Royaume-Uni : quel est le programme des travaillistes, de retour au pouvoir ?

Une page de 14 ans se tourne. Après la victoire écrasante de son parti aux élections législatives britanniques, Keir Starmer a été nommé aujourd’hui Premier ministre par le roi Charles III. « Change begins now », telle est sa promesse. Mais comment va-t-elle se concrétiser ? Quel était son programme de campagne ?

Priorité à la croissance et au pouvoir d’achat

Alors que l’économie britannique sort tout juste la tête de l’eau, le nouveau Premier ministre s’est donné pour mission de relancer la croissance et d’améliorer le pouvoir d’achat des Britanniques. Spécialiste de civilisation britannique contemporaine et maîtresse de conférences en études anglophones à Sciences Po Lille, Clémence Fourton distingue deux priorités saillantes dans le programme du Labour : « Leur premier objectif est de stabiliser l’économie, de réduire l’inflation (qui a atteint 10 % il y a deux ans) et de favoriser le pouvoir d’achat. » Pour relancer l’économie, Keir Starmer n’entend pas se mettre les entreprises à dos. Dans une ligne plutôt pro-business, il a promis de ne pas augmenter les impôts des sociétés et prévoit une « discipline de fer » sur les finances publiques.

Santé, école, police : investir dans les services publics

« Leur seconde priorité est d’investir dans les services publics, notamment l’école et la santé » explique l’experte. Le système de santé britannique est un grand malade à soigner : la crise du NHS (National Health Service) était l’une des premières préoccupations des électeurs britanniques et, d’ailleurs, tous les partis promettaient de sauver le système. Cette crise se matérialise par des conséquences très concrètes pour les patients britanniques : « les temps d’attente pour les traitements, ne pas pouvoir voir un médecin quand on en a besoin » souligne Clémence Fourton, tel est le quotidien de nos voisins outre-manche. Actuellement, quelques 7,6 millions de soins sont en attente. Face à cette situation, le Labour promet le déblocage de 40 000 rendez-vous médicaux supplémentaires au sein de la NHS, sans qu’on sache vraiment comment il va y parvenir.

Toujours du côté des services publics, le Labour promet de recruter 6 000 enseignants ou encore de mettre en place une nouvelle police aux frontières dont les pouvoirs vont être étendus, un « commandement de la sécurité des frontières » explique notamment la BBC. Le Labour version Starmer veut réduire le solde migratoire et ne veut pas d’ouverture des frontières. Bref, c’est le programme d’une gauche modérée, qui promet le relèvement de l’économie, le rétablissement des services publics mais qui veut aussi s’occuper d’insécurité et d’immigration.

Keir Starmer, l’héritier de Tony Blair

« Starmer s’est éloigné autant que possible de la ligne Corbyn. Cette stratégie n’est pas nouvelle, cela a été celle de Tony Blair. Ils ont d’ailleurs leur conseiller en commun, Peter Mandelson », rappelle Clémence Fourton. Peter Mandelson, avec Gordon Brown et Tony Blair, a été l’artisan de la transformation du parti travailliste en « New Labour », marque d’un parti travailliste réformé acceptant l’économie de marché et qui visait notamment à rendre le parti plus attractif pour les classes moyennes et supérieures.

La figure de Keir Starmer est d’ailleurs faite pour rassurer : « il a construit sa crédibilité politique sur sa fiabilité, c’est un juriste issu de la classe moyenne, c’est un peu le président normal » souligne Clémence Fourton. Un véritable antidote à l’exubérance de Boris Johnson désormais associée au scandale de ses soirées au 10 Downing Street en plein confinement. La période suivante a aussi eu son lot d’affaires : des délits d’initiés auront entaché le gouvernement de Rishi Sunak.

Keir Starmer est aussi une figure très éloignée de l’aile gauche du parti travailliste, longtemps incarnée par Jeremy Corbyn. En fin de carrière, l’ex-chef de l’opposition de 2015 à 2020 a été exclu cette année de son propre parti. Critiqué pour son ambiguïté sur la question du Brexit et pour sa gestion de la question de l’antisémitisme au sein du Labour, il a néanmoins été réélu cette année. Clémence Fourton ne le voit plus revenir au centre du jeu, son moment est passé. Le balancier est revenu au centre : « On est partis pour des années de social-démocratie. »

Le Labour peut-il inspirer le Nouveau Front populaire ?

Jérémy Corbyn a trouvé en France le soutien de Jean-Luc Mélenchon et de plusieurs députés de la France insoumise, comme s’il y avait un cousinage entre les deux formations politiques. Son positionnement, à l’époque où il était encore membre du Parti travailliste, peut-il être comparé à celui de LFI au sein de la NUPES et désormais du NFP ? Pour Clémence Fourton, il y a des éléments similaires entre la gauche française et la gauche britannique, notamment la coexistence, dans un même mouvement ou un même parti « de différentes chapelles, de l’extrême gauche au centre-gauche. » Mais là s’arrêtent les similitudes. Les Britanniques ont connu leur moment de populisme en disant « Oui » au Brexit, suivi d’années d’instabilité et de crise. Tandis que la France n’est pas encore passée par cette période d’excès, qui peut redonner aux électeurs le goût de la modération. Bref entre Londres et Paris, il y a encore un décalage horaire qui ne permet pas vraiment de comparer les deux situations.