"Je me suis demandé si Goscinny et Uderzo auraient validé ça": comment Fabcaro s'est approprié "Astérix"
À l'aube de son soixante-cinquième anniversaire, Astérix s'apprête à vivre de nouvelles aventures. Ce jeudi paraît le quarantième album depuis la création d'Astérix, en 1959, par Goscinny et Uderzo. Preuve que le blockbuster aux 393 millions d'albums vendus dans le monde peut toujours surprendre, ce nouveau tome intitulé L'Iris blanc a été écrit par Fabcaro, considéré comme le scénariste le plus drôle de la BD franco-belge depuis le carton de Zaï Zaï Zaï Zaï.
Remplaçant Jean-Yves Ferri, accaparé par sa BD De Gaulle à la plage, Fabcaro a imaginé une intrigue dans la lignée de La Zizanie et du Devin. Alors que mutineries et désertions se multiplient dans le camp de César, le philosophe Vicévertus propose de leur insuffler l'Iris blanc, son école de pensée qui prône bienveillance, vie saine et épanouissement individuel. Un état d'esprit qui va aussi gagner le village gaulois…
"Dès que j'ai eu cette idée, je me suis dit que c'était une bonne piste", se souvient Fabcaro, qui a écrit "assez rapidement" la trame. "Le premier jet a été très rapide. On a eu un rendez-vous avec l'éditeur. J'étais tellement excité que dans le trajet retour, j'ai aussitôt écrit un synopsis! Le premier jet du storyboard complet a été terminé en un mois. Après il a fallu retravailler. La version finale a pris 6 ou 7 mois."
Entre Villepin et BHL
Avec son personnage perturbant la tranquillité du village et brocardant la pensée positive contemporaine, L'Iris blanc ressemble à du Goscinny. "C'est vraiment très goscinnien ce personnage qui débarque et revisite tout l'univers en lui donnant une autre signification", analyse le dessinateur Didier Conrad, qui signe ici son sixième album d'Astérix. "Goscinny utilisait aussi cette technique dans Lucky Luke."
Philosophe aux allures de gourou, Vicévertus ressemble également à un mélange entre Dominique de Villepin et Bernard-Henri Lévy. "Dès qu'on a une thématique, il nous faut un personnage pour l'incarner", précise l'éditeur Céleste Surugue. "Fab était au début parti sur Frédéric Lenoir (auteur de livres sur le bonheur et la spiritualité, NDLR). Mais j'avais en tête quelqu'un avec du charme, un vieux beau qui allait entraîner le village, un personnage flamboyant à la différence de Détritus dans La Zizanie."
Vicévertus multiplie les aphorismes parfaitement abscons (et hilarants): "Si tu envoies de la lumière elle te reviendra", "Cueille ce qui s'offre à toi si tu en veux les bienfaits" ou "Qu'importe d'être devant si ton âme, elle reste derrière!" Typiquement goscinnien, ce personnage ressemble également aux héros de Fabcaro, qui adore railler dans ses propres albums les formules creuses et toutes faites de ses contemporains.
Fabcaro dans l'esprit
L'arrivée de Fabcaro chamboule néanmoins la formule établie par Jean-Yves Ferri depuis Les Pictes. Si Fabcaro est "bien dans l'esprit d'Astérix", son humour "diffère un peu des blagues de Ferri", nous avait expliqué la semaine dernière le traducteur allemand de la série, Klaus Jöken: "Ses blagues sont souvent en plusieurs cascades, avec cinq jeux de mot à la suite. Ferri est plutôt dans un gag qui se prépare bien et éclate comme une fusée."
Fabcaro a écrit davantage que son prédécesseur: "C'est l'inconvénient de faire aussi un album qui se déroule au village", note-t-il. "Dans les aventures extérieures, il y a beaucoup de scènes d'action, de paysage: ça respire. Dans le village, le côté statique est compensé par les dialogues. C'est vrai que c’est un poil plus verbeux que le précédent." Aux équipes des éditions Albert René de régler la situation, détaille Didier Conrad:
"Il devait y avoir 15 à 20% de plus de texte. La technique pour gérer ça, c'est de réduire un poil le lettrage pour ne pas prendre trop de place. Car le visuel est très important dans Astérix. On ne peut pas mettre que des bulles avec des têtes écrasées en dessous. Il faut aussi qu'on montre des scènes de bagarre. Même s'il y a des textes, il faut rester visuel."
"Uderzo nous manque"
Fabcaro, qui a déjà signé des reprises d'Achille Talon et Gai Luron, a écrit sans penser aux millions de lecteurs de l'album. Un chiffre trop vertigineux pour lui permettre de créer sereinement, glisse celui qui fait dire à un personnage de L'Iris blanc: "Celui qui sait profiter du moment, c'est lui l'homme avisé." Mais l'ombre de Goscinny et Uderzo plane toujours:
"À chaque case, à chaque bulle, je me suis demandé s'ils auraient validé ça. Je n'avais pas la réponse, mais c’était assez obsessionnel. Ils étaient au-dessus de mon épaule."
L'Iris blanc est le premier album, depuis la reprise, à ne pas avoir été validé par Uderzo. Disparu en mars 2020, il avait pu discuter avec les auteurs de l'intrigue du précédent, Astérix et le Griffon. "Uderzo nous manque", indique Didier Conrad. "C'était beaucoup plus agréable quand on pouvait le rencontrer à chaque fois, avoir sa réaction par rapport à ce qu'on lui proposait. Surtout qu'il était surtout bienveillant. C'était rassurant."
Et le dessinateur d'ajouter, non sans une pointe d'amertume: "On se retrouve là avec des gens qui ne savent pas ce que pensait Uderzo. Ils sont moins sûrs. Il y a une petite période de flottement parce que tout se repositionne autrement. Maintenant, avec ce bouquin (L'Iris blanc), pas grand monde n'a d'inquiétudes. Les réactions sont plutôt bonnes. On verra comment c'est pris."
"Le dessin va mieux"
Didier Conrad lui-même se sent désormais plus à l'aise avec le dessin d'Uderzo. "C'est un univers qui m'est plus intimement familier. Cet album n'avait pas grand-chose graphiquement comme élément nouveau. J'ai donc pu me concentrer sur ce qui était la caractéristique du travail d'Uderzo: l'expressivité. J'ai toujours été un peu dessous, à faire quelque chose de plus convenu dans la manière de faire réagir les personnages."
"J'ai encore du boulot, mais maintenant ça va mieux", estime-t-il. "Si vous comparez cet album avec les précédents, il y a une petite différence. Mais je ne sais pas si c'est perceptible." L'important, pour lui, "n'est pas de reproduire les codes", mais de "respecter l'esprit" d'Uderzo: "Il faut donner la même impression que lorsqu'on lisait les vieux albums. Il faut le même effet sur le lecteur. Si je me sens plus libre, le travail sera meilleur."
Avec un 41ème album prévu pour 2025, Didier Conrad devrait poursuivre dans cette voie. Fabcaro est partant bien que pour le moment Jean-Yves Ferri doive revenir aux commandes du scénario: "Si on me demande, c'est oui tout de suite!", s'exclame Fabcaro. "Mais a priori ce n'est pas d'actualité. Je sers d'intérim. Jean-Yves voulait faire une pause d'un album. J'ai été ravi d'être appelé. Très honnêtement, je ne sais pas ce qui va se passer."