Entre "colère" et "solennité", La France insoumise hésite sur sa stratégie face à Emmanuel Macron

Continuer le bruit et la fureur sur les bancs de l'hémicycle ou s'assagir. La situation a tout d'un dilemme pour La France insoumise, 120 jours après avoir multiplié par 4 le nombre de ses députés dans l'hémicycle.

C'est François Ruffin qui a mis les pieds dans le plat en premier début octobre.

"Je n'ai plus envie de hurler sur les bancs de l'Assemblée nationale", expliquait le député de la Somme à France Inter début octobre.

Des chiffres qui secouent

Avant d'ajouter: "je l'ai dit au groupe, ça ne sert à rien. Ça renforce le RN". Il a par ailleurs ajouté vouloir se "soc-démiser" sur le ton de l'ironie. La référence a de quoi surprendre alors que les partisans de la social-démocratie, comme François Hollande, sont souvent très anti-Nupes.

Si ce n'est pas la première fois que l'ancien journaliste de Fakir prend ses distances avec les insoumis, sa prise de parole ne change officiellement rien au mode de fonctionnement du mouvement. Elle intervient pourtant quelques jours à peine après la publication d'une enquête réalisée par La Fondation Jean-Jaurès qui avançait que 42% des personnes interrogées désapprouvaient "tout à fait" l'opposition franche et radicale des élus LFI.

Pire encore, ce sondage indique que 39% des sondés estiment que le parti de Marine Le Pen est capable de gouverner contre 26% pour la formation de Jean-Luc Mélenchon. De quoi interroger les députés de gauche sur la nécessité - ou non - de faire leur mue.

"Je ne ressens pas vraiment d'urgence à aller vers la sociale-démocratie en pleine urgence sociale et environnementale", répond la parlementaire Clémentine Autain auprès de BFMTV.com.

Mises en scène tous azimuts

François Ruffin en remet pourtant une couche quelques jours plus tard dans l'hémicycle.

"J’ai décidé d’adopter un nouveau style qui soit moins dans la colère, plus dans l’apaisement. Mais, croyez-moi, c’est bien difficile quand on entend que les gens iraient à Pôle Emploi s’installer dans une sorte de précarité volontaire comme dans une espèce de Club Med. Je me contiens", lance-t-il à la tribune.

Des propos très remarqués en interne qui remettent ouvertement en cause la stratégie globale des 71 députés LFI à l'œuvre depuis les dernières législatives en multipliant les dizaines de séquences offensives.

"On est là, on est là. Même si Macron ne veut pas, nous, on est là", chantaient par exemple les nouveaux élus insoumis pour leur arrivée à l'Assemblée nationale fin juin.

"On assume tout"

Quelques jours plus tard, ils célébraient un faux mariage entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen place du Palais-Bourbon, avant de rebaptiser la "prime Macron", contenue dans le projet de loi pouvoir d'achat, de "prime enfumage" dans un amendement.

Cette stratégie ne doit rien au hasard et remonte à loin. Dès 2017, les insoumis attirent l'attention en multipliant les happening, entre paquets de pâtes pour dénoncer la baisse des APL brandis dans l'hémicycle, maillot de foot dans l'hémicycle, portée par François Ruffin et affichettes "bon débarras" pour fêter le départ de Manuel Valls qui quitte alors l'hémicycle.

"On assume tout. On n'aurait jamais parlé de certains sujets si on n'avait pas haussé le ton. Toutes nos prises de parole ont un sens et l'actualité nous donne raison. C'est nous qui avons fait émerger la lutte contre l'inflation", assure le député Louis Boyard.

Ces happening permettent aussi aux élus de LFI d'occuper le terrain des réseaux sociaux en les inondant de leurs discours tout en ouvrant la voie aux critiques. La députée (Renaissance) Fanta Bereta a réduit les insoumis à une "bande de TikTokeurs qui cherchent le buzz".

"Travailler notre posture de gouvernement"

De quoi faire réfléchir les partenaires de la Nupes comme Philippe Brun, élu socialiste à l'Assemblée nationale, et proche d'Alexis Corbière.

"On a eu un dialogue très amical en septembre au sein de l'intergroupe de la Nupes. On s'est collectivement dit, et les insoumis étaient d'accord, qu'on ne pouvait pas se comporter de la même façon à 17 qu'à 150 députés Nupes dans l'hémicycle et qu'on devait travailler sur notre posture de gouvernement", décrypte le député de l'Eure.

Message reçu 5 sur 5. Les élus du mouvement de Jean-Luc Mélenchon ont manifestement levé le pied ces dernières semaines sur le mégaphone entre séances de questions aux gouvernements (un peu) plus calmes et le dépôt d'à peine quelques centaines d'amendements sur le budget 2023, derrière le RN et les LR.

"On a eu la consigne de privilégier les amendements de fond sur ce texte. C'est moins notre message que la façon de le faire qu'on peut repenser", explique un collaborateur du groupe.

La recherche du juste milieu

Aucun reniement donc sur une ligne qui a fait de Jean-Luc Mélenchon le troisième homme de la présidentielle. S'il y a des concessions, les insoumis préfèrent les faire sur la forme. L'enjeu semble davantage d'empêcher la majorité de les cornériser sur la forme.

Laquelle n'hésite pas à mettre les insoumis - et même la Nupes dans son ensemble ces derniers jours - sur le même pied que le RN depuis que Marine Le Pen a soutenu leur motion de censure. De quoi pousser Emmanuel Macron à dénoncer le "cynisme" et "le désordre" d'une Nupes "main dans la main" avec le RN ce mercredi.

La recherche du point d'équilibre a manifestement aussi été dans la tête des organisateurs de la Marche contre la vie chère le 16 octobre dernier. Malgré quelques débordements en fin de cortège, la manifestation est restée relativement bon enfant.

"Être frontalement sérieux"

Pas question de faire un bis repetita de la polémique qui avait suivi "la Fête à Macron" en 2018. Cette année-là, malgré une ambiance de kermesse, entre pique-niques, fanfares et déguisements, certains chars avaient fait grincer des dents, à l'instar de celui avec une marionnette de Macron accrochée à une potence.

"On se doit de trouver le bon équilibre entre le fait de porter des colères et gagner en solennité. On y travaille et on veut être frontalement sérieux quand on voit le projet de société que prépare Macron", assure de son côté Antoine Léaument, un intime de Jean-Luc Mélenchon.

Beaucoup misent cependant beaucoup sur le calendrier parlementaire et l'arrivée dans les prochaines semaines des premières concertations sur l'allongement de l'âge de départ à la retraite à 64 ans qui devraient faire encore monter d'un cran la tension dans l'hémicycle.

"La seule opposition radicale, c'est celle d'Emmanuel Macron contre le pouvoir législatif", assène la députée insoumise Raquel Garrido. La soc-démisation n'est pas forcément pour tout de suite.

Article original publié sur BFMTV.com