"La vraie insoumise": Raquel Garrido, de l'amitié avec Jean-Luc Mélenchon à sa mise à l'écart par LFI

Une lourde sanction. Raquel Garrido, longtemps très proche de Jean-Luc Mélenchon, a été sommée de ne "plus être oratrice" de La France insoumise à l'Assemblée pour quatre mois. Le bureau du groupe parlementaire du mouvement lui reproche "de fausses informations" et l'accuse de "dénigrement".

De quoi surprendre pour celle qui a été l'une des figures de proue du mouvement. Comment la députée est devenue l'opposante en chef des insoumis? Éléments de réponse.

"Raquel a suivi Jean-Luc à une époque où personne ne croyait à son aventure", rappelle une insoumise qui a pris ses distances avec le mouvement ces dernières années. "Ça a profondément soudé leur relation. Ce qui se passe est perturbant."

"Elle qui permet de faire entendre nos idées dans de gros médias"

En 2008, la Franco-Chilienne fait ainsi partie de la poignée de socialistes à quitter le parti pour suivre Jean-Luc Mélenchon au moment où il fonde le Parti de gauche. Devenue avocate en 2011, celle qui a fait ses premières armes politiques dans les mouvements lycéens puis auprès de SOS racisme, le défend dans toutes les affaires. Au menu: des procès souvent médiatiques face à Marine Le Pen, Jean-François Copé ou Alain Juppé.

Sa notoriété grandit encore quand elle devient chroniqueuse dans plusieurs émissions de Cyril Hanouna et de Thierry Ardisson.

"C'est elle qui a permis de faire entendre nos idées là où on ne les entendait jamais dans de gros médias à cette époque", remarque une élue LFI. "On peut lui dire bravo quand on parle du plafonnement des salaires dans des émissions de grande écoute."

Raquel Garrido en profite pour prendre du grade et devenir en 2016 porte-parole du mouvement, rebaptisé la France insoumise. Elle y acquiert une certaine influence: elle parvient ainsi à faire inscrire au programme de la présidentielle de 2017 le droit de vote à 16 ans, la révocation des élus entre les élections et défend farouchement l'établissement d'une VIe République.

Son couple avec Alexis Corbière, un autre intime de Jean-Luc Mélenchon et député depuis 2017, suscite même un surnom empli d'affection chez le fondateur de LFI: "mes petits chéris."

"Ils sont beaux. Entre nous, c’est une affaire de sentiments, une complicité politique totale", s'enflamme ainsi le septuagénaire auprès de L'Obs, en juin 2016.

"De la pub seulement pour elle"

Mais son goût pour la lumière commence déjà à agacer. Il faut dire que les polémiques s'enchaînent: arriérés de cotisations sociales, une vidéo avec le blogueur Jeremstar, un HLM occupé avec son mari... Si Jean-Luc Mélenchon dénonce "une cabale médiatique", certains critiquent sa volonté de cultiver sa propre notoriété.

"On a toujours été pour aller là où on pouvait faire du bruit. Raquel l'a bien compris et tant mieux. Mais la frontière est ténue entre faire de la pub pour nos idées et seulement pour elle", tance un député LFI qui ne l'apprécie guère.

Quelques mois après la campagne de 2017, Raquel Garrido est évincée de son poste de porte-parole. Les insoumis évoquent officiellement un problème de décompte de temps de parole. En interne, certains évoquent plutôt un certain agacement, ce que nie farouchement Jean-Luc Mélenchon.

"Raquel est et reste mon amie. Elle n'a commis aucune faute. Seuls les journalistes ont cherché à tout pourrir par leurs fausses polémiques", écrit-il alors sur X (ex Twitter).

L'avocate décide cependant de "tourner la page" de sa vie politique et de se consacrer à ses interventions médiatiques. "Compte tenu de l'essor du mouvement, je considère que je n'y suis pas indispensable. À la télé, il y a si peu d''insoumis', tandis qu'à LFI, des 'Raquel', il y en a plein! Je tourne donc la page sans états d'âme", avance-t-elle dans les colonnes du Journal du dimanche.

"Le cadeau empoisonné" des législatives

Mais la quadragénaire décide finalement de reprendre le flambeau deux ans plus tard pour se présenter aux élections municipales à Bagnolet aux côtés d'un élu communiste, puis aux législatives en 2022 en Seine-Saint-Denis. La circonscription qu'elle vise n'a pourtant rien d'évident, montrant que son aura a définitivement pâli dans les rangs du mouvement.

"C'était un peu un cadeau empoisonné de l'envoyer là-bas", reconnaît d'ailleurs un député insoumis.

Il faut dire que la circonscription est celle de Jean-Christophe Lagarde, député depuis 2007, alors confronté à plusieurs affaires judiciaires. La campagne a lieu dans une ambiance très tendue, entre accusations - mensongères - d'emploi d'une femme de ménage sans-papiers et agression de la candidate au gaz lacrymogène.

Elle l'emporte pourtant largement. À l'Assemblée nationale, dans un groupe en pleine crise de croissance qui doit apprendre à travailler ensemble après avoir multiplié par 4 ses effectifs, la parlementaire cherche très vite à faire entendre sa propre musique.

"Ce qui est sûr, c'est qu'elle n'a pas voulu passer inaperçue au milieu de 77 autres députés. Bon, ce n'est pas interdit non plus de faire de la politique", remarque une députée écologiste qui l'apprécie.

Quitte à prendre à rebrousse-poil certains proches de l'ex-candidat à la présidentielle. La députée démissionne ainsi de son mandat de conseillère régionale d'Ile-de-France, mettant ainsi en conformité la promesse de campagne de ne pas cumuler plusieurs mandats. Deux autres députés et figures de proue du mouvement, Sophia Chikirou et Paul Vannier, continuent, eux, de rester en fonction au sein de l'exécutif régional.

En interne, l'avocate critique encore la stratégie des insoumis sur la réforme des retraites et aurait apprécié que les débats à l'Assemblée nationale permettent d'étudier l'article qui repousse la retraite à 64 ans, contrairement au choix finalement retenu. Raquel Garrido prend aussi ses distances lors de l'affaire Adrien Quatennens et la prise de parole publique du député, qui a reconnu avoir giflé sa compagne.

"Mélenchon n'a fait que nuire"

Ces dernières semaines, la pression est encore montée d'un cran. Après les attaques du Hamas début octobre en Israël, elle fait partie de ceux qui marquent nettement leur différence avec la position officielle du mouvement. LFI évoque "les crimes de guerre" du Hamas mais ne le qualifie pas d'organisation terroriste. "Je trouve consternant ce type de malentendu", avance-t-elle auprès du Parisien.

'Moi, je suis une insoumise qui formule parfois des critiques sur les actions et les paroles de Jean-Luc Mélenchon. Ai-je le droit ?", se demande encore à haute voix Raquel Garrido dans L'Obs fin octobre.

Avant de persister et signer sur France info dans la foulée, en jugeant que "Mélenchon n'a fait que nuire depuis dix mois". De quoi pousser la direction du groupe à la convoquer pour une audition, en créant un certain malaise. Contactés, plusieurs ténors disent ainsi "n'être au courant de rien".

La députée de Seine-Saint-Denis explique elle-même n'avoir rien reçu, avant finalement de devoir se justifier lundi soir et d'être interdite de prise de parole publique pendant quatre mois au sein de l'hémicycle. "Humiliée" et "en colère", l'élue dénonce "un procès politique".

"Je crois que dans le groupe, la coupe est pleine. Ça agace tout le monde à part les trois ou quatre personnes qui ont déjà leur rond de serviette dans les médias et qui pensent qu’il faudrait taper sur le collectif pour se faire avancer soi-même", tance Antoine Léaument, l'un de très proches de Jean-Luc Mélenchon.

"La vraie insoumise canal historique"

Si Raquel Garrido devrait bien réintégrer pleinement le groupe à la fin de sa sanction, les socialistes pourraient également lui ouvrir les bras. "On tend la main à toutes celles et tous ceux qui sont prêts à travailler avec nous", explique ainsi un député socialiste.

Le contexte pourrait également renforcer son aura au sein de la Nupes dont plusieurs ténors l'apprécient, à l'instar de Julien Bayou.

"Je la trouve costaude. C'est la vraie insoumise canal historique", remarque l'écologiste qui évoque "une forme d'admiration" et sa "cohérence".

Raquel Garrido devrait en avoir besoin pour son retour. Le groupe a déjà demandé la mise en place d'une "médiation" pour "un retour à la normale" début mars.

Article original publié sur BFMTV.com