Attention à cette image de parking végétalisé qui présente le Japon comme modèle en termes de développement durable

Le Japon est connu pour ses aménagements urbains verts, bien que le pays reste l'un des plus gros émetteurs historiques de gaz à effet de serre. Mi-mai 2024, une image a largement circulé avec une légende affirmant qu'elle montrerait un parking au toit végétalisé dans ce pays qui aurait "commencé" à les installer de façon généralisée. Ces affirmations sont trompeuses : d'une part, l'image montre la ville chinoise de Nanning. Par ailleurs, s'il existe en effet de nombreux aménagements urbains verts dans plusieurs villes du Japon dont sa capitale Tokyo, ces derniers ne relèvent pas d'une politique récente généralisée. En outre, présenter le Japon comme modèle en termes de développement durable est à nuancer, le pays restant parmi les pays les plus gros émetteurs de CO2, responsable du réchauffement climatique récent, au niveau mondial.

"Au Japon, ils ont commencé à installer des jardins flottants sur les toits des parkings publics, transformant ces zones en espaces verts. Ces jardins embellissent non seulement le cadre urbain, mais fournissent également des habitats cruciaux pour les abeilles et autres pollinisateurs, essentiels à la biodiversité. Cette initiative verte vise à atténuer les effets du béton dans les villes, en offrant un refuge à la faune et en améliorant la qualité de l'air. Les jardins de parking représentent un pas en avant vers la durabilité urbaine, soulignant l’importance de la nature dans les espaces urbains", assurent les descriptions de dizaines de publications partagées plusieurs centaines à des milliers voire des dizaines de milliers de fois sur Facebook depuis mi-mai, image d'un parking au toit fleuri à l'appui.

Des publications avec la même description ont été relayées par des internautes francophones basés en Belgique, en Algérie et au Sénégal, sur d'autres plateformes dont X, Threads, LinkedIn (1, 2), ou encore des blogs, et ont été diffusées en d'autres langues dont l'anglais.

<span>Capture d'écran prise sur Facebook le 29/05/2024</span>
Capture d'écran prise sur Facebook le 29/05/2024

Mais ces publications sont trompeuses : l'image mise en avant montre une ville en Chine, et si, comme l'ont expliqué deux spécialistes à l'AFP, des initiatives visant à rendre les villes vertes existent bien au Japon, nous n'avons pas retrouvé de trace de décision récente visant à généraliser la mise en place de parkings végétalisés. Par ailleurs, il est trompeur de considérer le Japon comme pionnier en matière de développement durable, comme le font régulièrement des publications et comme l'ont déjà expliqué des spécialistes à l'AFP.

Un parking à Nanning, en Chine

En effectuant une recherche d'image inversée à partir de la photo relayée dans les publications, nous l'avons retrouvée dans une vidéo de 11 secondes (archivée ici) partagée sur Facebook le 14 février, qui mentionne la ville de Nanning, dans la région autonome du Guangxi, en Chine, et diffuse d'autres images du même lieu.

<span>Comparaison de la publication Facebook mentionnant le Japon (à gauche) et de la vidéo utilisant les mêmes images citant la ville chinoise de Nanning (à droite), captures d'écran prises le 30/05/2024</span>
Comparaison de la publication Facebook mentionnant le Japon (à gauche) et de la vidéo utilisant les mêmes images citant la ville chinoise de Nanning (à droite), captures d'écran prises le 30/05/2024

Sur les images de la vidéo, on peut apercevoir des boutiques en fond à droite, ce qui semble être un terrain vague ou un parc au fond, et plus de détails sur certains véhicules stationnés.

On peut par exemple observer que l'une des voitures, visible à partir de 2 secondes, présente le logo de la marque chinoise BYD (lien archivé ici), et semble avoir une plaque d'immatriculation chinoise, reconnaissable à sa forme rectangulaire allongée, à la présence d'un caractère chinois au début, suivi de lettres et de chiffres.

Les plaques d'immatriculation japonaises sont généralement plus hautes, et les caractères qui y figurent sont répartis sur deux lignes, comme on peut le voir sur le site "License Plates of the World" (ou "plaques d'immatriculation du monde"), qui recense des plaques de nombreux pays.

<span>Extrait de la vidéo Facebook montrant la plaque et voiture(à gauche), comparée aux plaques japonaises selon le site "License Plates of the world" (à droite)</span>
Extrait de la vidéo Facebook montrant la plaque et voiture(à gauche), comparée aux plaques japonaises selon le site "License Plates of the world" (à droite)

En réalisant une autre recherche d'image inversée avec ces premiers détails, nous avons pu retrouver une vidéo publiée début février sur Douyin (lien archivé ici), la version de TikTok utilisée en Chine, qui mentionne dans son titre qu'elle montrerait "le plus beau parking de Wuming", un quartier de la ville de Nanning, dans la région autonome du Guangxi, dans le sud de la Chine.

On y retrouve d'autres images du même lieu, reconnaissable grâce aux bâtiments environnants et à la disposition des toits fleuris.

<span>Comparaison des vidéos Facebook (à gauche) et Douyin (à droite) montrant le parking fleuri, captures d'écran prises le 30/05/2024</span>
Comparaison des vidéos Facebook (à gauche) et Douyin (à droite) montrant le parking fleuri, captures d'écran prises le 30/05/2024

Avec ces informations, nous avons pu trouver une publication (archivée ici) diffusée par le compte officiel du district de Wuming sur le réseau social Weibo le 26 janvier, qui diffuse d'autres images du même parking, précisant qu'elles montrent des fleurs plantées "sur le parking du bâtiment Xingwu, dans le district de Wuming, dans la ville de Nanning".

On peut là aussi reconnaître sur les images aériennes, outre le positionnement des toitures fleuries sur le parking, les boutiques au fond, ainsi que les bâtiments qui l'entourent.

<span>Comparaison de la vidéo Facebook (à gauche) et du post du compte du district de Wuming sur Weibo (à droite), captures d'écran prises le 30/05/2024</span>
Comparaison de la vidéo Facebook (à gauche) et du post du compte du district de Wuming sur Weibo (à droite), captures d'écran prises le 30/05/2024

On peut ainsi retrouver une vue extérieure de ce parking sur Baidu Maps, l'équivalent chinois de Google Maps : les bâtiments et petits commerces qui figuraient sur la photo diffusée sur les réseaux sociaux sont reconnaissables, mais les images ont visiblement été prises hors de la saison de floraison et aucune photo de l'intérieur du parking n'est disponible.

Ce qui confirme que les images ont été filmées à Nanning, en Chine, et non au Japon comme l'avancent les publications.

Les villes et parkings "verts" au Japon

Des recherches par mots clés en anglais et japonais ne nous ont pas permis de retrouver de mentions dans des médias ou sur des sites officiels du fait que le Japon aurait "commencé" à installer des "parkings verts" en 2024.

Il est néanmoins vrai que des politiques visant à mettre en place des espaces verts dans les villes ont été développées au Japon depuis des années, ont relevé plusieurs spécialistes du pays auprès de l'AFP.

"Cela fait bien longtemps que le Japon crée des surfaces paysagères, jardins et autres parcs, soit sur les surfaces de logements collectifs, comme à Gunkanjima, dès les années 50-60, soit sur les toits de parkings en effet. Plus généralement, des techniques ont été développées très tôt via la construction des avancées sur la mer. La plus célèbre est sans doute le fameux marché aux poissons de Tsukiji (qui signifie, mot à mot 築地  - terre construite)", développe Cécile Asanuma-Brice, chercheuse CNRS en sociologie urbaine spécialiste du Japon, auteure d'"Un siècle de banlieue japonaise au paroxysme de la société de consommation" (lien archivé ici), auprès de l'AFP le 30 mai.

<span>Le jardin de Kyū Shiba Rikyū (ou jardins de l'ancienne ville Shiba), dans le quartier de Minato à Tokyo, le 5 octobre 2017.</span><div><span>Kazuhiro NOGI</span><span>AFP</span></div>
Le jardin de Kyū Shiba Rikyū (ou jardins de l'ancienne ville Shiba), dans le quartier de Minato à Tokyo, le 5 octobre 2017.
Kazuhiro NOGIAFP

"Le fait de recouvrir des ouvrages urbains par des parcs est extrêmement courant et ancien au Japon", résume la chercheuse, citant (lien archivé ici) par exemple le parc Miyashita, installé sur le toit d'un centre commercial dans un quartier central de Tokyo depuis les années 1960, précisant que "la technique est donc maîtrisée depuis fort longtemps et également utilisée afin de recouvrir des travaux sous terrains divers et variés".

"La pratique de végétaliser les toits plats de grands immeubles est assez ancienne", confirme Sophie Buhnik, géographe et spécialiste du Japon, à l'AFP le 6 juin.

Elle cite notamment un article (archivé ici) mentionnant le fait que "les gérants des 'department stores' [grands magasins, NDLR] attenant aux gares construits dès les années 1900 (pour créer une synergie avec les flux de trafic ferroviaire) créaient des jardins permettant aux clientèles de se reposer entre shopping et retour au domicile", dont un créé en 1907 sur le toit d'un établissement de Mitsukoshi serait l'un des premiers exemples.

"La pratique des toits végétalisés de bâtiments à usage commercial au coeur des métropoles japonaises, Tokyo en premier lieu, s'est accélérée avec les opérations de régénération urbaine des années 2000 et 2010, qui a été marquée par une forte multiplication de gratte-ciel autour de hubs ferroviaires qui sont aussi des quartiers d'affaires et/ou spécialisés dans le commerce de luxe (Shinjuku, Shibuya, Ôtemachi, Ginza, Shinagawa...)", développe la spécialiste.

Cette végétalisation des toits et des espaces publics "est entre autres destinée à compenser la minéralisation provoquée par la dérégulation de la hauteur maximale des bâtiments et à rendre Tokyo et Osaka plus attractives, dans la mesure où la capitale et plus encore Osaka, ont moins de mètres carrés d'espaces verts par habitant", abonde la chercheuse.

Outre ces exemples, la chercheuse mentionne l'importance du "verdissement" des espaces urbains lié à "la pratique informelle, par les habitants des quartiers résidentiels très piétons", qui par exemple placent "des pots de fleurs ou des jardinets à l'entrée des maisons de ville ou petit collectif dans les grandes villes".

Si ces toits "verts" sont donc bien développés dans les villes japonaises, ils ne concernent néanmoins pas uniquement ou en tous cas pas spécifiquement les parkings, selon Sophie Buhnik.

"En comparaison, la végétalisation des toits de parkings me paraît moins répandue, sans doute parce qu'il y a traditionnellement peu de parkings aériens dans Tokyo (ils sont souterrains ou en extérieur)", illustre-t-elle.

"Les parkings insérés dans les espaces résidentiels ont augmenté : avec la dépopulation, il y a moins de demande en logement, de sorte que les propriétaires de foncier vont préférer détruire un bâtiment résidentiel hors d'usage et le remplacer par un parking, plutôt que de construire de nouveaux logements qui risquent de rester vacants. C'est très prévalent dans la ville de Kyoto et considéré comme un grave problème, car cela nuit à la préservation des quartiers de maisons en bois", note-t-elle par ailleurs.

<span>Le jardin d'iris de Koiwa, dans le quartier d'Edogawa à Tokyo, le 17 juin 2023</span><div><span>Philip FONG</span><span>AFP</span></div>
Le jardin d'iris de Koiwa, dans le quartier d'Edogawa à Tokyo, le 17 juin 2023
Philip FONGAFP

Ce type de d'initiatives visant à "verdir" des espaces urbains en les recouvrant de végétation existe par ailleurs aujourd'hui dans d'autres pays, en Asie mais aussi en Europe et en Amérique.

La ville de Nanning, dans laquelle ont été tournées les images, est par exemple souvent présentée comme une "ville verte" par des médias locaux chinois, du fait de la présence de fleurs, arbres, parcs et végétaux, comme ici (lien archivé ).

En France aussi par exemple, il existe des initiatives -à ce jour pas généralisées- visant à introduire des espaces verts dans de nombreuses villes (lien archivé ici), et des entreprises spécialisées proposent aussi des aides pour construire des parkings "végétalisés" notamment.

Ce n'est pas la première fois qu'une publication extrapolant des images ou des propos vise à présenter le Japon comme un exemple en termes de protection de l'environnement sur les réseaux sociaux.

En août 2023, l'AFP avait vérifié des rumeurs prétendant que tous les arbres placés sur des routes au Japon étaient déplacés et non abattus, ce qui est trompeur, puisque des arbres sont régulièrement abattus lors de travaux de construction au Japon.

Le développement durable au Japon

Présenter le Japon comme modèle en matière de développement durable comme cela est sous-entendu dans les publications ne reflète par ailleurs pas tout à fait la réalité, avaient déjà estimé plusieurs experts interrogés par l'AFP dans un article sur une autre rumeur visant à présenter le Japon comme un modèle en termes de réutilisation des ressources, prétendant que le quotidien Mainichi Shimbun vendrait des exemplaires incluant des graines "à planter".

Le Japon figure ainsi parmi les 10 pays les plus émetteurs de CO2 (à la 9ème place, juste après le Royaume-Uni et avant le Canada), selon une analyse (archivée ici) prenant en compte les émissions cumulatives de CO2 réalisée en 2021 par le site britannique consacré au réchauffement climatique Carbon Brief.

Or, le fait que les émissions de CO2 générées par les humains sont responsables du réchauffement actuel du climat fait aujourd'hui consensus parmi la communauté scientifique, comme détaillé dans cette fiche réalisée par l'AFP.

<span>Carte du monde représentant les émissions de CO2 par habitant et par pays, selon le Global carbon atlas</span><div><span>Sabrina BLANCHARD</span><span>Kenan AUGEARD</span><span>AFP</span></div>
Carte du monde représentant les émissions de CO2 par habitant et par pays, selon le Global carbon atlas
Sabrina BLANCHARDKenan AUGEARDAFP

"Du point de vue énergétique, le Japon repose principalement sur l'énergie thermique issue des énergies fossiles : du charbon, du gaz et du pétrole (...), dont une très importante part d'importations", relevait Raphaël Languillonchercheur et géographe à l'Institut Français de Recherche sur le Japon (lien archivé ici) et à l'Institut de Gouvernance de l'Environnement et de Développement Territorial (IGEDT) de l'Université de Genève.

"En termes de production d'électricité, le Japon n'est aujourd'hui clairement pas un modèle", résumait le chercheur, soulignant néanmoins que le pays a lancé une "stratégie ambitieuse et pionnière sur l'hydrogène" visant à réduire sa dépendance au gaz, pétrole et charbon, mais dont les premiers résultats (lien archivé ici) ne sont pour l'heure pas tout à fait à la hauteur des attentes.

Raphaël Languillon citait aussi le fait que "le Japon a misé depuis longtemps sur le train, plutôt que l'avion par exemple, comme mode de transport", de façon "bien plus importante que les Etats-Unis, ou même que certains pays d'Europe dont la France".

Le chercheur soulignait par ailleurs des disparités entre les politiques mises en place à l'échelle des collectivités territoriales, dont des villes ou quartiers, dont certaines sont "très vertueuses", notamment en termes de collecte des déchets et de recyclage, comme détaillé dans cet article (archivé ici) du Washington Post.

Le gouvernement japonais avait aussi publié une feuille de route (archivée ici) sur le tri et la valorisation des déchets plastiques, le pays étant l'un des plus gros producteurs de déchets plastiques.

Mais Raphaël Languillon notait toutefois que "les infrastructures ne sont pas suffisantes", ce qui mène à une incinération d'une partie des déchets même recyclés, permettant elle-même de produire de l'électricité, mais générant aussi des gaz à effets de serre, comme également détaillé dans cet article (archivé ici) du Financial Times.

Une collecte de bouteilles en plastique le 11 novembre 2022 dans le quartier d'Omotesando à Tokyo
Richard A. BrooksAFP

La communication autour des objectifs de développement durable de l'ONU

L'idée de développement durable est néanmoins très présente dans la communication des entreprises au Japon, avaient aussi déjà relevé des chercheurs interrogés par l'AFP.

"Quelque chose d'assez frappant dans la presse au Japon, c'est la mise en avant dès les années 2010 des 'SDG[pour 'sustainable development goals', les objectifs de développement durable de l'ONU, NDLR], pour par exemple justifier des reportages", relevait César Castellvimaître de conférences en sociologie du Japon à l'Université Paris Cité .

"C'est un sujet qui revient très souvent, plus souvent qu'en France, qui est aussi repris par les entreprises en termes de communication", détaille le chercheur, précisant que "l'Asahi Shinbun, grand quotidien national, a même créé un média en ligne dédié à ce thème", et estimant ainsi que "de ce point de vue, il est peut-être possible de dire qu'ils sont pionniers".

Mais ces efforts de communication "sont à prendre avec des pincettes", estimait César Castellvi, le Japon étant un pays qui "consomme toujours beaucoup de plastique et d'électricité".

"Au niveau de la communication sur ces objectifs de développement durable, cela fonctionne très bien. Mais ce n'est pas toujours mis au regard de faits concrets", abondait aussi Raphaël Languillon, citant par exemple le "mur construit sur la côte nord-est du Japon après le séisme de 2011, qui est catastrophique sur les plans environnemental mais aussi social".

Le chercheur mentionne aussi le rapport particulier à la nature au Japon, où "trois conceptions de la nature, liées à l'animisme donc à la religion, au modernisme donc à une conception plus européenne et à l'esthétique donc plus historiquement liée à la Chine, s'entremêlent", ce qui peut mener à des interprétations trompeuses ou mal comprises sur la relation des Japonais avec l'environnement.

"Ce qui touche à l'environnement au Japon, c'est toujours un peu ambigu", résumait César Castellvi.

<span>Des cosmos jaunes et rouges dans le parc Hamarikyu à TOkyo, le 16 août 2008.</span><div><span>TORU YAMANAKA</span><span>AFP</span></div>
Des cosmos jaunes et rouges dans le parc Hamarikyu à TOkyo, le 16 août 2008.
TORU YAMANAKAAFP

7 juin 2024 Corrige le nom de la seconde chercheuse mentionnée