Faire un slogan de campagne avec ChatGPT: comment le RN mise sur l'IA pour l'après-européennes

Ce sont des ateliers d'un nouveau genre qui sont proposés au Rassemblement national. Depuis le début de l'année 2024, députés et cadres du parti sont sensibilisés et formés à l’intelligence artificielle et notamment à ChatGPT. En ce début avril, l'eurodéputé Philippe Olivier, professeur de circonstances, a organisé la quatrième session depuis janvier. “Pour les cadres locaux qui auraient manqué les précédentes”, explique-t-il à BFMTV.

L’eurodéputé tient à ce qu'un maximum de membres du parti puisse en bénéficier. Et pas seulement en vue des européennes. C’est "surtout en prévision d'élections locales", précise l'ancien conseiller spécial de Marine Le Pen.

Le Rassemblement national voit plus loin que le scrutin de juin où il est donné en tête avec plus de 30% des intentions de vote, selon les derniers sondages. Le parti à la flamme vise déjà les municipales de 2026, les législatives de 2027, les départementales et régionales de 2028.

"ChatGPT, dessine-moi une campagne"

Pendant ces formations en visioconférence, Philippe Olivier explique pourquoi et comment utiliser l'intelligence artificielle. En préambule d’un livret pédagogique écrit et édité par l’eurodéputé lui-même, il donne un exemple de la puissance de l'assistant virtuel en montrant une photo pleine page, améliorée par l'IA.

En moins d'une heure et demie, on apprend à stimuler le robot conversationnel à travers des "prompts" - sorte de commandes écrites - de plus en plus affinés. Et à préparer une campagne politique.

Le livret, que BFMTV a pu consulter, présente plusieurs cas de figure où l'utilisation de ChatGPT peut aider un candidat: organiser une stratégie de communication, rédiger des fiches techniques, préparer un cours pour des militants, mais aussi créer un slogan et une affiche de campagne ou trouver des arguments pour un débat.

Anciens et débutants en politique y apprennent à contextualiser leur demande, à orienter leur ton et à s'adapter selon les interlocuteurs. Par exemple, "Je suis un candidat aux législatives" ou "Je n’ai pas de connaissances précises et je voudrais que tu m’expliques le marxisme", illustre le fascicule.

N'importe quel élu, responsable local ou militant RN peut ainsi demander à l'IA de lui "faire une campagne sur la lutte contre l'abstention", illustre en guise d'exemple Philippe Olivier. "Et là il va vous dire de faire des petites vidéos, de coller des affiches anti-abstention...", lance l'enthousiaste formateur. Avant d'ajouter: "Pour quelqu'un qui ne s'y connaît pas très bien en politique, c'est un assistant infatigable!"

Les conseillers locaux et les têtes des collectifs militants sont vivement invités à investir une vingtaine d'euros par mois dans la version payante, plus performante, de l'assistant virtuel.

Depuis sa formation en février, Christophe Zimmermann, conseiller régional RN dans le Haut-Rhin, l'utilise désormais dans son quotidien d'élu. "Ça m'aide pour certains discours, chercher des termes spécifiques ou pour rédiger des rapports", nous énumère-t-il.

L'élu âgé de 65 ans se réjouit toutefois que les jeunes RN d'Alsace maîtrisent mieux l'outil que lui pour assurer la relève aux prochaines élections. "Chatgdp...Chatgtp (sic)... Les jeunes de la fédé' savent mieux y faire", se rassure-t-il.

"Wokiste", ChatGPT?

En plus de démontrer l’utilité du robot dans la préparation d’une campagne présidentielle, le fascicule téléchargeable apprend également aux élèves à débusquer les "biais cognitifs" de l’intelligence artificielle. "Wokiste", ChatGPT? C’est ce que ce petit livret entend démontrer sur plusieurs pages à travers plusieurs exemples.

À la question "Les écologistes sont-ils intolérants?", l'IA répond avec plus de nuances qu'à la question "Les nationalistes sont-ils intolérants?", assure le formateur, réponse de l’IA à l’appui. Même constat en posant les questions "Le racisme anti-noir existe-t-il?" et "Le racisme anti-blanc existe-t-il?", met en garde le livret pédagogique.

Enfin, l'eurodéputé démontre comment OpenAI est également adepte, selon lui, de la "théorie du genre". "ChatGPT est un 'wokiste' qui se dissimule", conclut l'eurodéputé après lui avoir posé directement la question: "Est-ce que tu es 'wokiste', ChatGPT?".

"ChatGPT est 'wokiste', et s’il soutient le contraire, ne le croyez pas", peut-on lire, tests pratiques à l'appui prouvant une éventuelle inclinaison idéologique de la machine.

Malgré des "biais malvenus", le fascicule de formation vante un "formidable outil", un "assistant infatigable et dévoué" dont il serait dommageable de se priver, selon le formateur. En quelques semaines, tout le bureau exécutif ainsi que les parlementaires et les élus locaux ont été formés à ChatGPT, assure-t-il.

Éviter les dérapages de futurs candidats locaux

Prochaine étape pour Philippe Olivier, passionné par ces sujets technologiques: la rentrée de septembre. Après OpenAI et son générateur de texte, place à Midjourney, le programme d’intelligence capable de produire des images à partir de description textuel. Le but cette fois est de former sur le traitement de données et de fabriquer des visuels avec l'IA.

"On va s'adresser à ceux qui sont un peu graphistes et créatifs, aux analystes aussi. Les intéressés pourront faire de l'analyse de données sociologiques statistiques ou encore comparer des résultats de vote", développe à BFMTV l'eurodéputé.

En prévision des prochaines campagnes locales à venir, le parti à la flamme assume d'anticiper un procès en incompétence, régulièrement intenté.

Avec cet assistant virtuel, “le brave gars qui est candidat RN pour la première fois, il s'aidera pour un slogan, pour un petit texte écrit, pour un cours sur les législatives à ses équipes", prévoit Philippe Olivier.

Le parti espère ainsi prévenir les faux pas des futurs éligibles locaux, “au lieu de se faire railler, 'haha les candidats RN regardez comme ils sont nuls!'”, singe Philippe Olivier.

D'ici la fin de l'année, il espère bien que "tout le monde" au Rassemblement national soit "sensibilisé" à l’IA et que "le centre de l'appareil" soit "familiarisé". Le but: que tout le parti ait le réflexe d'utiliser l'intelligence artificielle dans l'exercice politique. Et que les conservateurs les plus sceptiques du parti soit rassurés.

L'IA, "ça peut faire peur" explique à BFMTV le député RN, Stéphane Rambaud, lui-même rapporteur d'une mission d'information sur les défis de l'intelligence artificielle en matière de protection des données et d'utilisation du contenu. Et pourtant, "elle n’a rien de satanique", veut rassurer dès sa première page le manuel de Philippe Olivier. Mais "elle peut-être très dangereuse si elle est mise dans de mauvaises mains", prévient Stéphane Rambaud.

Un parti qui se vante d'être technophile

Après Mélenchon et son hologramme "qui m'a impressionné je dois dire", confesse le député Stéphane Rambaud, pas question de "louper le coche" de l’IA. "On veut être à la pointe", clame-t-il.

Le député friand d'innovations technologiques, lui aussi, considère la révolution menée par cette technologie "aussi importante que celle de l'informatique ou de l'automobile".

Au sommet du parti, l'initiative de Philippe Olivier a été chaudement encouragée. Technophile, le président Jordan Bardella "croit dans l’intelligence artificielle, dans son développement et dans ses potentialités", indique à BFMTV son entourage proche.

"Adapter le Rassemblement national, former ses dirigeants à son utilisation, est aussi l’une des ambitions" de sa présidence, nous confie-t-on.

La tête de liste aux élections européennes est persuadée que "la prochaine crise sociale viendra de ChatGPT", comme il l'estimait en avril 2023, lors d’une soirée "Grand débat" organisée par l’hebdomadaire conservateur Valeurs actuelles.

Lors de cet évènement, Jordan Bardella s'inquiétait également de la régulation de ces nouvelles technologies. Ce serait "une régression énorme" s'était-il exclamé. À noter que le 13 mars 2024, le RN a toutefois voté à Strasbourg pour l'IA Act, qui fixe un cadre légal européen commun à l'intelligence artificielle.

Alors, quand on lui parle de former les futurs candidats à ChatGPT, "il dit tout de suite 'Oui, on y va!'", confie un cadre RN. Ce dernier fait appel à ses souvenirs pour expliquer cette du parti pour la technologie, qui selon lui ne date pas d'hier.

"Jean-Marie Le Pen a été le premier (politique, NDLR) à embaucher quelqu'un pour s'occuper spécialement du développement d'internet", se souvient-il avec conviction. En avril 1996, le Front national est en effet le seul grand parti à se doter d'un site web.  ChatGPT confirme.

Article original publié sur BFMTV.com