Législatives: majorité absolue, Premier ministre... Les enjeux et questions qui se posent avant le second tour

Seulement une heure après l'annonce des premiers résultats des élections européennes, Emmanuel Macron a annoncé le 9 juin dernier dissoudre l'Assemblée nationale. Une décision lourde de conséquences, qui a provoqué la tenue d'élections législatives dans un climat politique tendu.

Après un premier tour marqué par une avance du Rassemblement national (RN) et la percée du Nouveau Front populaire, et à deux jours du second tour, de nombreuses questions se posent.

Le RN peut-il vraiment obtenir la majorité absolue au sein de la chambre basse du Parlement? Que se passerait-il si aucune formation politique ne se démarquait? Le chef de l'État peut-il à nouveau dissoudre l'Assemblée nationale? On fait le point.

· Le RN peut-il obtenir une majorité?

Le soir du premier tour des élections législatives, le Rassemblement national est apparu comme victorieuse, avec 29,26% des suffrages, auxquels se sont ajoutées les voix des candidats Les Républicains alliés à l'extrême droite sous la houlette d'Éric Ciotti, soit 3,96%.

Toutes les projections accordaient alors un nombre important de sièges pour le parti de Marine Le Pen. Comme notre estimation avec Elabe et la Tribune publié au soir du premier tour, qui voyait entre 255 et 295 députés RN arriver au sein de l'hémicycle et donc la possibilité pour le RN d'obtenir la majorité absolue, fixée à 289 sièges. Le président de l'institut de sondage, Bernard Sananes, prévenait cependant qu'il s'agissait alors d'une fourchette haute.

Et à deux jours du second tour, la prudence est encore plus de mise concernant ces premières estimations. Car face à l'ampleur des désistements - 130 pour la gauche et 80 pour les macronistes -, le nombre de triangulaires a chuté et des consignes de vote ont été données, du camp présidentiel au Nouveau Front populaire, pour faire barrage à l'extrême droite.

Notre sondage Elabe pour BFMTV et La Tribune Dimanche publié ce vendredi 5 juillet table désormais sur une majorité très relative pour le RN et ses alliés avec 200 à 230 sièges. Le Nouveau Front populaire et les candidats étiquetés Divers gauche pourraient eux rassembler entre 165 et 190 sièges, alors que le camp de l'ex-majorité présidentielle obtiendrait entre 120 et 140 sièges.

Un sondage Toluna Harris Interactive chiffre lui le nombre de sièges pour le RN entre 190 et 220, loin des 289 requis pour obtenir une majorité absolue. Idem pour un sondage Ifop, selon lequel le RN et ses alliés obtiendraient entre 210 et 240 sièges. Toute la question est désormais de savoir si les électeurs suivront les consignes données par leur parti respectif.

· Que se passe-t-il si personne n'a la majorité?

À deux jours du second tour des élections législatives, il apparaît possible que ni Ensemble, ni le Nouveau Front populaire et ni le Rassemblement national, les trois forces politiques qui sont arrivées en tête du premier scrutin, ne réunissent assez de députés pour obtenir une majorité absolue: 289 sur 577 députés.

On se retrouverait alors dans une situation de majorité relative, comme depuis 2022. Lors des dernières législatives, la coalition qui réunit Renaissance, le MoDem, Horizons et le Parti radical n'avait obtenu que 250 sièges à l'Assemblée nationale. Ce qui n'a pas empêché Élisabeth Borne et Gabriel Attal de gouverner le pays.

La première a néanmoins eu recours 23 fois à l'article 49.3 de la Constitution pour contourner le Parlement et faire passer ses textes. Tous les deux ont également fait face à plusieurs motions de censure, un vote qui peut provoquer la démission du gouvernement.

Plusieurs options s'offriraient alors à Emmanuel Macron, qui nomme le Premier ministre selon la Constitution, en cas de nouvelle majorité relative. Un membre issu d'un groupe relativement majoritaire à l'Assemblée pourrait également être nommé à Matignon. Jordan Bardella a néanmoins affirmé qu'il ne briguerait pas le poste de Premier ministre si son parti n'obtenait pas la majorité absolue.

En cas de nomination d'une personnalité politique issue du Nouveau Front populaire, une coalition anti-RN pourrait alors voir le jour, même si de nombreuses incertitudes l'entourent. Sans majorité et sans alliance, le chef de l'État aurait aussi, en attendant, la possibilité de nommer un gouvernement "technique", composé d'experts (économistes, hauts-fonctionnaires, diplomates..) et chargé d'assurer la continuité de l'État.

Un concept un peu flou en France qui n'a jamais existé sous la Vème République. "Il n'y a pas de définition institutionnelle de ce qu'est un 'gouvernement technique', précise à BFM Business Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de Droit public à l'Université de Lille. Donc c'est un gouvernement normal qui peut faire tout ce qu'il veut tant qu'il ne s'oppose pas à l'Assemblée."

Mais dans la pratique, le fait que ce gouvernement soit soumis à la censure permanente du pouvoir législatif limite son champ d'action au strict minimum. Concrètement, il s'occuperait de gérer les affaires courantes et d'assurer la continuité de l’État.

Emmanuel Macron pourrait enfin décider de maintenir Gabriel Attal à son poste et lui confier la tâche de constituer une coalition plurielle s'étendant du Parti socialiste aux Républicains, sans avoir cependant la certitude d'obtenir une majorité capable de survivre à une motion de censure.

· Peut-il y avoir une coalition anti-RN?

En cas de majorité relative à l'Assemblée nationale, une grande coalition contre le Rassemblement national pourrait se dessiner, avec des membres d'Ensemble, du Nouveau Front populaire ou même des Républicains (LR).

"C'est théoriquement possible, mais entre ce qui est possible et la réalité, il existe une grande marge", explique Bertrand Mathieu, professeur émérite de droit constitutionnel à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, invité de BFMTV. Avant de poursuivre: "Cette union, très disparate, doit se mettre d'accord sur un programme minimum. Sur le papier, elle est possible, mais elle serait extrêmement difficile à mettre en oeuvre."

Interrogée lors de notre émission spéciale à ce sujet, Marine Tondelier, la cheffe de file des Verts, estime qu'il n'y aura "pas de macroniste à Matignon". "Ce n'est pas pour ça que j'ai commencé à faire de la politique, mais on va être dans une situation exceptionnelle. À situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle", a-t-elle répondu.

"Il va falloir une coalition républicaine comme à l'allemande, des LR jusqu'à la gauche. (...) Il faudra que chacun soit responsable. (...) S'il y a un danger absolu qui est le RN, il faut prendre des décisions", a également affirmé Rachid Temal, porte-parole des sénateurs PS.

Mais du côté de Renaissance, une coalition ne tiendrait pas en cas de présence de La France insoumise (LFI). "On ne gouvernera pas avec La France insoumise. Un désistement ne vaut pas coalition", a tranché Emmanuel Macron en conseil des ministres le 3 juillet, a expliqué à BFMTV l'un des participants. Une position déjà défendue par Gabriel Attal sur France inter: "Tout me sépare de la France insoumise. Jamais je ne ferai d'alliance avec."

Du côté de LFI, l'option d'une alliance avec le camp présidentiel se retrouve elle aussi balayée. Seul "deux projets sont sur la table", a récemment affirmé Jean-Luc Mélenchon: "le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire." Ce dernier refuse l'option d'une alliance qui "amoindrit le programme".

· Quand Emmanuel Macron nommera-t-il un nouveau gouvernement?

L'article 8 de la Constitution est clair: "Le Président de la République nomme le Premier ministre. [...] Sur la proposition du Premier ministre, il nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions." Aucun délai n'est néanmoins indiqué.

Dernièrement, Gabriel Attal a été nommé le 9 janvier dernier à la fonction de Premier ministre, au lendemain de la démission d'Élisabeth Borne. Son gouvernement a ensuite été officialisé lors de deux moments distincts: les noms des ministres ont été dévoilés le 11 janvier, puis la composition complète du gouvernement le 8 février.

· Emmanuel Macron peut-il à nouveau dissoudre l'Assemblée nationale?

Emmanuel Macron peut tout à fait dissoudre à nouveau l'Assemblée nationale. Il est néanmoins limité par l'article 12 de la Constitution. Il stipule qu'il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution "dans l'année" qui suit les élections législatives. Le président de la République devra donc attendre l'été 2025 pour dissoudre la chambre basse du Parlement.

· Emmanuel Macron peut-il démissionner?

Le chef de l'État a exclu à plusieurs reprises de démissionner en cas de défaite aux élections législatives. Rien ne l'empêche cependant de le faire dans la Constitution, comme le général de Gaulle avant lui, le 27 avril 1969. Dans ce cas-là, l'article 7 de la Constitution stipule que le président du Sénat exerce provisoirement les fonctions du président de la République. Un nouveau scrutin doit ensuite être organisé vingt jours au moins et trente-cinq jours au plus après la démission.

Article original publié sur BFMTV.com