Cyclisme: Raphaël Géminiani, le "Grand fusil", est décédé

Raphaël Geminiani à Saint-Etienne le 3 août 1950 (-)
Raphaël Geminiani à Saint-Etienne le 3 août 1950 (-)

Une légende du cyclisme a disparu vendredi avec le décès de Raphaël Géminiani, le "Grand fusil", 99 ans et 48 Tours de France au compteur, notamment en tant que directeur sportif de Jacques Anquetil.

Grande figure du cyclisme d'après-guerre, l'Auvergnat, né le 12 juin 1925 à Clermont-Ferrand, est décédé de vieillesse dans la matinée dans une maison de retraite de la banlieue de Clermont-Ferrand, a appris l'AFP de l'entourage de sa famille.

"C'était une grande figure, un homme formidable qui avait le sens de la répartie" a salué le patron du Tour de France Christian Prudhomme.

Géminiani a pesé durant plusieurs décennies sur le cyclisme français. En tant que coureur, l'un des plus valeureux d'une époque dorée pour ce sport, puis en tant que responsable d'équipe, l'un des premiers à avoir introduit les marques extra-sportives dans le peloton des années 1960.

Sur le vélo, "Gem" a flingué à tout-va. Champion de France en 1953, il finit second du Tour de France 1951, son meilleur classement à l'arrivée à Paris.

"Hugo Koblet était le plus fort. Le Tour le plus facile à gagner eut été celui de 53, mais j'ai souffert d'une bronchite. C'est véritablement en 58 (3e après avoir porté le maillot jaune pendant quatre jours, ndlr) que j'ai pêché, par excès de négligence", expliquait le Clermontois à l'AFP lors d'une rétrospective sur le centenaire du Tour.

"Je surveillais trop Anquetil avec lequel je me suis harponné, sans me méfier de Charly Gaul, à seize minutes, qui a fait un festival. J'ai eu, de plus, la malchance de tomber sur le Tour où il n'y a pas eu le moindre jour de repos, lequel aurait pu me remettre les idées en place".

- Un tandem fort avec Anquetil -

Coureur passe-partout (vainqueur du GP de la montagne au Tour et au Giro), indifférent à la météo, le fils d'émigrés romagnols ayant fui le fascisme était emporté et impétueux. C'était là un trait de caractère à l'origine de son surnom: le "grand fusil".

Explication de l'intéressé: "En 55, Louison (Bobet) avait connu des difficultés. Il était inquiet au point que je me mis en devoir de le rassurer. +Te biles pas, lui avais-je dit, je vais te mettre des coups de fusil là-dedans+. Reconnaissant, Bobet avait ensuite lâché devant un journaliste: +ah!, sacré Grand fusil+. J'avais trouvé mon nom de guerre."

Coureur durant douze saisons, il passa derrière le volant des voitures d'équipes pour diriger des équipes (Saint-Raphaël, Ford, Bic...) et mener à la victoire dans le Tour Jacques Anquetil, par trois fois, puis Lucien Aimar en 1966.

Ah, Anquetil ! "Tout nous opposait au début", racontait-il en 2018 en présentant un livre évoquant sa relation avec l'inoubliable champion normand, quintuple vainqueur du Tour. "Et finalement on s'est entendu comme rarement dans le cyclisme il y a eu un tandem aussi fort. Lui avait confiance en moi et moi j'avais confiance en lui".

- "Coppi était surnaturel" -

Dans sa retraite des environs de Clermont-Ferrand, "Gem" aimait égrener les souvenirs.

Le Tour le plus marquant ? "Celui de 47. On était tous à redécouvrir une nouvelle épreuve. La fête était totale. Il n'y avait pas de télévision ni de voitures, pas de concurrence. Il n'y aura jamais autant de monde sur les routes."

Le plus grand champion du Tour ? "Eddy Merckx car on est bien obligé d'associer à ses cinq succès, les cinq autres réalisés sur le Giro. Derrière lui, je placerais Jacques Anquetil et Bernard Hinault à égalité."

Le "campionissimo" Fausto Coppi ? "Il était surnaturel, le coureur le plus complet que j’aie jamais connu. J’ai eu la chance d’être son coéquipier en 52 et ça m’a foutu le moral en l’air! Il avait une vie monacale. Toujours dans le noir, à descendre les escaliers un par un. Mais dès que venait l’entraînement... Une fusée."

Fort en gueule, amateur de bons mots, de cigarettes et de whisky, le "Grand Fusil" incarnait une époque passée, au parler dru évoquant le travail et la souffrance dans un sport fait de rudesse.

jm/obo/