Qu'est-ce que le GUD, que Gérald Darmanin veut dissoudre ?

Créée en 1968, cette organisation groupusculaire est l'un des emblèmes historiques de la mouvance identitaire en France.

Des membres du GUD ont défilé aux côtés d'autres groupes identitaires le 11 mai dernier à Paris. (Photo : Jerome Gilles/NurPhoto via Getty Images)

Depuis plus de 55 ans, il est un moteur et une marque emblématique de l'extrême droite en France. Ce mercredi 19 juin, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a annoncé sur BFM TV qu'il planchait depuis plusieurs mois sur une dissolution du Groupe Union Défense (GUD).

Ces derniers jours, le groupuscule identitaire, qui prône une idéologie néonazie fondée sur le suprémacisme, s'est retrouvé sur le devant de la scène médiatique à la suite de la condamnation, pour agression homophobe, de quatre individus qui ont ouvertement revendiqué leur affiliation à ce mouvement.

Créé en décembre 1968, le GUD est à l'origine une organisation étudiante. Toutefois, en dépit de cette date de naissance, "ses origines ne sont pas simplement une réaction à Mai 68", comme le précise l'historien Nicolas Lebourg dans un article intitulé "Histoire et bilans du Groupe Union Défense (GUD)".

En effet, d'après Marion Jacquet-Vaillant, docteure en sciences politiques citée par TF1 Info, "le GUD a été créé par des militants d'Occident, un mouvement d'extrême droite qui venait d'être dissous, en vue des élections étudiantes prévues en 1969". Plutôt que d'une création, il s'agit donc plutôt d'un nouveau départ pour la mouvance de droite radicale qui s'était cristallisée au sein d'Occident.

Ainsi, comme l'indique Nicolas Lebourg, les origines du GUD "renvoient d’abord à l’échec de la tentative de coup d’État d’avril 1961 (également connu comme le "putsch des généraux", ndlr), qui avait provoqué une rupture d’une partie de la jeunesse néofasciste avec la voie terroriste, puis une scission de la Fédération des Étudiants Nationalistes (FEN) donnant naissance au mouvement Occident en 1964".

Affirmant d'emblée des positions nationalistes, anticommunistes et antisémites, Occident prône aussi, dès le départ, l'action violente contre les militants de gauche. Entre 1966 et 1968, plusieurs attaques sont menées contre des universités et des locaux de syndicats étudiants, entraînant des représailles et une escalade de la violence. Après mai 1968, celle-ci prend de telles proportions que le ministre de l'Intérieur Raymond Marcellin décide de dissoudre le groupuscule d'extrême droite.

Très rapidement, cependant, les différentes factions réunies au sein d'Occident vont s'organiser pour poursuivre leur association dans la sphère universitaire, au sein du Groupe Union Droit (qui deviendra ensuite le Groupe Union Défense). Ainsi, comme le résume Nicolas Lebourg, "la construction d’un syndicat estudiantin est conçue comme une façon de contourner le délit de reconstitution de ligue dissoute".

Dès sa création au sein de l'Université Paris-Panthéon-Assas, les méthodes du GUD sont toutefois les mêmes que celles d'Occident. Dans les années 1970, ses militants "vont incarner le principal pôle d'extrême droite militante dans les facs", selon Marion Jacquet-Vaillant, en poursuivant leurs "actions violentes, notamment des affrontements contre des militants de gauche".

Après la victoire de François Mitterrand à l'élection présidentielle de 1981, le GUD décide de s'auto-dissoudre, mais il se reconstitue quelques mois plus tard à l'initiative d'une nouvelle génération d'étudiants d'extrême droite. Cet épisode marque un tournant décisif : à partir de cette date, il est en effet difficile de trouver de la continuité dans l'histoire du groupuscule.

Des années 1980 à nos jours, le GUD a en effet progressivement perdu son caractère de syndicat étudiant et a surtout constitué une "marque", selon le terme de Nicolas Lebourg, que se sont attribuées successivement différentes tendances de la mouvance identitaire, parfois en conflit les unes avec les autres. L'historien cite ainsi l'exemple de la sinistre passation de pouvoirs survenue en 2012, lorsque Logan Djian avait pris la tête du mouvement à la suite d'une violente agression sur le précédent chef du GUD, révélée par Mediapart.

Régulièrement mis en sommeil depuis 40 ans en raison de divisions internes ou d'une nécessité de faire profil bas à la suite d'une condamnation en justice, le GUD a toutefois "profondément marqué la contre-culture radicale de droite européenne avec leur emblème né fin 1970 : le rat noir belliqueux", selon Nicolas Lebourg.

"lI y a un mythe qui s'est construit, toujours d'actualité chez certains militants d'aujourd'hui, confirme Marion Jacquet-Vaillant, toujours citée par TF1 Info. C'est un étendard, qui a du sens : il renvoie au message que l'usage de la violence est ok. C'est un imaginaire qui a toujours du sens aujourd'hui." Cet imaginaire s'est notamment construit autour de l'emblème de la croix celtique.

Cette forte valeur symbolique explique d'ailleurs la dernière réapparition en date du GUD, datant de 2022. A la suite des dissolutions, décidées en conseil des ministres, des groupuscules Bastion Social en 2019, puis les Zouaves de Paris en 2022, d'anciens membres de ces organisations ont décidé de réactiver la marque historique de la droite identitaire française.

Une fois encore, cependant, les exactions des membres autoproclamés du GUD pourraient conduire à la dissolution du mouvement. Deux d'entre eux (Loïk Le Priol et Romain Bouvier) sont en effet accusés du meurtre de l'ancien rugbyman argentin Federico Martín Aramburú, tué de six balles dans le dos en mars 2022. Comme indiqué plus haut, quatre autres militants du GUD ont par ailleurs été condamnés la semaine dernière pour une agression homophobe.

Les circonstances de cette dernière attaque rappellent par ailleurs les liens troubles qui unissent le groupuscule identitaire et le principal parti d'extrême droite français. En garde à vue, les suspects ont en effet affiché des "revendications paramilitaires et d'affiliation au GUD et au Rassemblement National (RN)", ils ont par ailleurs affirmé que le soir de l'agression, survenue le dimanche 9 juin, ils étaient en train de fêter la victoire de leur camp aux élections européennes.

Si le président du RN a assuré au micro de BFM TV qu'il dissoudrait le GUD s'il devenait Premier ministre après les élections législatives des 30 juin et 7 juillet, Jordan Bardella ne peut ignorer que ce mouvement est directement impliqué dans la création de son parti. Nicolas Lebourg rappelle ainsi que l'organisation initiale du GUD "est parvenue à créer Ordre Nouveau (ON) en 1969, seul mouvement néofasciste à avoir atteint les 2 500 encartés et qui, à son tour, a fondé le Front National (FN) en 1972".

Au fil des années, les liens entre le GUD et FN, devenu RN en 2018, ne sont pas distendus, bien au contraire. Ainsi, si "le niveau de porosité entre le GUD et le RN est impossible à prouver aujourd'hui", comme le formule Marion Jacquet-Vaillant, cette "porosité" est bien réelle, comme en atteste par exemple la présence de Jean-Lin Lacapelle, membre historique du GUD dans les années 1980, parmi les candidats investis par le RN pour les législatives.

D'après Nicolas Lebourg, l'influence du groupuscule s'est progressivement installée dans les hautes sphères du parti au cours du XXIe siècle, autour de personnages sulfureux comme Axel Loustau ou Frédéric Châtillon. "Dans le sillage de la prise du FN par Marine Le Pen, les gudards des années 1990 ont imposé leur leadership dans l’articulation entre le parti national-populiste et la frange radicale", résume l'historien. Dans ces conditions, difficile d'imaginer que la dissolution de la version actuelle du GUD puisse provoquer l'extinction de cette tendance radicale et violente au sein de l'extrême droite française.