Législatives 2024 : pourquoi le scénario d'une majorité relative fait trembler le monde politique

La majorité absolue est atteinte par un groupe à partir de 289 députés. En dessous, on parle de majorité relative, comme c'était le cas lors de la dernière législature.

Jordan Bardella n'accepterait d'entrer à Matignon qu'en cas de majorité absolue  (Photo by GUILLAUME SOUVANT / AFP)
Jordan Bardella n'accepterait d'entrer à Matignon qu'en cas de majorité absolue (Photo by GUILLAUME SOUVANT / AFP)

"Pour gouverner, pour nous essayer, j'ai besoin d'une majorité absolue", a assuré Jordan Bardella dans une interview au Parisien lundi soir, assurant qu'il serait impossible de "changer le quotidien des Français en cohabitation avec une majorité relative".

"Je veux être en situation d’agir", a précisé le lendemain matin le leader du parti d'extrême droite sur CNews / Europe 1 précisant qu'il "n’envisage pas d’être un collaborateur du président". "S’il y a une majorité relative, le Premier ministre ne peut pas agir", a-t-il martelé, comme un message aux électeurs avant les législatives des 30 juin et 7 juillet prochain.

Sondage après sondage, projection après projection, le scénario d'une majorité relative pour le RN semble probable, à moins de deux semaines du premier tour des élections législatives, entrainant donc une cohabitation entre Emmanuel Macron et le Premier ministre.

"La cohabitation est déjà structurellement compliquée avec une majorité absolue, car le président a des marges de manoeuvres : il pèse sur les nominations, si le gouvernement veut légiférer par ordonnances, il peut refuser de les signer... Si en plus de ces difficultés structurelles, vous ajoutez une majorité relative, alors vous avez un exercice du pouvoir beaucoup plus contraint", nous explique Arnaud Benedetti, Professeur associé à la Sorbonne et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire (RPP).

Des éléments qui pourraient avoir refroidi Jordan Bardella d'entrer à Matignon en cas de majorité relative à l'issue du second tour du 7 juillet, alors que l'idée d'envoyer le patron du parti frontiste à Matignon était jusqu'à présent clamée par le RN sans condition.

"Avec une majorité relative dans le cadre d'une cohabitation, vous avez d'un côté une action qui peut être entravée par les marges de manoeuvres propres au président, et de l'autre une action qui peut être entravée par les oppositions qui peuvent voter une motion de censure. On l'avait déjà vu ces dernières années, et encore, c'était dans une situation où le président avait une majorité conforme à ses idées", prolonge l'auteur de 'Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ?' (Michel Lafon).

Depuis les élections législatives de 2022 et jusqu'à la dissolution de l'Assemblée nationale, Emmanuel Macron gouvernait avec une majorité relative, avec 250 députés pour la coalition de la majorité. Son gouvernement a fait face à 32 motions de censure depuis les élections législatives de 2022. Motions qui ont toutes échoué.

"Être Premier ministre de cohabitation sans majorité absolue, c'est la promesse de jours très compliqués. Emmanuel Macron l'a expérimenté non pas en cohabitation, mais uniquement avec une majorité relative. Mais en plus en cohabitation… En fait, tout va se jouer le 7 juillet au soir quand on aura les compositions des groupes politiques car vous pouvez très bien ne pas avoir majorité absolue mais bénéficier de soutiens ponctuels grappillés", estime de son côté Nathalie Schuck, grand reporter politique au Point.

VIDÉO - Nathalie Schuck sur les législatives 2024 : "Un Premier ministre de cohabitation sans majorité absolue, c'est la promesse de jours très compliqués"

"Tout dépendra du niveau de la majorité relative", prolonge Arnaud Benedetti. "Si vous avez 275, 280 députés avec les réserves de voix à droite par exemple pour le RN, c'est envisageable de gouverner pour un parti en allant chercher des alliances avec certains députés. Mais si vous êtes au plus bas, avec 220 députés par exemple, ce sera très compliqué de gouverner".

Avec les 250 députés de la désormais ancienne majorité, Emmanuel Macron et le gouvernement ont dû conclure des alliances au cas par cas pour faire adopter les lois, faute d'obtenir un accord avec les 61 députés Les Républicains ou avec toute autre groupe politique.

"Ce que Macron pourrait vouloir faire, c'est construire une majorité en pointillés : quelques PS, quelques LR, des non-inscrits. Cela permettrait de gouverner, mais ce ne serait pas durable sur la distance quand on voit les difficultés qu'a eu le président pour gouverner pendant deux ans avec une majorité relative. Alors avec une majorité relative dont il ne détiendrait pas toutes les pièces, avec des ralliements de tous les côtés au coup par coup, ce serait intenable", estime l'auteur de 'Aux portes du pouvoir – RN, l’inévitable victoire ?' (Michel Lafon).

Il reste d'autres scenarii qui n'ont pas été abordés : "Un parti peut arriver en tête des législatives et refuser de gouverner, il peut aussi ne pas y avoir de majorité du tout, c'est-à-dire une impossibilité des forces politiques représentées au Parlement de se mettre d'accord pour former un gouvernement. Dans ce cas, on ajouterait une crise institutionnelle à la crise politique", ajoute Arnaud Benedetti.

À ces questions s'ajoute celle de "la loyauté de la haute administration, qui risque d'être complexe à obtenir dans le cadre d'une cohabitation et d'une majorité relative", ajoute le rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire (RPP). L'Express rapporte que des hauts fonctionnaires ne semblent pas prêts à travailler avec le Rassemblement national, rappelant par exemple le cas du préfet du Var qui refusait de s'afficher aux côtés de la député frontiste Laure Lavalette.