Non, les vaccins Covid n'ont pas provoqué une augmentation des cancers de 14.000% aux Etats-Unis

Plus d'une dizaine de milliards de doses de vaccins Covid ont été administrées dans le monde depuis près de quatre ans, et leurs effets indésirables sont aujourd'hui bien connus. Pourtant des internautes assurent que ces vaccins sont à l'origine d'une gigantesque augmentation des cas de cancer aux Etats-Unis. C'est faux: ces publications sur les réseaux sociaux reposent sur des rapports de pharmacovigilance mal interprétés. Les autorités sanitaires comme de nombreux médecins n'ont jamais établi de lien entre vaccination et cancer.

"Les vaccins COVID ont provoqué une augmentation d'au moins 14 000 % des cas de cancer aux États-Unis selon le CDC [les centres de prévention des maladies, NDLR]", écrit sur X le 15 avril Nicole Delépine, dans une publication partagée à plus de 1.000 reprises.

Nicole Delépine, oncologue pédiatrique à la retraite, et son mari Gérard, sont très controversés dans le milieu médical pour s'être longtemps opposés aux campagnes de vaccination contre le papillomavirus. Depuis le début de la pandémie de Covid en 2020, le couple a multiplié les publications dénonçant le port du masque, le confinement ou encore la vaccination à l'aide d'arguments infondés dont certains ont déjà été réfutés par des experts dans des articles de vérification de l'AFP.

Dans cette publication récente, Nicole Delépine ne fait que traduire en français le titre d'un article en anglais publié la veille par le site britannique The Exposé, relais important de désinformation médicale, auquel l'AFP Factuel a très souvent consacré des articles de vérification.

La conclusion de l'article de The Exposé, une augmentation des cas de cancer de 14.000% due aux vaccins Covid, a circulé sur d'autres sites et a été partagée sur Facebook, Instagram et X en anglais, mais aussi en portugais notamment.

<span>Capture d'écran du site "The exposé" le 25 avril</span>
Capture d'écran du site "The exposé" le 25 avril

Le cancer est effectivement en augmentation dans le monde entier, selon l'Organisation Mondiale de la Santé, en grande partie du fait des évolutions de la société, vieillissante et plus exposée à certains facteurs de risque comme l'obésité (archive). Aux Etats-Unis, la Société américaine contre le cancer estime qu'en 2024, il y aura deux millions de nouveaux cas de personnes malades (archive).

Mais les vaccins contre le Covid-19 ne sont pas responsables de cette augmentation.

"Le soi-disant 'article' - qui n'est pas scientifique, pas revu par des pairs, et publié par une source qui apparaît entièrement dévouée aux théories du complot - est faux", a réagi auprès de l'AFP Wilbur Chen (archive), un infectiologue de l'Université du Maryland, le 25 avril.

"Il n'y a aucune preuve, à ce jour, que les vaccins anti-Covid provoquent quelque cancer que ce soit", a renchéri auprès de l'AFP le même jour un porte-parole des CDC américains, pourtant mentionnés comme "source" par The Exposé.

Comme l'AFP Factuel l'a résumé ici, les cancers, au centre de nombreuses infox, connaissent une hausse mondiale depuis plus de 10 ans, donc avant la pandémie de Covid et la vaccination.

D'autre part, d'un point de vue médical, "il n'y a rien qui permette de lier les vaccins ARN messager au cancer", expliquait la Ligue contre le cancer à l'AFP le 27 janvier 2022, "cet ARN ne peut en aucun cas pénétrer dans le noyau de la cellule et interférer avec ce génome et amener des mutations, c'est du fantasme".

Des données de pharmacovigilance mal interprétées

Quant à l'augmentation astronomique de "14.000%", ce nombre est le résultat d'une interprétation "complètement non-scientifique" des données de la plateforme de pharmacovigilance des vaccins (VAERS) américain, explique à l'AFP le Dr Chen.

Cette base de données nationale est utilisée par les CDC et la Food and drug administration (FDA) pour mettre à jour d'éventuels problèmes de sécurité liés aux vaccins.

Tout le monde: médecin, infirmier, parent ou patient, peut y déclarer des effets indésirables supposés suite à une vaccination. Les professionnels de santé doivent y rapporter des événements graves, même si aucun lien avec le vaccin n'est suspecté (archive).

La conclusion de The Exposé se fonde sur une comparaison des déclarations de diagnostic de cancers après la vaccination Covid et après la vaccination grippe.

"Chez les adultes de 30 ans et plus, il y a seulement un cas de cancer dû à la vaccination contre la grippe entre le 21 janvier et le 29 mars 2024, contre 141 cas dûs à la vaccination contre le Covid", affirme l'article, poursuivant: "cela équivaut à une augmentation choquante de 14.000% des cas de cancers dûe à la vaccination Covid".

Premier problème: dire que des cas de cancers sont "dûs" aux vaccins est faux: le VAERS le dit lui-même sur son site "un signalement au VAERS ne signifie pas que le vaccin est la cause de l'effet indésirable, seulement que l'effet indésirable est apparu après la vaccination" (archive).

Pour Daniel Salmon (archive), directeur de l'Institut pour la sécurité vaccinale à l'Université américaine John Hopkins, l'interprétation faite par The Exposé est "totalement fausse". "La base VAERS accepte les signalements de n'importe qui, à propos de n'importe quoi", explique-t-il à l'AFP le 26 mai, "je peux me faire vacciner contre le Covid et mon chien se fait renverser par une voiture et je peux le signaler au VAERS! Ca ne veut pas dire que le vaccin a provoqué l'accident de mon chien".

Le VAERS prévient sur son site internet (archive) que tous les effets indésirables rapportés ne sont pas vérifiés.

"Il n'est en général pas possible de savoir à partir des données VAERS si le vaccin a causé l'effet indésirable", explique l'organisme, ajoutant que "des effets indésirables graves ont plus de chance d'être signalés que des effets légers".

"Les vaccins Covid autorisés aux Etats-Unis sont administrés avec la surveillance la plus exhaustive et la plus intensive que le pays ait jamais connue", a insisté le porte-parole des CDC. "Après plus de 676 millions de doses injectées, la surveillance n'a établi aucun lien entre la vaccination Covid et un risque accru de cancer", répète-t-il.

Les données du VAERS ont souvent été utilisées pour désinformer à propos des vaccins Covid, comme l'AFP Factuel l'a déjà montré dans le passé. Les CDC rappelaient déjà à l'AFP en 2022 qu'avant de confirmer un lien de causalité entre un événement de santé (comme un cancer) et le vaccin, "les signalements doivent être examinés et vérifiés en demandant des dossiers médicaux, des rapports d'autopsie, des certificats de décès, et souvent des entretiens avec les prestataires de soins de santé", rappelant que "les signalements de décès ne signifient PAS que le vaccin a causé le décès".

Une comparaison sans fondement avec le vaccin grippe 

D'autre part, la base données VAERS concernant le vaccin Covid est particulièrement abondante et comporte bien plus de signalements d'effets indésirables que les autres vaccins.

Notamment, comme le souligne le site d'information scientifique Science Feedback, du fait de la procédure d'autorisation en urgence utilisée par la FDA pour homologuer les vaccins Covid (archive): cette procédure demande à tout un chacun de rapporter n'importe quel effet important "indépendamment du fait que la personne le rapportant pense qu'il est lié au vaccin ou non". Ce qui n'est pas le cas pour les vaccins dits "de routine" comme la grippe.

La transparence et l'accessibilité totale qu'offre la base VAERS, outil précieux pour les chercheurs, est aussi une faiblesse en termes de possibilité de désinformation.

Des chercheurs (archive) ont montré que dans les Etats à majorité républicaine, dont les leaders comme Donald Trump ont affiché des positions contre le vaccin Covid, les signalements d'effets indésirables étaient supérieurs de 10% aux Etats à majorité démocrate, questionnant "la perception des effets indésirables liés au vaccin Covid ou la motivation à déclarer ces effets".

La base VAERS sur les vaccins Covid a été utilisée à de nombreuses reprises pour désinformer, comme l'AFP Factuel l'a déjà démontré ici ou par exemple.