Coronavirus : les chiffres cachés de l'Iran

En Iran, les chiffres officiels sous-estimeraient largement l'épidémie de Covid-19, selon les données transmises au bureau local de la BBC.
En Iran, les chiffres officiels sous-estimeraient largement l'épidémie de Covid-19, selon les données transmises au bureau local de la BBC.

Les chiffres officiels du coronavirus en Iran seraient bien loin de la réalité. Un écart lié à la volonté du gouvernement de minimiser l’épidémie, alors que le pays était déjà en difficulté avant la crise sanitaire.

Difficile de savoir précisément combien de personnes ont été contaminées par le Cvoid-19 et en sont décédées dans le monde. Manque de test, population sans accès au dépistage ou malades non comptabilisée... Les raisons sont multiples. Mais en Iran, il semblerait que la différence entre le bilan officiel et la réalité soit tout simplement dû à une volonté du gouvernement de minimiser l’épidémie, en transmettant des bilans largement sous-estimés aux organisations sanitaires mondiales.

Mais des données, envoyées anonymement à l’antenne locale de la BBC, viennent de lever le voile sur une situation critique.

Un mensonge dès le début de l’épidémie

Selon la chaîne britannique, qui a pu recouper les informations obtenues avec les chiffres annuels du nombre de décès et divers données et témoignages régionaux, le nombre de morts en lien avec le Covid-19 s’élevait à 42 000 le 22 juillet dernier. Loin, très loin, des 14 000 officiellement comptés par le gouvernement. Du côté des contaminations aussi, la différence est grande : la BBC évoque plus de 451 000 personnes malades, contre seulement 278 827 du côté des autorités, toujours à la date du 22 juillet dernier. À ce jour, les chiffres officiels s’élèvent à 309 000 cas et 17 190 morts.

Et ce mensonge à grande échelle aurait démarré dès le début de l’épidémie. Car, selon les informations de la BBC, l’Iran a fait face à son premier mort des suites du nouveau coronavirus dès le 22 janvier. Or, le gouvernement n’a reconnu l’existence de la première contamination qu’un mois plus tard. Et ce malgré les avertissements répétés de plusieurs journalistes et soignants.

Plus de 25 millions de contaminés ?

Sans rien modifier des chiffres officiels pour autant, le président Hassan Rohani a fait part, le 18 juillet, d’un décompte inquiétant. Devant le Comité national de lutte contre le coronavirus, il a affirmé que l’épidémie avait probablement contaminé 25 millions d’Iraniens selon les “estimations” du gouvernement - seuls 271 000 étaient officiellement déclarés à ce moment-là. Allant même jusqu’à affirmer qu’elle toucherait prochainement, “30 à 35 millions” de personnes supplémentaires dans le pays.

Plusieurs responsables ont rapidement tenté de minimiser cette déclaration, affirmant qu’il s’agissait en fait du nombre de personnes exposées au virus et ayant développé une immunité. Le vice-ministre de la Santé, Réza Malekzadeh, a assuré que ce chiffre n’était qu’une estimation fondée sur une étude datant de mars, comme le précise 20 Minutes.

Pour la spécialiste en épidémiologie moléculaire de l’université de Bâle Emma Hodcroft, dont les propos sont repris dans le quotidien, de tels chiffres sont inquiétants, car ils feraient de l’Iran un pays très sévèrement touché par rapport au reste du monde. “Un taux de séropositivité de 30 % dans un pays, d’après les chiffres donnés, serait de très très loin le plus élevé de tous les pays”, précise-t-elle.

En s’appuyant sur les chiffres rendus publics par Hassan Rohani, et sur ceux de l’OMS disponibles le 19 juillet faisant état d’un taux de létalité du Covid-19 de 4,25%, Hamid Enayat, analyste iranien, en déduit que le nombre de morts en Iran, en lien avec l’épidémie, atteindrait le million.

Le pays en difficulté avant la crise

Si les responsables iraniens minimisent tant les chiffres officiels, ce serait avant tout lié aux difficultés politiques que traversait le pays avant la crises sanitaire. Comme le rappelle la BBC, le gouvernement était en mauvaise posture. En novembre dernier, des manifestations liées à la soudaine hausse du prix du pétrole ont été réprimées dans le sang, faisant des centaines de morts.

La situation internationale n’était guère meilleure, puisque les tensions avec les États-Unis étaient au plus fort en janvier, notamment avec la mort du général Qassem Soleimani, tué par une frappe américaine. Quelques jours plus tard, des missiles iraniens abattaient accidentellement un avion de ligne ukrainien, tuant les 176 passagers à son bord.

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Après ces mois difficiles, le gouvernement comptait sur l’anniversaire de la révolution islamique - tout début avril - pour redorer son blason. Et espérait pouvoir s’appuyer sur les résultats des élections législatives de la fin du mois de février pour prouver qu’il était encore populaire. Difficile, lorsqu’une épidémie d’une telle ampleur frappe un pays. Alors, le choix a été fait de cacher les dégâts. “La position des services de sécurité était de ne pas admettre l’existence du coronavirus en Iran”, ont affirmé des médecins interrogés par la BBC.

Une situation toujours plus inquiétante

Et la situation ne risque pas de s’améliorer. Depuis la fin du confinement - qui avait permis de réduire le nombre de contaminations quotidiennes - les nouveaux cas repartent de plus belle. D’après l’agence de presse nationale ISNA, citée par l’analyste Hamid Enayat, de nombreux patients hospitalisés à cause du Covid-19 sont désormais des jeunes.

Face à ces difficultés, le discours est - comme pour les chiffres - double. D’un côté, Hassan Rohani a interdit les mariages et les grands rassemblements, comme les séminaires ou les festivals. De l’autre, il a autorisé, fin juillet, la tenue des cérémonies et rassemblements du mois sacré de Moharram, rappelle Hamid Enayat. De quoi laisser craindre le pire aux experts de santé.

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