Comment la santé mentale des footballeurs est devenue un sujet majeur

Comment la santé mentale des footballeurs est devenue un sujet majeur

Selon une étude menée par la FIFPro, la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels, 20 à 35% des joueurs professionnels en activité ont montré des signes de dépression. Des problèmes personnels, cumulés à des soucis sportifs, peuvent causer de lourdes défaillances psychologiques chez le joueur. Dans certains cas, la situation peut-être très grave. Comme le 29 septembre dernier, jour où le football français a retenu son souffle. Le joueur de l’OGC Nice, Alexis Beka Beka, 22 ans, a menacé de se suicider depuis un viaduc. La santé mentale des footballeurs, un sujet qui devient majeur.

"Tout le monde pense que ça va. Peu importe le niveau de société. Mais on a tous des problèmes. Des problèmes des fois qu’on a du mal à digérer, que des fois tu caches. Tu montres un peu de sûreté alors que ce n’est pas forcément le cas. Tu n’es pas vraiment sûr. Et comme je le dis souvent, le cerveau a un pouvoir énorme sur l’être humain. C’est ce qui nous contrôle." Des mots forts prononcés par Thierry Henry lors d’une conférence de presse.

Il poursuivait alors: "C’est vrai qu’à notre époque, si tu dis à quelqu’un j’ai peur, ça ne passe pas très bien. A un moment donné si tu montres de la vulnérabilité, si on ne te montre pas d’empathie, tu te renfermes, ne t’en parles pas, tu ne sais pas où aller, tu as honte. Alors que c’en est pas une."

Ajoutant: "C’est comme quand tu pleures. Le premier truc qu’on dit c’est: excusez-moi. C’est une émotion, pourquoi tu t’excuses si tu pleures. Tu vas te cacher, soit tu t’excuses, soit tu as honte. Alors que c’est pas du tout honteux."

Un sujet important pour l’actuel sélectionneur des Bleuets. Lui, comme de nombreux autres personnages du football français, ont été marqués par les récents évènements. A seulement 22 ans, Alexis Beka Beka, milieu de terrain de l’OGC Nice, a passé plusieurs heures, à 100 mètres du sol, pour tenter de mettre fin à ses jours… "Quand on a vu ces images sur le pont, on s’est penché sur nos problèmes. Moi ça m’a fait réfléchir. Quels sont mes problèmes à l’heure actuelle? J’en ai aussi. On les cache, on les masque, on fait de choses pour ne pas y penser. Et de temps en temps des personnes arrivent à bout. Dommage qu’on arrive à ça pour réaliser, il faut qu’il y ait des portes, des compréhensions pour que les personnes puissent s’exprimer sans avoir peur, honte."

"Je ne voulais plus être là, je n’avais plus envie d’être en vie"

Aujourd’hui, lui en parle ouvertement: Cédric Anselin, champion de France avec les Girondins de Bordeaux en 1999. A 21 ans, il part pour l’Angleterre, au club de Norwich. Il ne parle pas la langue, se blesse rapidement et n’est plus dans les plans de l’entraineur. Il se renferme sur lui-même. "Je ne voulais plus aller m'entraîner, j’avais perdu la motivation et la confiance en moi. Je me suis retrouvé le matin sur le parking avant l'entraînement, dans ma voiture en train de pleurer, je ne voulais pas rentrer dans le vestiaire, j’avais peur", raconte-t-il.

Son contrat au club est rompu avant la dernière année. Le Français ne retrouve pas d’équipe. C’est le début d’une descente en enfer. "À l'époque je ne savais pas ce qu’était une dépression, je ne voulais plus être là, je n’avais plus envie d’être en vie. J’avais perdu la joie, le bonheur de la vie. Je me disais: 'Comment je vais me suicider?'" Première tentative de suicide en 2012. Une deuxième en 2016 quand sa femme le quitte, avec leurs deux enfants. Anselin est interné en hôpital psychiatrique: "Mes enfants ont vécu ça aussi, je leur ai parlé de mes problèmes de dépression. Et quand je suis sorti de l’hôpital, mon plus âgé qui est autiste m’a dit 'Tu n'as plus besoin d’aller voir les anges'. Ça m’a frappé." Depuis, la santé mentale, il en a fait un combat.

L’ancien Girondin fait de la sensibilisation auprès des jeunes mais selon lui, "le niveau mental pour les joueurs ne s’est pas développé à la même vitesse que le football. Il y a encore des joueurs qui ne parlent pas".

Alors pour les aider, les clubs français font appel à des psychologues et des préparateurs mentaux. Denis Troch, ancien joueur et entraineur, a suivi en 15 ans plus de mille joueurs: "Quand on écoute les footballeurs, qu’on décrypte leur discours, on se rend compte qu’il y a un certain mal-être. Mais dans le foot, on ne veut pas entendre que les joueurs ont mal, puissent se plaindre, être dans un mal être profond."

Parce qu’on idéalise le footballeur: il gagne beaucoup d’argent, a une belle maison…. Mais on oublie qu’il subit une pression au quotidien qui est difficile à gérer. Thomas Sammut est préparateur mental du Stade Brestois: "On voit les footballeurs comme un simple physique, ce n’est plus un être humain, mais un footballeur et on oublie le reste, un humain avec émotions et des humeurs. On est focus sur du résultat, faut toujours marquer et gagner des matchs."

"On a une vingtaine d’appels par an"

A l’UNFP, l’Union nationale des footballeurs professionnels, une cellule psychologique est mise en place depuis dix ans. Elle a pour objectif d’écouter, de faire parler les joueurs et les joueuses qui le souhaitent. "Tous les jeudis, une psychologue spécialiste dans le sport est à l’écoute des personnes qui appellent. Ces joueurs peuvent appeler s’ils ont un problème de dépression ou d’addiction. On a une vingtaine d’appels par an. C’est une population souvent jeune. Cette cellule est la possibilité de se livrer en toute confiance à quelqu’un. Ce n’est pas simple à faire vu la notoriété de chacun. Encore une fois, se livrer, c’est livrer une faiblesse et c’est le gros point d’un sportif qui a toujours voulu cacher ou dépasser ses limites", détaille Philippe Lafon, le directeur général de l’UNFP.

Car les joueurs sont réticents à exprimer leurs émotions, donner leur ressenti. Thomas Sammut en est témoin depuis qu’il a commencé à travailler dans le monde du ballon rond. "Les émotions ont été vues comme quelque chose à combattre dans le sport et si le joueur de foot commence à en parler à son entraineur, ça peut se retourner contre lui comme il va interpréter les propos. L’entraineur se dit 'olala lui n’est pas en confiance, je vais le mettre sur le banc'. C’est pour ça que les joueurs préfèrent se taire et monter que tout va bien alors qu’au fond ce n’est pas le cas." C’est pour cela l’importance d’avoir une personne externe à l’équipe, au staff, à leur famille, à qui ils peuvent parler en toute confiance.

"Cette personne sera un écho de ce que vous avez envie d’entendre. La personne va être là pour vous rappeler que vous avez le droit de ne pas aller bien. On peut avoir des phases difficiles. La chose la plus importante c’est savoir comment on va rebondir et retrouver une vie normale", détaille Denis Troch.

"Dans notre pays, on a plus l’impression, que l’appel d’un psy ramène à la maladie, au côté faiblesse évidemment pour le sportif que l’on ne veut pas reconnaitre ou le côté malade, fou. Non, aujourd’hui, le psy, on le voit via la prépa mentale, il peut apporter un équilibre au sportif. Mais c’est encore une fois la possibilité de se livrer en toute confiance à quelqu’un", veut rappeler Philippe Lafon de l’UNFP.

Car chez ses collègues anglo-saxons, la santé mentale est vue d’une différente manière. Maheta Molanga est le directeur général de la Professional Footballer’s Association, le syndicat des joueurs anglais: "En Angleterre, ils parlent de la santé mentale pas que dans le foot mais dans la vie de tous les jours. Les Anglais sont stricts sur la durée des journées et le respect de la sphère privée. Nous on est une organisation indépendante qui n’a pas de conflit d’intérêt, et qui permet au joueur de s’exprimer de manière libre sur des sujets qu’il ne veut pas échanger avec son club. Parce qu’il est conscient qu’il peut y avoir des conséquences. C’est bien que le club se préoccupe de la santé mentale mais ce n’est pas à eux de le faire, mais à nous, syndicat, d’offrir un espace indépendant et sécurisé ou les joueurs peuvent parler librement de tous problèmes."

"Il faudrait évaluer la santé mentale des joueurs à chaque début de saison"

Même si les footballeurs se sentent de plus en plus à l’aise à l’idée de s’exprimer, notamment devant les médias, des problématiques mentales qu’ils peuvent rencontrer, il y a encore du travail à faire sur l’accompagnement durant leur carrière mais aussi après. A la FIFpro, la Fédération internationale des footballeurs professionnels, le sujet est régulièrement mis sur la table par le biais notamment de Vincent Gouttebarge, ancien joueur professionnel français, devenu directeur médical de l’instance. "Généralement, on voit que dans une carrière de football professionnel, autour de 20 à 35% des joueurs rapportent des troubles de la santé mentale et quand on regarde les anciens footballeurs professionnels comme les anciens athlètes élites d’autres disciplines sportives, ce pourcentage varie entre 15 et 25%."

Pour lui, il devrait y avoir plus de choses mises en place dans les clubs: "En début de saison, les joueurs sont évalués de manière physiologique. On regarde également les anomalies cardiovasculaires, généralement ils sont évalués par un chirurgien orthopédique mais ils n’ont pas le réflexe d’évaluer la santé mentale de leurs joueurs de manière systématique, ce qui est quand-même bizarre donc il y a beaucoup de choses à faire. Ce genre d’évaluation devrait être répétée à chaque élément de vie significatif d’un joueur, par exemple une rupture des ligaments croisés."

Article original publié sur RMC Sport