Mort de Shemseddine à Viry-Châtillon : qu'est-ce qu'un "crime d'honneur" ?

Trois jours après la mort d'un collégien de 15 ans à Viry-Châtillon, la piste d'un "crime d'honneur" est étudiée par les enquêteurs. Mais de quoi s'agit-il ?

Après la mort de Shemseddine, l'enquête confiée au parquet d'Évry étudie la piste du
Après la mort de Shemseddine, l'enquête confiée au parquet d'Évry étudie la piste du "crime d'honneur" (image d’illustration : Getty images)

Ce mardi 9 avril seront organisées les obsèques de Shemseddine, mort à 15 ans des suites d'une violente agression survenue près de son collège à Viry-Châtillon, dans l'Essonne, jeudi dernier. Quatre agresseurs suspectés, trois mineurs de 17 ans et un majeur de 20 ans, font l'objet d'une enquête pour "assassinat" depuis dimanche.

Le contexte du lynchage

Un différend à propos de la sœur de deux d’entre eux constituerait le mobile de leur agression. Dans un communiqué détaillé, le procureur de la République d’Evry, Grégoire Dulin, précise qu'une discussion aurait démarré entre Shemseddine et la jeune fille âgée de 15 ans.

Ne supportant pas que leurs échanges portent sur la sexualité, les deux grands frères de l'adolescente - déjà connus de la justice – craignent pour la "réputation" de leur sœur et pour "celle de leur famille". Ils enjoignent "plusieurs garçons de ne plus entrer en contact avec elle". Mais Shemseddine, qui se "vantait de pouvoir parler librement avec leur sœur, n’ayant pas eu à subir de pression de leur part" d’après le parquet d’Évry, aurait continué d’entretenir des contacts avec elle.

Accompagnés de leurs connaissances, les deux frères ont alors confronté l’adolescent de 15 ans à sa sortie du collège des Sablons. S'ensuit une altercation. Shemseddine décède le lendemain, des suites d'un traumatisme crânien.

Un concept qui n'existe pas pénalement en France

L'enquête a permis d'établir que la sœur n’était pas présente au moment des faits. Au vu "d'indices graves et concordants" amenant à penser qu'elle était au courant des intentions de ses frères, selon le procureur, elle a néanmoins été mise en examen pour "abstention volontaire d’empêcher un crime".

La piste d'un "crime d'honneur", est pour l'heure privilégiée par les enquêteurs. Mais quelle est la définition du crime d'honneur ? Selon Amnesty International, il s’agit d’une "pratique ancienne consacrée par la culture plutôt que par la religion".

Aujourd’hui en France, la notion de "crime d'honneur" n’existe pas pénalement ; elle a disparu de la législation en 1791. Elle est remplacée par le concept de "crime passionnel", qui fait débat et ne dispose pas non plus d’une définition juridique dans le Code pénal.

Les faits reconnus sont souvent des homicides, punis jusqu’à 10 ans de prison s’ils sont involontaires, 30 ans s’ils sont volontaires et requalifiés en "meurtres". Dans le cas d’une préméditation ou d’un guet-apens, qui qualifient l’acte "d’assassinat", la personne incriminée peut être emprisonnée à perpétuité. Parfois évoquée comme un "crime passionnel" dans les médias français, l’affaire Bertrand Cantat de 2003 a ainsi été reconnue comme "féminicide" par la justice française.

Le "crime d’honneur" reconnu dans de nombreuses cultures

L’ONG Amnesty International rappelle que les "crimes d’honneur" existaient déjà dans l’Europe antique, sous l’Empire romain ou encore durant la période préislamique des pays arabes.

Cependant, plusieurs pays reconnaissent et sanctionnent toujours des "crimes d’honneur" aujourd’hui. C’est particulièrement le cas en Jordanie et au Pakistan, où les femmes sont rejetées et considérées comme "impures" dans certains cas de viol ou d’adultère. En Jordanie, où le crime dit d’honneur est sanctionné de deux ans de prison maximum selon le Temps, 15 à 20 femmes sont assassinées chaque année sous ce motif.

Au Pakistan, ce type de crime est endémique ; des centaines de cas sont répertoriés chaque année. En Europe, plusieurs femmes issues de la communauté pakistanaise sont mortes sous les coups des membres de leurs familles ces dernières années, notamment en Italie, en Allemagne ou en Belgique.

L’Italie encore coutumière des "crimes d’honneur" ?

Bien que ce terme ait disparu du Code pénal italien en 1981, il fait particulièrement polémique dans la Botte, la justice italienne étant accusée d’être sexiste et patriarcale. Dernièrement, plusieurs jugements ayant évoqué un "crime d’honneur" ou des "circonstances atténuantes" ont été critiqués par les médias transalpins.

En 2019, une femme coupable de "ne pas avoir quitté son amant" était assassinée d’un coup de couteau par son compagnon à Gênes. Celui-ci a écopé de seize ans de prison, une prononciation de peine qui a fait débat en Italie. Il aurait agi "sous le coup de la rage et du désespoir, de profonde déception et de ressentiment" d’après les juges, rapporte Il Fatto quotidiano.

Plus récemment, le 8 mars 2024, les juges de la Cour d'Assises de Bologne ont évoqué le terme en requérant la prison à perpétuité contre Giovanni Padovani, 28 ans, après qu’il a sauvagement tué son ex-petite amie. Mû par "un irrésistible désir de vengeance, la rancœur et la frustration" selon les juges, il ne s’agissait pas d’un "crime d’amour" mais bien d’un "crime d’honneur, bien que mal compris de ce dernier, dans un sens", relate La Repubblica.

Le maire de Viry-Châtillon choqué : "L'honneur, c'est pas taper à quatre personnes sur un"

L’affaire de la mort de Shemseddine a elle aussi suscité une vive émotion. "L'honneur, c'est respecter les gens, c'est pas taper à quatre personnes sur un" a déploré Jean-Marie Vilain, le maire de Viry-Châtillon, intervenu sur BFM TV.

"Ce n’est pas du tout un assassinat, ce sont vraisemblablement des coups mortels, c’est-à-dire des violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner", a répondu l’avocat de l’un des mis en cause.

Deux des agresseurs ont été écroués tandis que deux autres mineurs sont incarcérés provisoirement avant un débat contradictoire ce mercredi, a ajouté le parquet d'Évry. Une marche blanche doit être organisée dans la semaine par la famille de Shemseddine pour lui rendre hommage.

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