"L'homme de mon temps" : comment Bardella a travaillé son image pour séduire les jeunes

Selfies, vidéos sur les plateformes... Jordan Bardella a su séduire la jeunesse lors de ces élections européennes. Malgré peu de propositions dédiées, ils sont 32% à l'avoir choisi selon une étude d'Elabe.

Selfie, Tiktok, Instagram, punchlines, culte de l'image... Pendant la campagne des européennes, la tête de liste du Rassemblement national, Jordan Bardella, s'est distingué par ses clins d'oeil à la jeunesse autant que par ses messages pour infliger un "carton rouge" à Emmanuel Macron.

"On a beaucoup investi sur les réseaux sociaux. C’est un moyen de parler aux jeunes. J’essaye dans cette élection de politiser les jeunes", déclarait quelques jours plus tôt le candidat sur France Inter, mercredi 5 juin.

Une double stratégie qui a payé pour le Rassemblement national, pourtant sans aucune proposition particulière pour eux dans son programme, à la différence des autres principaux partis.

Dans le détail, 32% des 18-34 ans lui ont en effet confié leur vote (contre 5% à Valérie Hayer, 20% à la France insoumise et 10% au Parti socialiste), selon une étude Elabe pour BFMTV, RMC et La Tribune Dimanche, publié ce dimanche 9 juin au soir.

Jordan Bardella n'a pas seulement fait campagne sur le terrain à la rencontre des Français ou sur les plateaux pour convaincre de son programme d'"Europe à la carte", il l'a aussi fait sur le smartphone des 18-35 ans. À travers les réseaux sociaux. Instagram et Tiktok en tête. Son équipe évoque un moment de bascule pour sa visibilité sur la plateforme après son débat face à Gérald Darmanin le 13 avril 2022 sur BFMTV, onze jours avant l’élection présidentielle.

Tous ses déplacements officiels sont désormais accompagnés par une équipe en charge d'alimenter ses deux comptes, respectivement suivis par 1,3 million et 555.000 abonnés. On peut apercevoir son photographe, Raphaël Attal, un vidéaste, et son community manager, Raphaël Rible, qui le filme en permanence. Les images sont ensuite diffusées presque immédiatement sur les réseaux sociaux.

Recruté en 2021, son photographe a pour consigne de "styliser ses clichés". L'inspiration? Les séries de la photographe officielle d'Emmanuel Macron, Soazig de La Moissonnière.

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En petit comité, le vainqueur des européennes assume cette politique-spectacle: "Soit on déplore le fond des campagnes, le manque de débat. Soit on dit voilà l’état des lieux et je vais être l’homme de mon temps", affirme Jordan Bardella devant quelques journalistes, dont BFMTV.

Le jeune président du RN a bien compris que les réseaux sociaux, en particulier TikTok, sont devenus la principale source d'information des 12-15 ans en France. Selon l’étude américaine du Pew Research center, ils étaient 32% parmi les 18-24 ans à utiliser Tiktok pour s’informer en 2023. Des chiffres en constante augmentation.

"Est-ce qu’on vit avec les règles du jeu d’aujourd’hui ou est ce qu’on vit avec un rétroviseur?", interroge celui qui adopte sur ses réseaux sociaux les codes d'un influenceur, plutôt que ceux habituellement associés à un président de parti politique.

"En tant que jeune, lui-même, et utilisateur depuis qu'il fait de la politique de ces réseaux, il sait s'en servir plus spontanément et facilement que d'autres politiques plus âgés", estime Caroline Parmentier, sa responsable presse. "On a du mal à l'inverse à imaginer un Jean-Luc Mélenchon aussi à l'aise sur Tiktok, aussi authentique et en phase, en apparence du moins", fait remarquer le politologue Jean-Yves Camus.

La sémiologue Cécile Alduy juge ses discours "lisses et vides de toute idée nouvelle", mais reconnaît en revanche en lui "le meilleur publicitaire" des idées de Marine Le Pen.Son ton est "moins cassant, sa politesse sans ironie, son attitude est celle de premier de la classe qui ne veut pas froisser", analyse-t-elle dans Le Monde.

On peut ajouter des costumes ajustés (de la marque néerlandaise Suit Supply, prisée pour ses tarifs abordables) qui laissent deviner les efforts faits à la salle de musculation, "sport qu'il pratique le plus", selon son équipe de campagne. Ainsi qu'une apparence impeccable et "instagrammable", à l'image de la perfection que font miroiter les réseaux sociaux.

"Maniaque", du mot d'un de ses proches collaborateurs, Jordan Bardella peut se mettre dans des colères noires, s'il s'aperçoit en se visionnant que le col de sa chemise n'était pas parfaitement mis.

Ce physique de "gendre idéal", de "chiraquien" - les qualificatifs utilisés par son équipe de campagne ne manquent pas - joue en sa faveur, il le sait. "Avec ce physique, c'est sûr que c'est plus facile de séduire les jeunes", admet sa collaboratrice, Caroline Parmentier.

Pendant la campagne, l'équipe de communication du candidat de 28 ans partage sur les réseaux sociaux des images de bain de foule frisant parfois l’hystérie, avec de jeunes filles au bord des larmes.

Dans plusieurs reportages de terrain, des journalistes rapportent l'allégresse de certaines jeunes filles venues à sa rencontre pour espérer obtenir un selfie avec leur "idole". Et reposter immédiatement le cliché sur leurs réseaux.

"Il a le contact naturel, il aime toucher, une main sur le bras, sur l'épaule, le selfie, il aime sincèrement les gens. Contrairement à un Zemmour qui est très vite agacé", assure un membre de son équipe.

"Bien sûr, le côté jeune et beau gosse et son Tiktok me font rire, mais c'est pas non plus pour ça que j'ai voté pour lui", nous raconte Sarah, 25 ans, native de Seine-Saint-Denis et d'origine marocaine.

"Il dit les choses sans langue de bois. Il parle de sécurité, d'immigration. Je dis pas qu'il a la meilleure politique là-dessus, mais au moins il permet de mettre ce sujet sur la table, sans trembler. Personne parle de ça, à gauche", estime-t-elle. Antoine, 27 ans et Parisien, assure avoir voté pour lui alors qu'il vient "d'une famille gauche caviar". "Et honnêtement, j'en peux plus de leur hypocrisie bonne conscience. Bardella, il fait pas semblant. Il met des coups de pieds dans la fourmilière, ça fait du bien", confie-t-il à BFMTV.com.

À 20 ans, Eloi a mis un bulletin dans l'urne pour la deuxième fois. RN à chaque fois. Il vient des jolies banlieues ouest, passe son temps entre sa passion des jeux vidéo, ses études de droit-finance et ses lectures sur la terrasse de la maison cossue de ses parents. Il hésite encore, mais il a bien envie de tenter l'ENA après.

Pour ce jeune adulte, fan de pétanque comme Jordan Bardella, le parti lepéniste "n'a pas peur de dire les choses", nous explique-t-il. Il assume un vote "coup de tocsin", selon ses mots. "J'espère que ça peut faire changer les choses sur le long terme, ne serait-ce que donner un avertissement aux autres partis", conclut-il.

Dans ses meetings, on y voit des jeunes garçons scander son prénom et son nom. Une "Bardella-mania", "spontanée", selon les mots de son équipe de campagne.

Certaines rencontres politiques se déroulent même dans la célèbre boite de nuit parisienne, le Duplex dans le 16e arrondissement, sur du "Bande organisée" de Jul en musique d'ambiance, comme le 27 janvier 2024.

"On peut très franchement se demander si ces foules compactes de jeunes ne sont pas rassemblées volontairement devant les caméras des équipes du RN", interroge le spécialiste de l'extrême-droite, Jean-Yves Camus, qui soutient l'idée de la mise en scène politique.

L'œil de l'expert reconnaît en revanche un changement sur les images: le public est effectivement plus jeune et plus mixte que sous la présidence RN de Marine Le Pen et celle de Jean-Marie Le Pen. Il est également moins diversifié: "Le défilé du 1er mai de Jean-Marie Le Pen, c'était flagrant, c'était très très populaire. On ne retrouve plus ça aujourd'hui avec Jordan Bardella."

Pourquoi cette mise en scène fonctionne-t-elle auprès des jeunes électeurs? D'autres candidats, très à gauche, comme l'insoumise, Manon Aubry, et le communiste, Léon Deffontaines ont aussi pour eux la jeunesse. Mais force est de constater, chiffres de la répartition du vote à l'appui, que l'adhésion n'est pas aussi forte.

Pourtant, l'écologie est souvent présentée comme une cause qui tient à la jeunesse, tout comme la cause palestinienne, qui a fait l'actualité ces derniers mois et a occupé une partie des universités.

"Il ne faut idéaliser la jeunesse", prévient le politologue Jean-Yves Camus, en guise de réponse.

"Les jeunes, ce n'est pas que l'écologie et la sensibilité pour les causes altruistes. Ça paraît simpliste de dire ça, mais il existe en France une jeunesse qui a besoin d'ordre, en perte de verticalité, en recherche d'autorité", ajoute-t-il. Avant de faire un rappel à l'histoire: "Il ne faut pas oublier que le fascisme a, lui aussi, été défendu par la jeunesse."

Ailleurs dans le monde, avant la jeunesse française derrière Jordan Bardella, les enquêtes sur le vote des jeunes favorables à Donald Trump aux États-Unis pour la prochaine présidentielle sont un exemple de comment ces mouvements très à droite peuvent séduire les plus jeunes.

Article original publié sur BFMTV.com