"Cataclysme", "état de choc": après la dissolution, le licenciement de plus de 2000 collaborateurs parlementaires

Le Palais-Bourbon, une petite entreprise qui connaît la crise. Lorsqu'Emmanuel Macron annonce la dissolution de l'Assemblée nationale dimanche 9 juin au soir, dans la foulée de la victoire du Rassemblement national aux européennes, la foudre présidentielle n'a pas frappé que les 577 députés. Derrière eux, c'est tout l'écosystème des collaborateurs parlementaires qui s'en trouve chambardé. Ces quelques 2080 petites mains qui accompagnent jours et nuits les élus de l'hémicycle, dont la mission peut aller de la tenue d'un planning, à la rédaction de discours et d'amendements, la veille juridique ou tout simplement répondre aux emails du député.

Dans l'arrière-boutique du Palais-Bourbon, la tenue d'élections législatives anticipées a stupéfait nombre de collaborateurs et de collaboratrices parlementaires. Chez les salariés des députés Renaissance, en particulier, l'horizon est pour l'instant bouché.

"Cataclysme politique"

Arthur est collaborateur d'une députée de la majorité présidentielle depuis plus de 2 ans. Dimanche 9 juin, il est président d'un bureau de vote qui ferme à 20 heures, et n'a donc pas accès à son téléphone. En plein dépouillement, il se met à sonner, sans s'arrêter. "Je reçois un message de ma mère qui me demande ce que veut dire 'dissolution'. Je lui demande 'pourquoi cette question?'. "Macron vient de dissoudre", me répond-elle. Je lui explique que je viens de perdre mon emploi, c'est elle qui me l'apprend".

Ces "collab", comme on les appelle, ont appris leur démission en direct de l'allocution présidentielle. À 21h04, rien n'avait changé. "J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l'Assemblée nationale". Dès cette phrase prononcée, ils sont licenciés.

"Quand j’entends 'article 12' dans la bouche d’Emmanuel Macron, je sais ce que ça veut dire, merci les études de droit", arrive maintenant à en rire Louise, collaboratrice d'une députée Renaissance.

Mais reste le "cataclysme politique", constate Arthur, à froid. Une fois ces mots entendus, "c'est l'état de choc, on pense immédiatement à nous", raconte à BFMTV.com Emma, collaboratrice d'une députée Renaissance. "On apprend par le président en direct sur TF1 qu’on est licencié", constate-elle, amère. Sa députée l'apprend, elle, alors qu'elle est en plateau pour commenter la soirée électorale, à partir de 21h20. Entre deux cafés, elle décide de se représenter. Mais sans possibilité de payer ses salariés, puisqu'elle est techniquement au chômage, elle aussi.

"Gueule de bois" du lundi

Deux jours plus tard, Claire réussit à en rire. Jaune.

"Me faire licencier par le président de la République à 21h en direct à la télévision, c’est une histoire que je raconterai à mes petits enfants".

Cette collaboratrice depuis 2 mois et demi seulement d'un député Renaissance a vraiment l'impression d'avoir depuis 48h "une gueule de bois sans avoir bu". "Je suis en pilote automatique depuis deux jours", confie-t-elle.

Au bureau, branle-bas de combat. "Dans les couloirs, tout le monde fait ses cartons", raconte à BFMTV.com Louise. Elle sait qu'elle occupe un "job précaire". "L'actualité politique est très volatile. On peut se retrouver sur la sellette du jour au lendemain", explique la jeune femme, en poste depuis huit mois seulement. "Le lendemain de la dissolution, j’ai pris une benne, et j’ai tout mis dedans. Tout mon travail est caduc”, constate Arthur, avec le calme des vieilles troupes.

Moment... administratif

Mardi 11 juin, les collaborateurs avec qui a échangé BFMTV.com commencent à réaliser. "On réfléchit à la communication pour se relancer dans une campagne", relate Emma. Dans une semaine, tous n'auront plus accès à leurs bureaux à l'Assemblée. Alors, "on va se réunir dans un coworking ou peut être directement chez la députée", imagine-t-elle, toujours dans le brouillard.Le moment est à l'administratif.

"Là on clôture le mandat, on prévoit les mails automatiques, on annule tous les événements aujourd'hui et demain on termine le mandat [...] Puis on ouvre une nouvelle boîte mail, et on change la direction artistique pour passer en mode candidat".

Il faut faire vite, vendredi les badges électroniques pour pénétrer dans l'enceinte du Palais Bourbon, déjà, ne fonctionneront plus, nous dit-elle.

En réalité, c'est plutôt le 18 juin qu'ils seront désactivés, si l'on s'en réfère à la note d'information rédigée par les questeurs que BFMTV.com a pu consulter. Dix jours, témoigne un autre licencié sur X, preuve que les informations pratiques qui circulent dans les boucles Whatsapp des uns et des autres ne sont pas harmonisées.

Maxime Torrente, délégué au syndicat CFE-CGC des collaborateurs de l'Assemblée raconte, qu'en plus des couloirs jonchés de cartons, la désinformation règne sur les directives et les timings. Si dissolution il y avait, tous l'attendaient a minima en septembre.

"En fait, le plus dur, c'est de gérer tout ça en temps records. Sans forcément être bien au fait des procédures. Depuis la dernière dissolution en 1997, l'eau a coulé sous les ponts et les façons de travailler ne sont plus les mêmes", explique-t-il à BFMTV.com.

"Il faut donc s'adapter au jour le jour tout en préparant la campagne, tout en ne sachant pas si on peut la préparer parce qu'on est licencié... Mais on n'a pas reçu nos lettres encore... Tout en vidant tous les bureaux pour accueillir au mieux les députés dans trois semaines...", énumère-t-il.

Alors, en attendant, pour éviter d'être inquiété juridiquement pour travail dissimulé, les ex-collaborateurs des députés qui se représentent travaillent la campagne sur leurs temps de pause. "Depuis nos vieux ordis de fac", précise Maxime Torrente, avant de conclure: "On est en zone grise, complètement. C'est un peu lunaire".

"Financièrement, c'est le flou total"

"Depuis trois jours, je vis au jour le jour", confie Louise. Elle est en pyjama, au milieu de sa cuisine, quand elle apprend la nouvelle. Rire nerveux de la désormais ex-collaboratrice.

"J'apprends la nouvelle à ma collègue alors au fast-food: 'Emma, on est au chômage, il vient de dissoudre l'Assemblée'". Nouveau rire nerveux. "Ma députée m'en parle deux heures après... Je pense qu'elle aussi était sous le choc".

Mais après blessure du licenciement, tout de suite, le rebond. "J'accepte de rejoindre sa campagne bénévolement. Sa circonscription est jouable. C'est un pari, mais pas si risqué." La plupart repartent en campagne contre aucune rémunération, avec l’espoir que leur député sera réélu.

Pour Claire, porte ouverte sur l'incertitude. D’autant que son député ne se représente pas pour raisons de santé. Et qu’avec ses deux mois comme collaboratrice, elle “se retrouve un peu sans rien”. Si le collaborateur a moins de 6 mois d’ancienneté, le contrat prend fin dès le 19 juin. Sans aucun préavis. “Financièrement, c’est le flou total”, constate sa collègue. De 6 mois et deux ans d’ancienneté, c’est un mois de préavis. Passé le cap des 2 années, le préavis s’établit à 2 mois.

Pour ceux dont le député serait réélu, le retour au Palais-Bourbon est très probable. Pour les autres, direction France Travail. Avec des durées d'indemnisation en baisse depuis la dernière réforme de l'assurance chômage.

Pour les questions qui restent en suspens, inutile d'essayer de contacter le service de la gestion financière de l'Assemblée. En général, c'est vers lui que les syndiqués renvoient les collaborateurs s'ils n'ont pas de réponses à leur apporter.

"Imaginez... Là à la compta, ils sont en train de rédiger 2080 lettres de licenciement, et calculer 2080 soldes tout compte en même temps, ils sont complètement sous l'eau", raconte Maxime Torrente du syndicat CFE-CGC.

"Jusqu'à 22h à l'Assemblée, les lumières des bureaux de la gestion financière brillent encore, chaque soir depuis lundi", témoigne-t-il.

L'écran des ordinateurs personnels des collaborateurs aussi: ceux qui ne préparent pas la campagne express des législatives anticipées envoient des lettres de candidatures. Cabinets de conseil, agences de communication... Opération recyclage de rigueur à l'Assemblée. Et pas que pour les vieux dossiers de la XVIe mandature qu'ils n'emporteront pas dans leurs cartons.

Article original publié sur BFMTV.com