Gaza: pourquoi l'armée israélienne retire des troupes tout en préparant une offensive sur Rafah

"La guerre n'est pas terminée". Le porte-parole francophone de l'armée israélienne, Olivier Rafowicz a été clair auprès de LCI ce dimanche 7 avril après le retrait de la 98ème division de Tsahal de Khan Younès. Si sa "mission est terminée" dans cette ville du sud de la bande de Gaza - les brigades du Hamas y ont été démantelées d'après un communiqué de l'armée - "Tsahal n'a pas encore fini ses opérations".

Israël affirme notamment se préparer à une opération prochaine à Rafah où s'entassent près de 1,5 million de Palestiniens, en majorité des déplacés.

"Je suis arrivé au Commandement Sud pour suivre de près le départ des forces de Tsahal de Khan Younès et le début de leur préparation à l'action à Rafah, le dernier endroit où nous n'avons pas encore opéré sur le terrain", écrivait le ministre de la Défense Yoav Gallant sur X ce dimanche.

Ce retrait de Khan Younès et cette menace affichée sur Rafah ont une visée tactique multiple selon les spécialistes.

"Une période de repos"

Cela permettrait d'abord aux troupes de se reposer. "Il faut bien voir que cela fait presque six mois que Tsahal est engagé à Gaza, il y a forcément une usure des forces. [...] Et la guerre ça coûte cher", observe le général Jérôme Pellistrandi, consultant défense pour BFMTV.

Une analyse également effectuée par un porte-parole de la Maison Blanche, John Kirby, qui a affirmé sur ABC ce dimanche qu'il s'agit "d'une période de repos et de remise en forme pour ces troupes".

Les soldats de la 98ème division pourraient aussi être redéployés au nord, à la frontière israélienne avec le Liban, où d'intenses échanges de tirs opposent Tsahal au Hezbollah libanais depuis six mois. L'État hébreu a d'ailleurs a affirmé ce dimanche avoir achevé une "nouvelle phase" dans sa préparation à la "guerre" à sa frontière avec le Liban.

"Redorer son image"

Le retrait de la division la plus combattante de Khan Younès -une division demeure sur place pour mener des opérations plus ciblées- intervient également au moment où une nouvelle phase de négociations débute au Caire. Des négociations auxquelles participent notamment les États-Unis, alliés historiques de l'État hébreu qui a accru sa pression sur Benjamin Netanyahu.

Face à la situation humanitaire catastrophique à Gaza et à la mort de travailleurs humanitaires dans des frappes israéliennes il y a quelques jours, Joe Biden a pressé son homologue israélien de conclure "sans délai" un accord pour un cessez-le-feu. Tout en évoquant pour la première fois la possibilité de conditionner l'aide américaine, notamment militaire, à Israël à des mesures "tangibles".

"Les États-Unis sont les seuls à pouvoir influencer la politique israélienne", affirme ce lundi Michel Goya, historien miliaire, sur France Inter.

Pour le général Jérôme Pellistrandi, Tsahal est "obligé de redorer son image" vis-à-vis de Washington mais également des autres pays occidentaux.

La porte ouverte aux négociations

Pressé d'établir une trêve par ses alliées, Israël se montre ainsi ouvert aux négociations en envoyant un signal au Hamas. Le retrait des troupes de la bande de Gaza étant une condition du mouvement islamiste pour engager un cessez-le-feu.

"Sans ce retrait partiel, il n'y aurait pas la possibilité d'un accord", abonde Frédéric Encel, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste du Moyen-Orient, contacté par BFMTV.com. "Comme cela, ils permettent le dialogue". Et cet accord, Israël en a besoin pour libérer les 129 otages, enlevés le 7 octobre et toujours détenus à Gaza.

"La pression populaire est très forte pour obtenir cette libération", souligne l'auteur de Petites leçons de diplomatie paru aux éditions Autrement.

Dimanche encore, des milliers d'Israéliens sont descendus dans les rues de Jérusalem pour montrer leur soutien aux familles des otages et inciter leur gouvernement à agir.

En évoquant la préparation d'une offensive sur Rafah, Israël fait "de la communication à usage interne". Le pays veut rassurer sa population et lui montrer qu'il ne "capitule pas" selon les mots de Benjamin Netanyahu. Tout en maintenant la pression sur le Hamas et les pousser à la négociation.

"Le timing est sans doute loin d'être accidentel. Israël met ainsi la pression sur le Hamas en suggérant que si les négociations ne débouchent pas, ils iront de toute façon sur Rafah", commente David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste du Moyen-Orient contacté par BFMTV.com.

Une "nouvelle phase de la guerre"

Le Hamas est de plus affaibli. Si le mouvement palestinien conserve ses capacités de nuisances, il a perdu ses capacités militaires.

"Israël a largement laminé la structure politico-militaire du Hamas mais n'a toutefois pas réussi à le faire disparaître en six mois de guerre puisqu'il y a des résurgences d'activité de ses membres dans des zones censées avoir été 'traitées' et donc sécurisées", explique David Rigoulet-Roze.

Pour ce spécialiste, "une offensive sur Rafah n'est probablement pas imminente" mais elle aura "certainement lieu". "La question qui demeure réside dans ses modalités et le calendrier", ajoute-t-il.

Une offensive redoutée par la communauté internationale, et là encore par les États-Unis qui ne "soutiendront pas une opération de la même ampleur que celles qui ont précédé sur les autres parties de l'enclave et notamment sur Khan Younès".

"Les Américains souhaitent un plan d'évacuation crédible des civils pour éviter un carnage", assure David Rigoulet-Roze. "Ils sont plutôt favorables à des opérations plus ciblées, moins massives".

Ces opérations plus ciblées seront désormais, selon les spécialistes, l'action privilégiée de Tsahal qui entrent après six mois "dans une nouvelle phase" de la guerre".

"Tant qu'il y aura des otages, la guerre va continuer, mais d'une intensité moindre et sur des modalités différentes", souligne le général Jérôme Pellistrandi.

Article original publié sur BFMTV.com