen. "Ça ne sert à rien. Ça fait flop. Je ne comprends pas l’intérêt d’alimenter une actu qui ne profite qu’au RN !", cingle-t-il.

Nationalisation du scrutin... européen

Le débat s'est "nationalisé, et on a rien fait pour contrer ça", déplore un membre de l'exécutif. Quand Raphaël Glucksmann "a fait exactement l’inverse, avec succès", "il a réussi à ne parler que d'Europe, et d'un bilan qui n'est même pas le sien". Autre réussite du socialiste: mettre la main sur les électeurs sociaux-démocrates, cœur de l'électorat macroniste en 2017.

"On s’est fait détrousser au coin d’un bois", estime ce ministre. "On s’est fait détrousser nos électeurs de gauche sans rien dire."

"On aurait pu mettre en valeur nos réussites au niveau européen, le Green Deal, le plan de relance, notre remontada industrielle", liste-t-il. "On a été coincés par le RN, a ne répondre que du bilan d’Emmanuel Macron au niveau national. Glucksmann lui, il a réussi à ne parler que d’Europe, et d’un bilan qui n’est même pas le sien! Il a même réussi à faire oublier qu’il vient de la Nupes."

Puis de dresser l'inventaire des "réussites au niveau européen" qu'il aurait fallu "mettre en valeur". Au premier rang desquelles, "le Green Deal, le plan de relance, notre remontada industrielle..." Mais, "on a été coincés par le RN, à ne répondre que du bilan d’Emmanuel Macron au niveau national." Seule élection nationale avant 2027, les électeurs ont cédé à la tentation du vote pro ou anti-Macron.

"Il y a ce sentiment d’une droitisation du président qui rend de plus en plus compliqué le fait de rameuter des électeurs de centre-gauche", analyse le directeur de l'Observatoire de l'opinion de la Fondation Jean-Jaurès, Antoine Bristielle. "Il y aussi le fait que des électeurs qui ont pu croire à la promesse originelle du macronisme en 2017 ne savent pas ce que va se passer en 2027."

Résultat: "une partie substantielle de son électorat ne s’est pas mobilisée". "Une partie est passée chez François-Xavier Bellamy (le candidat des Républicains). Et une autre, chez Raphaël Glucksmann."

La foi en l'Europe est pourtant au cœur de l'électorat macroniste. Dans sa première interview au Figaro comme tête de liste, Valérie Hayer se décrivait même comme "le porte drapeau de la seule coalition pro-européenne" du scrutin.

"Problème collectif", "défaite collective"

À quelques jours du scrutin, la majorité se trouve de nouveau engluée dans un nouveau tempo. Là encore dicté par le RN, qui invite l'exécutif à tirer les conséquences de la défaite. Notamment, à dissoudre l'Assemblée nationale.

"L’échec du 9 juin ne sera que la partie émergée de l’iceberg", pronostique, la mine sombre, un pilier de la majorité.

"La réponse est politique, pas politicienne", poursuit-il. "Les figures de la majorité qui disent, 'il faut en tirer les leçons' pour mieux se positionner, c’est ridicule. La leçon, c’est qu’avec la polarisation de la vie politique, nous n’avons pas réussi à exister en tant que force crédible."

Alors, quelle réponse à la débâcle? "La seule réponse, c’est une réponse de fond. Avec obligation de résultats devant les Français. On a intérêt à en avoir d’ici la prochaine élection", exhortait un ministre avant le scrutin. Et le même de conclure, "le problème est collectif", "la défaite sera collective".

Emmanuel Macron a finalement décidé d'en revenir aux électeurs: le président de la République a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale et donc des élections législatives anticipées, les dimanches 30 juin et 7 juillet. Réussira-t-il à inverser la tendance, seulement trois semaines après le scrutin européen?

Article original publié sur BFMTV.com