Elections européennes : un Pacte vert flétri par la désinformation

De plus en plus contesté dans le champ politique, le Pacte vert de l'UE est aussi la cible avant les élections européennes de campagnes de désinformation destinées à l'accuser de tous les maux, comme l'introduction d’un supposé "passeport carbone" ou l'interdiction de réparer les voitures de plus de 15 ans. Les vérifications des fact-checkeurs de l'AFP et des autres membres du projet Elections24Check, qui rassemble des articles sur la désinformation à l'approche du scrutin prévu du 6 au 9 juin, en attestent.

Projet se voulant fédérateur et visant à décarboner l'Union européenne et à préserver ses écosystèmes, le "Green Deal" a marqué le mandat d'Ursula von der Leyen à la tête de la Commission mais il est désormais sous le feu de critiques ouvertes à droite, à l'extrême droite et dans certains secteurs comme l’agriculture. Au point que son avenir apparaît "conditionné" aux résultats des élections, comme le relève un article (archivé ici) du site français Les Surligneurs.

Cette bataille pour l'avenir du Pacte vert se joue aussi sur les réseaux sociaux où s'opère, selon Arnaud Mercier, professeur en sciences de l'information à Paris (Université Panthéon-Assas), "une convergence des luttes entre extrême droite, climato-scepticisme et conspirationnisme" pour tenter de le délégitimer par le biais de la désinformation.

Avec le renfort, souligne-t-il, d'internautes méfiants vis-à-vis de l'Europe ou de la science qui peuvent "de bonne foi" se faire les relais de telles campagnes.

D'autres chercheurs mettent en exergue l'action délibérée d'Etats cherchant à affaiblir l'UE. "Le Kremlin diffuse de manière active des narratifs de désinformation relatifs au Pacte vert", avertit ainsi Martin Vladimirov, le directeur du programme énergie et climat du Centre pour l'étude de la démocratie de Sofia (Bulgarie), qui cite la propagande prorusse "sur les dangers des éoliennes".

Celles-ci ont par exemple été accusées à tort de provoquer des sécheresses, comme l'explique cet article de vérification de l'AFP en Allemagne, ou de faire disparaître toute forme de vie dans un rayon de 15 km, selon le site de vérification letton Re:Baltica (lien archivé ici).

<span>Capture d'écran d'une publication Facebook trompeuse, prise le 17 avril 2024</span>
Capture d'écran d'une publication Facebook trompeuse, prise le 17 avril 2024

Plus largement, le climat fait régulièrement l'objet de fausses allégations sur les réseaux sociaux. Au 29 mai 2024, la question climatique figurait ainsi comme le deuxième sujet le plus cité dans articles de vérifications ajoutés à la base de données Elections24Check, derrière la guerre en Ukraine. 

<span>Capture d'écran du site Elections24Check, prise le 29 mai 2024</span>
Capture d'écran du site Elections24Check, prise le 29 mai 2024

Les fact-checkeurs de l'AFP et de la quarantaine d'organisations participant à ce projet ont notamment mis en évidence ces derniers mois une série d'allégations trompeuses sur des réformes du Pacte vert adoptées (transports, énergie), enlisées (agriculture, biodiversité) ou même... inventées.

Ainsi cette accusation qui, comme l'a montré l'AFP, a circulé en Roumanie sur la prétendue instauration par l'UE d'un "passeport carbone" pour mesurer les émissions de chaque personne, dénoncée comme étant liberticide.

Malgré les démentis catégoriques des institutions européennes qui affirment n'avoir jamais envisagé une telle mesure et rappellent que "la liberté de circulation et de séjour des personnes dans l'Union européenne est la pierre angulaire de la citoyenneté européenne", la fausse information a été notamment relayée par une députée du parti d'extrême droite AUR, Gianina Serban, qui l'a utilisée pour dénoncer la transformation de l'UE en "commissariat soviétique" et appeler à voter pour "les patriotes et les souverainistes" aux élections européennes.

Dans un autre domaine, le "Green deal" a aussi été accusé de manière tout aussi fantaisiste de préparer l'interdiction de "cultiver des légumes et des fruits pour ses propres besoins", selon des messages d'internautes en Pologne analysés par le site de vérification Demagog (lien archivé ici).  

L'automobile, sujet ultra-sensible

Dans les cas les plus fréquents, la désinformation porte sur des textes existants qu'elle dénature.

L'automobile, avec la mesure phare de la fin des moteurs thermiques dans les voitures neuves vendues à partir de 2035, est un sujet ultra-sensible. Aux quatre coins de l'Europe (France, Grèce, Allemagne, Roumanie, Angleterre, République tchèque, Bulgarie et Pays-Bas), des internautes ont ainsi affirmé que l'UE allait interdire la réparation des véhicules "de plus de 15 ans" ou même les "saisir" pour les "mettre au rebut".

<span>Captures d'écran réalisées sur X (ex-Twitter), à gauche, et sur Facebook, à droite, le 24 janvier 2024</span>
Captures d'écran réalisées sur X (ex-Twitter), à gauche, et sur Facebook, à droite, le 24 janvier 2024

Vérification faite par l'AFP, la Commission européenne a effectivement proposé, en juillet 2023, de réviser son texte sur les "véhicules hors d'usage" (VHU) pour que leur recyclage soit mieux géré. Cette proposition de règlement - qui doit encore être adoptée pour entrer en vigueur - ne prévoit pas de mesure spécifique pour les voitures de plus de 15 ans.

Ce document propose de considérer comme "techniquement irréparable" tout véhicule dont la réparation nécessite "le remplacement du moteur, de la boîte de vitesses, de la carrosserie ou du châssis". Mais cela n'interdirait pas pour autant à un particulier de faire réparer un tel véhicule s'il le souhaite.

Concernant les propriétaires de voitures, cette proposition de règlement rappelle seulement l'obligation de remettre leur véhicule en fin de vie à une installation de traitement agréée. Les autres obligations concernent les constructeurs et les Etats membres dans un objectif d'amélioration de la collecte, du traitement et du recyclage des VHU.

Autre exemple relevé par l'AFP, cette fois en Suède: des internautes ont réclamé la sortie de leur pays de l'UE après des publications sur la loi de restauration de la nature votée fin février 2024 au Parlement européen, qui affirmaient à tort que ce texte-clé du Pacte vert européen excluait toute pratique agricole dans les zones restaurées.

<span>Capture d'écran prise sur Facebook le 6 mars 2024</span>
Capture d'écran prise sur Facebook le 6 mars 2024

De même circule sur les réseaux sociaux au Portugal le chiffre d'une mise en jachère imposée de 10% des terres agricoles qui ne figure nulle part dans le texte de cette loi, comme le pointe le site Poligrafo (lien archivé ici).

Et en Pologne, la Confédération, une formation nationaliste dénonçant les "politiques absurdes de l'Union européenne", a accusé à tort cette même loi d'imposer aux agriculteurs polonais d'inonder des tourbières drainées, explique le site Demagog (lien archivé ici).

La loi impose en fait d'instaurer d'ici à 2030 des mesures de rétablissement des écosystèmes sur 20% des terres et espaces marins à l'échelle de l'UE, et de restaurer au moins 30% des habitats (zones humides, forêts, etc.) en mauvais état.

Mais elle a été critiquée par des députés conservateurs ainsi que par des agriculteurs qui ont organisé des manifestations dans plusieurs pays européens. 

Et l'ultime feu vert formel des Vingt-Sept, indispensable avant une entrée en vigueur de ce texte, se fait toujours attendre. Faute de majorité requise (15 pays représentant 65% de la population de l'UE), le sujet a été retiré fin mars d'une réunion des ambassadeurs des Etats.

"Repolitiser" le débat

"Une partie non négligeable des 'fake news' reposent sur une part de vérité, vont picorer dans des éléments qui ont pu à un moment circuler pour se rendre crédible, mais procèdent par exagération, décontextualisation", analyse Arnaud Mercier.

"Un dispositif complexe comme celui de l'Union européenne s'y prête d'autant mieux, avec de multiples instances, intervenants, lobbies et la manipulation découle alors de l'attribution à l'institution dans son ensemble de ce qui a pu être seulement évoqué ici ou là", insiste l'universitaire.

<span>Tourbière de Champgazon dans la réserve naturelle du Morvan en France, le 12 octobre 2023</span><div><span>ARNAUD FINISTRE</span><span>AFP</span></div>
Tourbière de Champgazon dans la réserve naturelle du Morvan en France, le 12 octobre 2023
ARNAUD FINISTREAFP

Mais, plus largement, c'est "la rhétorique politique consistant à ne pas dire exactement" quels sont les vrais enjeux "pour obtenir une forme de compromis politique" sur les questions environnementales, qui, selon lui, alimente involontairement cette désinformation parce qu'elle "ouvre un espace que viennent combler des récits alternatifs".

Le chercheur bruxellois Alvaro Oleart (ULB) met lui aussi en cause le discours trop "technocratique" d'Ursula von der Leyen et des promoteurs du Pacte vert qui ont contribué selon lui à "dépolitiser les enjeux".

"Le meilleure façon de combattre la désinformation, estime Alvaro Oleart, c'estmoins de faire du fact-checking que d'encourager un débat politique" gauche-droite autour de ces questions pour "les repolitiser", en relevant "les tensions", en nommant "les gagnants et les perdants de ces transformations".

Cet article fait partie d'un projet commun à plus de 40 organisations, dont l'AFP, mené par le Réseau européen des normes de vérification des faits (EFCSN). L'objectif du projet est de lutter contre la désinformation en lien avec les élections européennes de 2024. Plus d'informations peuvent être trouvées sur elections24.efcsn.com .