"On n'a pas le choix": ces députés racontent la galère de monter une campagne législative en quelques jours

"Violent", "compliqué", "stressant": le contexte de ces législatives anticipées est complexe pour les députés, mais la campagne express -débutant officiellement ce lundi 17 juin- qu'ils ont dû préparer ne leur a guère laissé le temps d'y réflechir.

Avec l'annonce dimanche 9 juin au soir, post scrutin des européennes, de la dissolution de l'Assemblée nationale, les 577 parlementaires ont été pris de court: fin de mandat immédiate. La grande majorité est repartie en campagne pour tenter la réinvestiture le 30 juin et 7 juillet prochains. Entre délais très courts et gestion RH douloureuse, les obstacles ne manquent pas dans leur course à l'hémicycle.

"Un marathon qu'on doit courir au rythme d'un 400 mètres" pour les uns, "une inconscience" pour les autres. Ou encore "un manque de respect pour le travail parlementaire". "Mais c'est comme ça, on n'a pas le choix", ont déploré plusieurs députés auprès de BFMTV.com.

"On peut quand même se demander quelle inconséquence a poussé à l'organisation d'une campagne nationale en moins de trois semaines...", commente Alexandre Loubet, candidat RN en Moselle et directeur de la campagne des législatives du parti lepéniste.

Avant la campagne express, clôture de mandat éclair

Première étape avant de s'atteler à la montagne de tâches que nécessite une campagne menée dans des délais très réduits: fermer la page de cette XVIe mandature. Soit abandonner tous les dossiers en cours, vider les bureaux de l'Assemblée nationale, faire ses cartons et surtout, licencier ses salariés du jours au lendemain. Et il a fallu faire vite: le 18 juin, tous les accès au Palais Bourbon seront impossibles et les badges de milliers de personnes qui y travaillent, désactivés.

"Allez faire un déménagement en même pas trois jours, avec des cartons qui arrivent très tard et des bennes pour les dossiers, les papiers qu'on nous met à disposition au dernier moment...", souffle l'élu sortant écologiste Sébastien Peytavie qui raconte avoir été complètement pris de court par les évènements. Mais c'est licencier ses quatre collaborateurs "qui a été le plus difficile", évoque-t-il.

"Ça, ça a été d'une violence sans nom", abonde l'horizons Vincent Thiébaut. "Ils se sont retrouvés au chômage du jour au lendemain. Dans une élection normale, ils sont prolongés dans le cadre de la campagne", précise-t-il.

"Tout est intense"

Lettres de licenciement rédigées, voilà qu'il faut reconstituer une équipe de campagne... avec ceux qui acceptent de rester bénévolement en espérant une réélection de leur employeur.

Mais il faut aussi "dénicher des communicants, retrouver une suppléante en 24h pour remplacer celle qui vous lâche plus tôt que prévue. Et bah ensuite allez! Il faut rédiger ses voeux de campagne et sa profession de foi", raconte le candidat du Bas-Rhin, Vincent Thiébaut.

"Donc penser à une direction artistique, à un visuel, un code couleur, faire des essais de tract, faire le bulletin de vote...", énumère Sébastien Peytavie, candidat à sa réelection en Dordogne.

"Et tout ça avant mardi sans faute", précise Alexandre Loubet du RN. Tout devait en effet être envoyé avant ce week-end à l'impression. Mardi 18 juin à 18 heures au plus tard, les imprimeurs doivent avoir livré les documents aux routeurs pour faire parvenir les professions de foi par courrier aux 40 millions d'électeurs. Et les bulletins et affiches aux bureaux de vote.

"On a travaillé jusqu'à 3-4h du mat' la nuit de jeudi à vendredi pour tenir les délais", rit nerveusement l'écologiste Sébastien Peytavie.

Résultat d'une telle précipitation: des visuels qui vont au plus simple, même pour des ministres en exercice, comme en témoignent ces affiches publiées sur X (ex-Twitter) par Gérald Darmanin.

Travailler où et avec quoi?

Au-delà de la question du temps, il y a aussi celle des moyens. Si vous travailliez avec du matériel acheté avec l'avance de fais de mandats fournie par l'Assemblée, vous pouvez dire au revoir à vos outils de travail quotidien. Tous les ordinateurs, téléphones et véhicules professionnels de la mandature clôturée précipitemment n'ont pas le droit d'être utilsés pour faire campagne.

"Ça parait bête, mais ceux qui faisaient Paris-leur circonscription avec un véhicule pro, et bien ils doivent en retrouver un... C'est pas le plus compliqué de souscrire à une location de voiture, mais c'est que des choses comme ça qui s'accumulent toute la journée...", soupire Vincent Thiébaut d'Horizons.

La collaboratrice d'une députée Renaissance, qui a décidé de repartir en campagne aux côtés de son élue, s'excuse, sous l'eau: "Je n'ai pas le temps de parler, je suis vraiment désolée. J'ai vraiment, mais vraiment, un million de trucs à faire, à gérer et à terminer avant le week-end".

Autre nerf de la guerre de ces législatives: l'argent. Or une campagne est très réglementée. "On ne peut absolument pas faire d'avance de frais ni débourser quoi que ce soit de notre poche", rappelle Alexandre Loubet du RN. Ainsi, avant d'investir dans le moindre tract à imprimer, il faut ouvrir un compte de campagne. Et donc attendre sa carte de crédit, son code, trouver l'argent et le déposer... En fonction des banques, cela peut prendre plusieurs jours et bloquer les candidats.

Enfin, la question des lieux de réunion, maintenant que les bureaux de l'Assemblée ont été vidés, se pose également. Du côté de la députée Renaissance Eléonore Caroit, on se retrouve soit dans des co-working, soit directement chez elle. "On passe un peu d'un appartement à un autre, chez les uns et les autres", concède de son côté Vincent Thiébaut.

Les permanences parlementaires ne sont quant à elles pas utilisables puisqu'appartenant, elles aussi, à la précédente mandature. Sébastien Peytavie a, par exemple, dû négocier un avenant de contrat avec le propriétaire du local pour transformer la salle en QG de campagne.

Les presses tournent à toute vitesse

Pour obtenir toute la "propagande officielle" selon le terme consacré par le réglement électoral -qui regroupe le bulletin de vote, l'affiche officielle, la profession de foi- les députés de chaque parti jouent contre contre la montre. Sauf qu'après les européennes, les imprimeurs de tout le territoire ont été confrontés à la question des réserves de papier.

"Chez nous, tous nos imprimeurs nationaux tournent à fond pour ces impressions indispensables", relate le responsable de la campagne des législatives pour le RN. "Plus rien ne permet derrière d'imprimer des affiches ou tracts génériques avec Marine Le Pen ou Jordan Bardella pour tous les candidats. On n'aura pas assez de machines disponibles", explique-t-il.

Pas possible non plus d'aider les candidats à imprimer leurs tracts locaux, où ils peuvent par exemple expliciter leur bilan à leurs conscrits. Ils devront le faire chacun dans les petites imprimeries locales, si elles ont encore du papier en stock.

Attention au milieu de toute cette logistique "extrêmement compliquée", décrit le député sortant Horizons Vincent Thiébaut, de ne pas oublier de déposer sa candidature, au risque d'avoir passé toute cette semaine à carburer pour rien.

Le dépôt était ouvert jusqu'à dimanche, dernier jour, où les préfectures ont tenu exceptionnellement une permanence. "Je voulais y aller plus tôt, mais pas le temps. Tant pis, ce sera dimanche à la dernière minute", conclut Sébastien Peytavie, qui, une fois qu'il a raccroché, y retourne aussitôt.

Article original publié sur BFMTV.com