Accords, 49.3, dissolution... Les pistes de l'exécutif pour gouverner sans majorité absolue à l'Assemblée
Depuis dimanche, la macronie est sonnée. Après l'obtention d'une majorité pléthorique en 2017, avec 313 députés pour la seule République en Marche (LaREM) et 47 élus MoDem, la bannière Ensemble, qui regroupe LaREM, MoDem, Horizons et Agir, a raflé dimanche 245 sièges seulement, loin des 289 nécessaires pour la majorité absolue.
"La situation est inédite. Jamais l'Assemblée nationale n'a connu une telle configuration sous la Ve République", a admis dimanche soir la Première ministre Élisabeth Borne.
Situation inédite, dans la même veine que la réélection d'Emmanuel Macron à l'Élysée: c'est la première fois sous ce régime que le chef de l'État est réélu, hors cohabitation. Ces législatives sont d'autant plus inédites qu'elles ont marqué une poussée du Rassemblement national (RN) qu'aucun sondeur ne s'était risqué à pronostiquer, avec 89 élus.
Dans la majorité, il règne une "véritable inquiétude sur la manière dont on va pouvoir gouverner le pays", confie à BFMTV.com le député LaREM Didier Paris, réélu dimanche pour un deuxième mandat dans la 5e circonscription de Côte-d'Or.
La tâche s'annonce ardue pour l'exécutif, qui va devoir composer avec une majorité relative, donc fragile, et des oppositions puissantes, avec les 131 députés de la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) et ceux du RN. Plusieurs voies s'offrent à l'exécutif pour tenter de faire passer réformes et projets de loi.
· Chercher un compromis texte par texte
"Il va falloir faire dans la dentelle", a admis lundi le nouveau député macroniste des Yvelines Karl Olive, en prenant ses quartiers au Palais-Bourbon. "Ce n'est pas le résultat qu'on attendait", a-t-il aussi lâché.
Lundi, il a été annoncé que des consultations allaient être menées par Emmanuel Macron. "Dès lors qu'il n’y a pas de majorité alternative, la question de la manière de mener les transformations nécessaires pour le pays est posée", a indiqué l'entourage du chef de l'État à BFMTV.
Les consultations ont commencé ce mardi. "Le président de la République va mener les consultations politiques nécessaires en recevant les chefs de parti susceptibles d'avoir un groupe à l’Assemblée nationale afin d'identifier les solutions constructives envisageables au service des Français", a précisé l'Élysée dans un communiqué dans la matinée.
Christian Jacob, Olivier Faure, François Bayrou, Stanislas Guerini et Marine Le Pen ont d'ores et déjà été reçu. Fabien Roussel le sera à 18h30.
Ce mardi, le député de Seine-et-Marne et dirigeant socialiste Olivier Faure sur France Info, tout comme la nouvelle députée LFI de Seine-Saint-Denis Raquel Garrido sur RTL, ont assuré qu'ils voteraient des mesures qui iraient dans le bon sens, chacun citant entre autres une éventuelle augmentation du Smic à 1500 euros.
"Ça va être sportif à chaque fois", pose sans fard Didier Paris, sans se faire d'illusions.
En outre, 22 députés divers gauche ont été élus ou réélus à l'Assemblée nationale dimanche. Si plusieurs devraient siéger avec la Nupes, comme les élus ultramarins, certains pourraient voter des textes avec La République en Marche, comme le député des Pyrénées-Atlantiques David Habib, qui l'a indiqué à Libération. Mais même si ces 22 élus votaient à l'unisson avec LaREM, le compte n'y serait pas: il manque 44 élus pour que la coalition Ensemble acquière la majorité absolue.
Ces voix pourraient toutefois s'ajouter à d'autres, croit savoir Didier Paris. "Une partie des divers gauche et des PS et une partie des LR sont d'abord des républicains", pointe le Bourguignon.
Dimanche soir, la porte-parole du gouvernement Olivia Grégoire l'avait assuré, en commentant les résultats qu'elle a qualifiés de "décevants": "On composera avec tous ceux qui veulent faire avancer le pays, la main est tendue."
· Un accord peu probable avec LR
"Je ne crois pas à un accord de parti, je crois plutôt à des majorités de circonstances", estime Didier Paris.
Le groupe Les Républicains (LR) et ses 61 députés semble néanmoins le seul qui pourrait être à même de négocier un tel accord de législature. Mais la porte a pour l'heure été fermée par ses dirigeants. Si le président LR Christian Jacob, qui quittera la direction du parti début juillet, a manifesté à plusieurs reprises depuis dimanche qu'il n'y aurait aucun accord, des tiraillements sur la conduite à adopter sont mis au jour rue de Vaugirard.
"J'ai redit au président qu'il n'était pas question pour nous d'entrer dans ce qui pourrait être une trahison de nos électeurs. Nous avons fait une campagne dans l'opposition, nous restons dans l'opposition de matière déterminée mais responsable", a répété ce mardi Christian Jacob au sortir de son entrevue avec le chef de l'État.
Dès dimanche soir, le maire de Meaux Jean-François Copé a lui plaidé pour un "pacte de gouvernement" avec le locataire de l'Élysée, à l'instar du maire de Saint-Étienne Gaël Perdriau ce mardi sur France Info ou encore l'ancienne ministre Catherine Vautrin, un temps pressentie pour Matignon, dans les colonnes de Libération ce mardi.
"Toute personne qui accepterait un accord de gouvernement sera exclue des LR. On discutera amendement par amendement, ça prendra le temps qu'il faudra. la seule pression qu'on me met, c'est celle que je bois", a prévenu dans les colonnes de Libération le député du Pas-de-Calais Pierre-Henri Dumont, annonçant la couleur.
"Une partie va suivre Copé et une partie va suivre Ciotti, pour simplifier le propos", commente Didier Paris. "Ça va créer une scission franche entre eux", croit-il savoir.
· Le recours risqué à l'article 49.3 pour certains textes
Le recours à l'article 49.3 de la Constitution peut être envisagé par l'exécutif pour contourner le Parlement, mais, précise l'AFP, son utilisation est désormais circonscrite au budget et à la sécurité sociale, et à un texte de loi par session parlementaire.
Après son utilisation, les députés peuvent déposer une motion de censure: un vote à hauts risques pour l'exécutif car en cas de vote conjoint de la Nupes, du RN et de LR, "ils feraient tomber le gouvernement", indique le constitutionnaliste Dominique Rousseau à lAFP.
· Vers une dissolution de l'Assemblée?
Acculé, le chef de l'État pourrait-il avoir recours à l'un de ses pouvoirs propres, à savoir la dissolution de la Chambre basse pour provoquer de nouvelles élections? La dissolution est impossible à moins d'un an d'intervalle, mais ne l'est a priori pas dans l'année suivant des élections.
"Constitutionnellement, (Emmanuel Macron) pourrait donc dissoudre dans les jours qui viennent, mais politiquement, ce serait très dangereux", juge le constitutionnaliste Dominique Rousseau, également auprès de l'AFP.
"Je pense que pour l'instant on ne peut pas envisager une dissolution. Il va falloir que le Parlement existe", estime le député Didier Paris. "Mais si jamais il y a un blocage parlementaire, que je n'espère pas mais que je crains (...), dans ces cas-là elle pourrait s'envisager", poursuit l'élu, qui pose deux conditions: que l'Assemblée soit effectivement paralysée et que "les Français le souhaitent". Auquel cas, "il ne faut pas l'écarter", conclut-il.
La dissolution de l'Assemblée nationale a rarement été utilisée par le président de la République. Il faut remonter à 1997 pour la dernière occurrence. C'est alors Jacques Chirac qui effectue son premier mandat à l'Élysée. Et l'arme constitutionnelle s'est retournée contre lui, générant une cohabitation, avec l'arrivée de Lionel Jospin à Matignon. C'était la cinquième fois que la dissolution était prononcée depuis 1958, après 1968, 1981, 1988 et 1997.