Législatives 2024 : Pourquoi le discours de la Macronie est particulièrement dangereux pour le Front populaire

Des tracts pour le RN et pour le Nouveau Front Populaire pour les élections législatives (illustration).
PHILIPPE LOPEZ / AFP Des tracts pour le RN et pour le Nouveau Front Populaire pour les élections législatives (illustration).

POLITIQUE - Il est toujours complexe de faire des pronostics à l’occasion des élections législatives. Qui plus est dans un contexte où la dissolution décidée par Emmanuel Macron a provoqué une accélération du temps politique, conduisant à l’explosion brutale de la droite républicaine et à une alliance inédite à gauche qui apparaissait encore impossible il y a moins d’un mois. Pour rappel, en 2022, le Rassemblement national était crédité de 30 à 40 sièges en amont du scrutin. Il en avait obtenu 89 à l’issue du second tour, devenant le premier parti d’opposition à l’Assemblée nationale.

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Ceci étant dit, les études d’opinion ont leur intérêt. Agissant comme un thermomètre des rapports de force, elles permettent de projeter des scénarios, tout en considérant que les élections législatives ont ceci de spécial qu’il s’agit de 577 élections indépendantes, qui répondent souvent à des logiques locales échappant aux instruments de mesures nationaux.

Ainsi, un sondage Odoxa publié ce vendredi 21 juin pour Le Nouvel Obs entrevoit la possibilité d’une majorité absolue pour le RN, qui pourrait espérer entre 250 et 300 sièges. Ce qui constituerait un séisme politique, puisque l’extrême droite a toujours été écartée du pouvoir depuis l’après-guerre. Une possible victoire nette du parti lepéniste qui pourrait s’expliquer par plusieurs facteurs…

Participation et triangulaires

Parmi eux, la participation. Pour l’heure, l’explosion du nombre de procurations et les nombreux appels à voter présagent d’une forte présence dans les bureaux de vote. Selon l’Ifop, elle pourrait se situer autour de 63 %, soit 15 points de plus qu’aux élections législatives de 2022. À première vue, on pourrait se dire que cette participation pourrait être fatale au RN. Sauf qu’il n’en est rien. Car plus les électeurs sont nombreux, plus il est facile d’accéder au second tour, en réunissant 12,5 % des inscrits, comme c’est le cas lors de ce scrutin si particulier.

« Plus l’abstention est haute, plus il est difficile d’atteindre 12,5 %. En 2022 et lors des précédentes législatives, il n’y avait pas beaucoup de triangulaires car l’abstention était grande. À l’inverse, si vous avez beaucoup de participation, ce seuil est plus facile d’accès », explique au Nouvel Obs, le politologue Jean-Yves Dormagen.

Ceci pris en compte, le sondage Odoxa cité plus haut prévoit logiquement de très nombreuses triangulaires au second tour : entre 120 et 170. Ce qui représente, pour la fourchette la plus haute, près de 30 % des sièges en jeu. Loin d’être une simple variable arithmétique, la situation a de réelles répercussions politiques. Et Jordan Bardella peut se frotter les mains. « Ce qui est certain, c’est que les triangulaires sont favorables au RN, car il gèle un report de voix qui serait bénéfique à ses adversaires », poursuit Jean-Yves Dormagen, soulignant que seul un barrage impliquant un désistement pourrait barrer la route au RN.

La fragilité du barrage macroniste

Et c’est là que la principale inconnue demeure. Surtout du côté du camp macroniste. Comme nous l’avons expliqué, Emmanuel Macron et ses soutiens ne cessent de renvoyer dos à dos le Nouveau front populaire (NFP) au Rassemblement national.

Gabriel Attal, qui range ces deux blocs dans le même sac des « extrêmes », en fait même un argument électoral, en interprétant un sondage réalisé par Opinionway comme la preuve qu’un candidat Renaissance a plus de chance de l’emporter au second tour face au RN qu’un candidat NFP. Ce que le Premier ministre oublie de préciser, c’est que, dans ce même sondage, ce sont ses propres électeurs qui sont le moins prompts à faire barrage au RN en cas de duel face à la coalition de gauche. Comment pourrait-il en être autrement après des années à expliquer que gauche et RN c’était à peu près la même chose ?

C’est en tout cas de cette façon que l’ancien ministre de la Santé Aurélien Rousseau, qui a rejoint la coalition de gauche, interprète la situation. « C’est à se demander si Renaissance et lui (le président de la République) ont un autre adversaire que le Nouveau front populaire. Cette stratégie, ces prises de position où tout est mélangé et relativisé, ne font que renforcer le Rassemblement national », déplore-t-il dans un entretien à L’Express. Et les faits sont loin de lui donner tort. Vendredi 21 juin, Prisca Thevenot, porte-parole du gouvernement, affirmait sur BFMTV qu’il était question de « faire barrage aux représentants de cette nouvelle Nupes ».

Or, au regard du nombre important de triangulaires anticipées, découlant d’une participation attendue en hausse, il est difficile d’imaginer que tous les candidats du camp présidentiel arrivés en troisième position seraient enclins à se désister pour faire barrage à l’extrême droite. Tout comme il est difficile de visualiser la Macronie s’exprimer d’une seule et même voix pour barrer la route du RN en appelant à voter pour l’alliance de gauche.

Triste ironie de la part d’une formation politique qui a toujours compté sur la propension de la gauche à faire barre à l’extrême droite pour accéder au pouvoir. D’autant que ce comportement électoral est exactement celui sur lequel a parié Marine Le Pen qui, selon une confidence faite au Monde, mise tout sur ces triangulaires et l’absence de consigne claire émanant camp présidentiel. Reste à savoir si c’est bien ce scénario que les électeurs écriront dimanche 7 juillet.

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