Rejet de la loi immigration: fragilisé après un sérieux revers, Gérald Darmanin reste à l'offensive

Un revers rarissime en politique. Le projet de loi immigration défendu depuis l'automne dernier par Gérald Darmanin n'aura même pas été examiné par les députés. Le ministre de l'Intérieur s'est vu infliger une humiliation après l'adoption d'une motion de rejet qui a stoppé net les débats.

À tel point que le locataire de la place Beauvau a proposé sa démission à Emmanuel Macron, qui a fait le choix de la refuser tout en mettant le cap sur l'après. "Nous devons proposer une suite pour ce texte", a-t-il déjà promis, en mettant sur la table la possibilité d'un retour de la loi au Sénat ou l'organisation d'une commission mixte paritaire.

Mais le ministre ne pourra pas faire l'économie d'une explication de texte pour comprendre son échec, à commencer par sa volonté de personnifier à l'extrême le débat.

La droite s'est "payé le ministre"

Si cette loi devait initialement être portée à la fois par Olivier Dussopt, le ministre du Travail issu des socialistes et le locataire de la place Beauvau, longtemps sur les bancs de la droite, le ministre de l'Intérieur a finalement fini par l'incarner seul.

De quoi y voir l'occasion pour ses anciens collègues LR de "se payer le ministre" qui avait rejoint la macronie en 2017, après avoir fait campagne pendant des semaines pour François Fillon. Olivier Marleix, le patron des députés LR, "me déteste", a d'ailleurs reconnu l'ex député-maire de Tourcoing dimanche.

Pas moins de 40 députés de droite, portés par leur numéro un, ont ainsi voté pour la motion de rejet. Tout un symbole après de fortes tensions avec Gérald Darmanin jeudi lors de l'examen de plusieurs de leurs propositions de loi.

Darmanin moqueur avec la droite et le RN

Le ministre de l'Intérieur avait ainsi sévèrement critiqué toutes les dispositions législatives souhaitées par la droite, les appelant, moqueur, à "gagner les prochaines élections" et n'hésitant pas à plusieurs reprises à les recadrer lors d'échanges en commission des lois.

Même constat pour le Rassemblement national qui avait laissé entendre pendant quelques semaines que ses députés pourraient voter en faveur de cette loi "si elle contenait des avancées pour les Français", comme l'avait expliqué le député RN Sébastien Chenu sur BFMTV.

Les députés de Marine Le Pen n'ont finalement guère apprécié d'être tancé à plusieurs reprises dans l'hémicycle par Gérald Darmanin après la mort du jeune Thomas à Crépol.

"Le gouvernement n'a eu de cesse de nous donner des leçons en matière d'immigration en nous pointant du doigt, en nous accusant de tous les maux", a avancé la députée Edwige Diaz dans l'Assemblée, après le vote.

Borne méfiante dès le départ

Au-delà de la volonté de Gérald Darmanin d'incarner le texte, cristallisant ainsi les critiques, le pari était risqué dès le départ en l'absence de majorité relative.

"Le compte n'y est pas", avait ainsi reconnu Élisabeth Borne en mars dernier pour reporter la loi immigration en évoquant le nombre de députés de droite prêts à la voter. Mais Emmanuel Macron avait fortement poussé pour faire arriver au Parlement "une loi juste et efficace", croyant dans son ministre de l'Intérieur pour convaincre.

Dès le printemps dernier, l'aile gauche de la macronie avait d'ailleurs prévenu que le calcul s'avérerait compliqué, entre besoin de séduire la droite et câlinothérapie de certains députés Renaissance, guère fans de certaines dispositions du projet de loi.

Les questions migratoires déjà explosives lors de la précédente législature

Certains, au sein de la majorité présidentielle, avaient également gardé en tête les débats explosifs lors de la loi asile-immigration portée par à l'époque par Gérard Collomb en 2018. Plusieurs élus macronistes s'y étaient fermement opposés à l'instar de Sonia Krimi et de Jean-Michel Clément. Mais le ministre tablait sur le barycentre de la majorité qui s'est déplacé et oscille désormais plus à droite qu'entre 2017 et 2022.

Preuve qu'il a probablement fait preuve d'optimisme: seules 5 voix ont manqué dans les rangs de la majorité ce lundi soir, soit pile le nombre qui aurait permis à la majorité présidentielle d'éviter une motion de rejet.

À quel point le ministre de l'Intérieur va-t-il être abîmé dans la durée par cet épisode? La question est ouverte tant Gérald Darmanin avait fait de ce projet de loi une rampe de lancement vers Matignon avant une éventuelle candidature à l'Élysée en 2027.

Si Emmanuel Macron ne compte pas se passer de l'un de ses rares ministres politiques, le crédit politique de Gérald Darmanin sera-t-il vraiment suffisant pour lui permettre de trouver une voie de passage pour faire passer sa réforme? Avec une relation durablement abîmée avec la droite, le doute est permis.

Article original publié sur BFMTV.com