Sur internet, un Megafon hongrois qui monte au front contre l'UE

La page Facebook du centre "Megafon" sur un écran d'ordinateur à Budapest, en Hongrie, le 31 mai 2024 (ATTILA KISBENEDEK)
La page Facebook du centre "Megafon" sur un écran d'ordinateur à Budapest, en Hongrie, le 31 mai 2024 (ATTILA KISBENEDEK)

Guerre "atomique", femmes fabriquant des grenades et jeunesse embrigadée : en amont des élections européennes du 9 juin, les internautes hongrois sont assaillis de vidéos apocalyptiques amplifiant le récit du Premier ministre Viktor Orban, opposé à l'aide à l'Ukraine.

Derrière ces clips d'une à trois minutes, il y a le Centre Megafon, une organisation au financement opaque dotée d'un gros budget.

Elle fait feu de tout bois depuis le début de l'année, dépensant au total 650 millions de forints (1,7 million d'euros) pour promouvoir son contenu sur Facebook, selon les estimations du groupe Meta, maison mère de la plateforme.

Aucun autre parti politique n'a déboursé autant sur la période dans l'UE, d'après des vérifications menées par l'AFP.

Au coeur des messages propagés, la possibilité évoquée par le président français Emmanuel Macron d'envoyer en Ukraine des troupes occidentales, ou encore sa proposition d'un "débat" sur la place de la dissuasion nucléaire française en Europe.

A chaque fois, Megafon déforme les propos et occulte les réticences affichées par la plupart des partenaires de Paris, pour affirmer que les dirigeants de l'UE veulent "une troisième guerre mondiale".

En écho au discours du nationaliste Orban, qui présente son parti Fidesz comme l'unique force pacifiste de Hongrie, la seule à même de sauver l'UE de ses démons belliqueux.

"Si cela ne tenait qu'aux responsables européens pro-guerre, allez Mesdames, à l'usine!", lance une vidéo montrant des images d'ouvrières fabriquant des armes pendant la première guerre mondiale. "Êtes-vous prêts à envoyer votre enfant sur le front?", avertit une autre.

- Argent sans fin -

Au pouvoir sans interruption depuis 2010, le Premier ministre a progressivement mis aux pas les médias traditionnels, s'assurant une base électorale solide notamment dans les campagnes. Mais il lui restait à conquérir les citoyens plus jeunes et urbains, avides des réseaux sociaux.

La victoire surprise de l'opposition dans la capitale Budapest et d'autres grandes villes en 2019 fait l'effet d'un déclic.

Megafon voit le jour l'année suivante, avec pour mission selon son site "d'amplifier la voix de la droite et de faire contrepoids à la pensée dominante de gauche sur internet" en reprenant une esthétique branchée.

"D'énormes sommes d'argent ont été investies" pour lui assurer une présence massive en ligne, explique à l'AFP Kata Horvath, de l'institut Mertek Media Monitor, "comme si les ressources étaient sans fin".

De jeunes animateurs propres sur eux sont mis en scène face caméra, parfois une tasse de café à la main, pour dérouler leurs arguments sur fond de musique entraînante, dans des lumières acidulées.

Et ils semblent persuasifs... certaines vidéos ont été vues plus d'un million de fois. Bel impact, dans un pays qui  ne compte pas dix millions d'habitants.

Ces dernières semaines, "ils ont dépensé tellement qu'aucun internaute hongrois n'a pu rater leurs vidéos", renchérit Robert Laszlo, du groupe de réflexion Political Capital.

Megafon, qui compterait une quarantaine d'employés, assure être soutenu par des donateurs privés, rejetant les allégations par des médias indépendants d'un financement public via diverses organisations.

Son directeur Istvan Kovacs, lui-même ancien candidat du Fidesz, a réfuté par le passé "tout lien formel" avec un parti politique.

Contacté par l'AFP, Megafon n'a pas répondu aux demandes d'interview.

- Stages de "liberté numérique" -

Pour l'expert de Political Capital, il ne fait aucun doute que "c'est un outil de plus pour le gouvernement", dont il "véhicule les messages de manière bruyante et encore plus simpliste", confinant à la "désinformation".

"Des images et discours réels sont manipulés" pour forger "un récit hostile, avec toujours un ennemi à blâmer", et faire appel aux "émotions", décrypte-t-il.

Un moyen pour le Fidesz de "renforcer son assise", tout en élargissant son audience aux Hongrois peu intéressés par la politique "mais que Megafon pourrait faire basculer" dans son camp, selon l'analyste.

Au-delà de ses campagnes politiques dispendieuses, le centre propose des sessions d'entraînement gratuites de quatre jours à tous ceux qui veulent devenir des "combattants de la liberté numérique de la droite".

Un millier de participants se sont déjà inscrits, selon des déclarations récentes du responsable de Megafon. Parmi eux figurent des dizaines de candidats du Fidesz aux élections municipales du 9 juin, a révélé le site Lakmusz, partenaire de l'AFP dans l'investigation numérique.

Début mai, le ministre des Affaires étrangères Peter Szijjarto a salué les efforts de la structure, l'appelant à "mener un combat féroce sur la toile" dans les semaines précédant le scrutin européen.

"De vous dépend le succès ou l'échec de notre lutte", avait-il lancé à la foule.

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