"Il faut faire attention à lui!" Evenepoel représente-t-il une vraie menace pour Pogacar après sa victoire au contre-la-montre du Tour de France?

Remco Evenepoel a bien cru qu’un maudit pépin mécanique allait ruiner ses rêves de première victoire sur le Tour de France. "J’étais persuadé d’avoir une crevaison mais pas du tout", souriait-il à l’arrivée, enfin détendu et en plein débriefing avec le Prince Albert II de Monaco. "Peut-être que quelqu’un a jeté un verre ou quelque chose, ça m’a fait une impression bizarre. J’étais un peu inquiet mais j’ai vu qu’il n’y avait pas de problème." Une sacrée frayeur, donc, à trois bornes du but, et un toboggan d’émotions. Désigné comme le grand favori du jour, le Belge de 24 ans, qui connaissait le parcours par cœur pour avoir enchaîné les reconnaissances ces derniers mois, a assumé la pancarte en remportant le premier chrono de cette 111e édition, entre Nuits-Saint-Georges et Gevrey-Chambertin.

Sur un terrain roulant, avec la côte de Curley (4,3km à 3,3%) comme seule vraie difficulté, le jeune loup de Soudal-Quick Step, champion du monde en titre de la discipline, n’a pas eu le temps de profiter des cépages de la Côte-d’Or, ni de répondre à l'invitation des spectateurs lui proposant de savourer un grand cru au bord de la route. Parti en avant-dernière position, il a dégagé la même facilité que sur ses chronos précédents, la même faculté à maîtriser son engin de torture. Avec, au bout de cet effort solitaire de 28 minutes, un succès taille patron et un rapproché au général. Pointé à 45 secondes de Tadej Pogacar ce matin, le voilà revenu à 33 secondes, le moral gonflé à bloc et le sentiment qu’il a les armes pour imposer un joli bras de fer à l’ogre slovène, en attendant la montée en puissance attendue de Jonas Vingegaard, l’actuel troisième homme.

UAE s'en méfie

"Est-ce que Remco peut représenter une menace? Oui, il faut faire attention à lui, il a pris du temps à tout le monde et il est au même niveau que Tadej ou Jonas", reconnaissant aisément Joxean Matxin, l’un des directeurs sportifs d’UAE Emirates, sans que l’on perçoive toute la part de bluff dans ses propos. "C'est un bon résultat pour Tadej. Il a repris du temps sur Vingegaard. La performance de Remco est impressionnante, félicitations à lui. Le tracé était parfait pour lui. Les 22 secondes sur Vingegaard, c'est bon pour nous. On a un bon feeling avec les prestations de Tadej", ajoutait le dirigeant espagnol au pied du bus de sa formation, pendant que Juan Ayuso et João Almeida se refaisaient en boucle l’étape du jour sur leur home-trainer de récupération, les yeux rivés sur leur téléphone.

"Il n'y a pas à se préoccuper, Tadej est toujours en jaune", confiait le grimpeur catalan, d'une implacable sérénité. "Remco arrivait en tant que favori, il l'a démontré. Il reste beaucoup d'étapes sur lesquelles il y aura bien sûr de grands moments mais aussi des mauvais qui nous mettront sous pression." Peut-être dès dimanche avec l’étape aussi redoutée qu’attendue des chemins blancs à travers l’Aube? "Oui, on va voir demain et surtout dimanche, l'étape du gravel. C'est très technique, très compliqué. Si c'est une bonne journée, c'est parfait, mais s’il y a des petits problèmes...", grimaçait Matxin, bien conscient que ce rendez-vous, un genre de mini-Strade Bianche au milieu des vignobles de Champagne, pourrait réserver son lot de surprises.

Des doutes envolés

Et c’est peut-être Evenepoel qui a le mieux résumé la crainte des favoris sur le sujet : "Je ne crois pas qu'on puisse y gagner le Tour de France mais on peut le perdre en cas de malchance." Les qualités de rouleur de l’ancien footeux seront un avantage, sur ce tracé mais aussi le dernier jour lors du contre-la-montre entre Monaco et Nice, à condition d'être encore au contact à ce moment-là. Mais pas question pour lui de se projeter aussi loin. Arrivé au départ de Florence escorté de doutes, après sa chute lors du Tour du Pays basque en avril (fractures de la clavicule et de l'omoplate droite) et ses difficultés rencontrées sur le Critérium du Dauphiné, où il avait dû se contenter d’une septième place à plus de deux minutes de Primoz Roglic, le vainqueur de la Vuelta 2022 se satisferait déjà d’un podium final. Un résultat qui lui ferait oublier ses deux déceptions vécues sur le Tour d'Italie (abandons en 2021 et 2023). Et qui prouverait ses progrès accomplis en haute altitude.

Du genre ambitieux, le bonhomme a consenti une perte de 2,5 kilos entre le Dauphiné et le Tour pour se donner toutes les chances d’atteindre son objectif. "Je pense que Tadej sera intouchable", disait-il après son succès. "Mais c'est la course, on ne sait jamais ce qui peut se passer. Plus la course va, plus je me sens bien. Bien sûr qu'on va penser au podium, je pense que j'ai les jambes pour ça." Après un tel récital, personne ne viendra le contredire.

Article original publié sur RMC Sport