Liste d’avocats « à éliminer » : « C’est symptomatique d’une libération de la parole d’extrême droite », dénonce le Syndicat des avocats de France

Mardi, ils ont signé une tribune dans l’hebdomadaire Marianne pour appeler à la constitution d’une « brigade du droit contre le Rassemblement national ». Mercredi, leurs noms figuraient dans l’article d’un site d’extrême-droite, accompagné d’une photo de guillotine et du titre « liste (très partielle) d’avocats à éliminer ». Parmi les 98 avocats listés, 68 ont porté plainte jeudi auprès du parquet de Paris pour « menaces de mort envers un avocat », « cyberharcèlement » et « provocation à la commission d’une infraction pénale ». Ce vendredi midi, à l’appel du Syndicat des avocats de France (SAF), plusieurs rassemblements ont eu lieu en France pour exprimer l’indignation de la profession face à ce genre de menaces.

« Assimiler les avocats aux causes de leurs clients, c’est extrêmement dangereux »

Dans l’article en question, on peut lire : « C’est la grande majorité des avocats qu’il est nécessaire de neutraliser ». Il a vivement fait réagir les instances de la profession, et plus largement. Tous dénoncent une menace sur la démocratie et sur l’Etat de droit. Le bâtonnier de Paris, sur X (ex-Twitter), a déclaré « La démocratie est plus que jamais menacée lorsque circulent des listes d’avocats à éliminer parce qu’ils remplissent leur mission. Nous ne tolérerons jamais ces menaces et y donnerons toutes les suites qui s’imposent. Soutien à nos consœurs et confrères menacés ». Le Conseil national des barreaux, lui, juge : « Quand des avocats sont menacés de mort, c’est l’Etat de droit et la démocratie qui sont en danger ». Il a annoncé saisir le parquet. Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a également pris position contre cette liste, en condamnant « avec la plus grande fermeté » cette publication.

Judith Krivine, présidente du SAF, dénonce un fait « très grave ». « Quand on s’attaque à nous, les avocats et les magistrats, on s’attaque à la justice, qui est un des piliers de la démocratie », avertit-elle. Elle s’inquiète : « Assimiler les avocats aux causes de leurs clients, c’est extrêmement dangereux. En Turquie, en Iran, il y a des avocats en prison pour avoir exercé leur métier. On n’en est pas encore là, mais des personnes s’autorisent aujourd’hui en France à faire des menaces de mort envers des avocats qui expriment ouvertement le fait qu’ils défendront les droits fondamentaux ».

« Pour nous, ce n’est pas un acte isolé d’une personne marginale »

Il faut dire que cette publication intervient dans un contexte particulier. La dernière semaine a vu se dérouler une campagne législative particulièrement dure, au cours de laquelle les paroles racistes et les actions violentes ont déferlé. Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a annoncé ce matin sur BFMTV que 51 candidats, suppléants ou militants, ont été agressés physiquement au cours des derniers jours. « Pour nous, ce n’est pas un acte isolé d’une personne marginale », estime Judith Krivine, « c’est symptomatique d’une libération de la parole du fait de la montée de l’extrême droite et d’une volonté d’intimider toutes les personnes, et en particulier les avocats et les magistrats, qui défendent l’état de droit et les droits des personnes précaires, racisées, qui peuvent subir des discriminations ». L’avocate met en garde sur la possible arrivée du RN au pouvoir : « Si l’extrême-droite arrive au pouvoir, il y a non seulement les mesures que prendront les personnes qui sont en responsabilité, mais aussi les conséquences dans la rue pour les personnes qui sont ciblées par eux. C’est dangereux ».

« En votant RN, ils acceptent l’idée que la solution première mise en place, c’est la discrimination »

Sur les marches des Palais de justice dans plusieurs villes de France, comme Paris, Toulouse ou encore Rennes, le SAF a appelé à se mobiliser, de manière « presque improvisée », d’après sa présidente. Le mot d’ordre : « Pas une voix pour l’extrême-droite, cette liste est une raison de plus pour la combattre ». L’avocate veut alerter l’opinion publique, s’adresser particulièrement à ceux qui font le choix du RN « parce qu’ils sont dégoûtés du politique et espèrent avoir davantage de prise en considération des difficultés sociales ». « Ce n’est pas vrai », affirme-t-elle, « il faut qu’ils comprennent qu’en votant RN, ils acceptent l’idée que la solution première mise en place, c’est de s’en prendre aux étrangers, aux femmes, aux homosexuels, ce sera la discrimination. En faisant ça, ils acceptent le racisme ».

La plainte, déposée par le Conseil national des barreaux et 68 des 98 nommés, est soutenue par le SAF.