Législatives 2024 : pour ces Français binationaux, la mesure proposée par le RN suscite craintes et agacement
ÉLECTIONS LÉGISLATIVES - « En somme, on nous dit qu’il y a des bons et des mauvais Français, des vrais et des faux ». Baya est franco-algérienne et quand elle a entendu la promesse de la campagne du Rassemblement National d’interdire certains « emplois sensibles » aux binationaux, elle raconte avoir « ri jaune ».
Elle n’est pas la seule que cette proposition du parti d’extrême droite, qui ne concernerait « que quelques dizaines d’emplois très sensibles » assure Marine Le Pen, a fait réagir. Quel message cette annonce envoie-t-elle aux binationaux de France ? Trois d’entre eux ont pris le temps de l’expliquer au HuffPost.
Une vision essentialisante
Baya est née en France et a acquis la nationalité algérienne sur le tard, pour régler des questions administratives et familiales au pays de son père. Elle déplore l’idéologie qui, selon elle, accompagne cet engagement du parti à la flamme : « écarter et rejeter les personnes qu’on considère comme étrangères, alors même qu’elles ont la nationalité française. »
Walid, franco-marocain de 38 ans, y voit quant à lui une forme d’essentialisation. « Qu’est-ce qui distingue une personne qui n’a que la nationalité française et qui est susceptible de collusion avec, disons, la Russie, de quelqu’un qui a une double nationalité, si ce n’est une vision essentialisante ? », soupire le reporter et documentariste. Pour lui, porter cette mesure revient à ouvrir une brèche dans une République qui considère tous ses ressortissants comme égaux en droit. « Même si on disait : seuls les binationaux d’un pays spécifique n’ont pas le droit d’accéder à un seul métier, ça reviendrait à faire une liste et à créer deux catégories de Français. » Dans le post Instagram ci-dessous, il a exprimé son désarroi.
« L’un et l’autre, pas l’un ou l’autre »
Tous les interrogés le racontent, on leur a souvent présenté leur double nationalité comme une sorte de dilemme identitaire. Une vision parfaitement opposée à la manière dont ils se perçoivent. « Je me sens l’un et l’autre, pas l’un ou l’autre. Ça n’a jamais été un problème pour moi », explique Walid, qui se souvient avoir été peiné des procès d’intention qui étaient faits aux franco-marocains lors du match France-Maroc de la dernière coupe du monde de football. « La situation a été présentée partout comme un dilemme, alors que moi, j’étais juste heureux de voir les deux équipes jouer. Celle du pays où j’ai grandi, où je me suis épanoui et où je fais ma carrière, et celle du pays de mon père où j’ai mes racines », décrit-il.
Mustapha* cite lui aussi l’exemple du football, où la double nationalité est « souvent traitée par le prisme du choix » au gré de diverses polémiques. Un parti pris qui va à l’encontre de ce qu’il ressent. « Je suis fier de ma double nationalité. Elle représente à la fois le passé et mes ancêtres, et le futur, le mien mais aussi celui de mes enfants qui naîtront en France et qui feront partie de l’histoire de ce pays », décrit le juriste franco-algérien, qui s’estime heureux de ne pas avoir à « choisir ». Un avis que rejoint Baya, pour qui la double nationalité est une manière apaisée de se dire que « ma culture, celle du pays où j’ai grandi, et l’héritage de mes parents peuvent coexister, et ne sont pas antinomiques », souligne-t-elle, avant de préciser : « Si on me demandait de choisir, je trouverais ça crétin, mais je choisirais la nationalité française. »
Une mesure qui inquiète
Mais alors que tous les interrogés célèbrent leurs identités multiples et la manière dont elles s’enrichissent, l’annonce d’une mesure de cet ordre inquiète. « Dire aux binationaux “vous êtes bien pour faire certains jobs, mais les emplois stratégiques et importants, n’y pensez même pas”, ça induit une hiérarchie entre les Français qui est détestable », s’agace Mustapha.
« Qu’est-ce qui nous garantit que cette mesure ne sera pas élargie petit à petit à d’autres métiers ? À partir du moment où l’État bascule dans des principes qui ne sont pas républicains, qu’est-ce qui se passe ? », s’interroge Walid. Il n’est pas le seul : sur les réseaux sociaux, nombreux sont celles et ceux qui ont partagé leurs inquiétudes face à une mesure jugée dangereuse ou raciste.
Toujours aucun danger majeur, vraiment.
Le monsieur est juste en train de dire qu'un Français binational est moins français que les autres et qu'ils vont les virer des emplois publics.
Voyons, qui a déjà fait ça... https://t.co/1j7Gbkh8Wb— Padre_Pio (@Padre_Pio) June 24, 2024
Bon, je me sens rarement visée, mais lire tous les jours "binational" me met très mal à l'aise. Je suis binationale et fière - des deux à égalité. Si d'aventure on me disait de choisir entre les 2, j'abandonnerais sans regret la nationalité d'un Etat devenu raciste et intolérant.
— Anna Kubišta (@AnnaKubista) June 24, 2024
Pour l’heure, la proposition du rassemblement national ne semble pas réalisable : interrogé par Le HuffPost, le professeur de droit public Mathieu Carpentier a estimé que pour le Conseil Constitutionnel, une mesure de cet ordre semblerait contraire à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
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