"Il y a un traumatisme gilets jaunes": pourquoi la colère des agriculteurs inquiète l’exécutif

Tenter à tout prix de déminer la colère. Entre le blocage de l'autoroute A64 et une explosion nocturne dans des bureaux du ministère de l'environnement à Carcassonne, la colère des agriculteurs a passé un cran ces derniers jours. De quoi donner des sueurs froides au gouvernement, qui joue pour l'instant la carte de la câlinothérapie.

"Le moment est à l'écoute. Ce n'est pas la seule réponse mais ça fait du bien, c'est important", analyse ainsi Jérémy Decerle, député européen macroniste et ex-président des Jeunes agriculteurs auprès de BFMTV.com.

"Pas de panique à bord mais ça peut monter très fort"

Confonté à sa première crise d'ampleur, Gabriel Attal, qui n'a jamais planché sur les sujets agricoles, a immédiatement misé sur le velours. En déplacement dans le Rhône samedi, le Premier ministre a promis de "réduire la paperasserie" des agriculteurs pour leur "faciliter la vie".

Pour faire redescendre la pression, le locataire de Matignon va également recevoir ce lundi soir la FNSEA et les Jeunes agriculteurs.

Le projet de loi agriculture, pourtant dans les tuyaux depuis près d'un an et promesse d'Emmanuel Macron, a lui, été reporté. Suffisant pour calmer le monde agricole à un mois tout pile du salon de l'Agriculture?

"Il n'y a pas de panique à bord mais ça peut monter très fort", veut croire un conseiller de l'exécutif.

"Il y a un scénario assez noir: celui d'une contestation qui monte partout en France et qui donne envie aux agriculteurs de venir bloquer Paris avec leurs tracteurs pour l'ouverture du Salon", s'inquiète de son côté un député Renaissance qui suit de près le sujet.

"Une chose de bloquer les ronds-points, une autre de bloquer la capitale"

Si pour l'instant les points de blocage se situent principalement dans le Sud-Est, la FNSEA, le principal syndicat agricole, agite le chiffon rouge de mobilisations dans tout l'Hexagone.

"La FNSEA bande les muscles alors qu'en réalité, ils courent après le mouvement de contestation, ce qui n'est pas une bonne nouvelle. Un mouvement pas vraiment cadré, c'est toujours plus compliqué à anticiper", remarque de son côté l'ancien ministre de l'Agriculture sous Jacques Chirac, Dominique Bussereau.

"Mais c'est une chose de bloquer des ronds-points à la sortie d'autoroute, c'est autre chose de bloquer la capitale. Il faut des réseaux, des amis pour vous accueillir la nuit, des ressources techniques. Ce n'est plus le cas aujourd'hui", juge-t-il.

"Ne pas faire des agriculteurs des martyrs"

En toile de fond, se joue également les futures élections syndicales en 2025, poussant les centrales à ne pas vouloir sembler être à la remorque de leurs adhérents dans un contexte européen inflammable.

Des Pays-Bas à la Roumanie en passant par la Pologne ou l'Allemagne, les agriculteurs multiplient sur le continent européens les actions coup de poing.

Du côté du maintien de l'ordre, pas question cependant de hausser le ton. Gérald Darmanin a expliqué lors d'une conférence de presse lundi ne pas prévoir d'évacuation de manifestations agricoles.

"Le but est de ne pas mettre d'huile sur le feu. Donc on apaise, on discute, on n'envoie pas les policiers. L'idée est de ne surtout pas en faire des martyrs", avance un ancien conseiller du ministère de l'Agriculture.

"Traumatisme gilets jaunes"

C'est qu'une éventuelle conjonction des luttes est dans toutes les têtes au gouvernement. Si les revendications des agriculteurs sont très liées à leur métier, leur ras-le-bol pourrait parler bien plus largement.

"Les paysans, ce sont les gens qui se lèvent tôt, qui travaillent dur, gagnent souvent mal leur vie. Je pense que beaucoup de gens peuvent s'y reconnaître. Et l'essence chère et la hausse de l'électricité, ça touche très large", s'inquiète un conseiller ministériel.

Un cadre de la majorité évoque, lui, "le traumatisme gilets jaunes" et remarque qu'il y a "la même équation entre la fin du mois et la fin du monde"qu'en 2019, lors du début du mouvement.

Le gouvernement n'a eu de cesse de se méfier ces dernières années de leur éventuel retour, sans pour l'instant devoir s'y confronter. "Le monde agricole ne veut pas bloquer le pays. Il n’y a que des agriculteurs qui croulent sous les normes et des injonctions qui peuvent leur paraître contradictoire", veut encore croire un ministre.

Bardella en pole position

Dernière inquiétude pour le gouvernement: une nouvelle percée dans les sondages du RN, à cinq mois du scrutin pour les élections européens. Déjà très largement en tête dans les sondages, Jordan Bardella s'est emparé du sujet.

"Il y a un mouvement de colère qui est en train de se lever partout en Europe et le point commun de ce mouvement de colère c'est l'Union européenne", a tancé le patron du mouvement lors d'un déplacement dans une ferme laitière.

Plusieurs irritants pointés du doigt par le monde agricole ne peuvent d'ailleurs se régler qu'au niveau européen: augmentation des mises en jachère, ouverture de l'UE aux produits agricoles ukrainiens, réduction de l'usage de produits phytosanitaires...

"Ils ont 12 motifs de contestation et c'est compréhensible. Donc c'est difficile d'y répondre", regrette d'ailleurs un conseiller gouvernemental.

Un message qui vise bien au-delà du secteur agricole

Le vote des agriculteurs a cependant été très largement favorable à Emmanuel Macron ces dernières années, ne laissant pas augurer d'un ralliement massif aux urnes.

Mais le message de Jordan Bardella pourrait viser juste dans la population rurale et périurbaine.

"La défense d'un art de vivre à la française, de la défense de nos campagnes, ça brasse large, et pas que chez les propriétaires de tracteurs", reconnaît un conseiller ministériel qui prédit "une sale semaine" pour l'exécutif.

La colère des agriculteurs n'est pas le seul fer au feu pour Gabriel Attal. Entre la hausse des prix de l'électricité et la décision très attendue du Conseil constitutionnel sur la loi immigration, le Premier ministre va devoir s'accrocher dans les prochains jours.

Article original publié sur BFMTV.com