Législatives : « Un Front populaire d’extrême gauche », l’argument risqué (et trompeur) de la Macronie

Renvoyer le Front populaire et le RN dos-à-dos, stratégie trompeuse et risquée pour la macronie (photo prise le 12 juin à Paris)
STEPHANE DE SAKUTIN / AFP Renvoyer le Front populaire et le RN dos-à-dos, stratégie trompeuse et risquée pour la macronie (photo prise le 12 juin à Paris)

POLITIQUE - Comment sortir de l’impasse ? Depuis que le président de la République a dissous l’Assemblée nationale et convoqué des élections législatives anticipées, son camp, le « bloc central », se retrouve pris au piège entre la gauche réunie derrière la bannière « Nouveau Front populaire » et le Rassemblement national renforcé après les européennes et le ralliement du président (contesté) des Républicains, Éric Ciotti.

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À dix jours du premier tour, les sondeurs estiment que la coalition Renaissance - MoDem - Horizons pourrait disparaître dans la majeure partie des territoires le 30 juin au soir, et laisser place à de nombreux duels NFP - RN pour le second tour. Selon les intentions de vote, elle ne semble pour l’heure pouvoir viser qu’une centaine de députés au maximum.

Dans ce contexte forcément périlleux, Emmanuel Macron et ses troupes reprennent une stratégie bien connue : incarner le camp de la raison, face « aux extrêmes. » Un argument éprouvé lors de précédents scrutins. Éculé en ces temps incertains ? Ce discours qui renvoie dos à dos le RN et le Front populaire n’est pas seulement trompeur. Il est aussi risqué.

Le Front populaire n’est pas d’extrême gauche

Dans la bouche des ténors du camp présidentiel, les deux camps sont effectivement à mettre sur le même plan pour une question d’égale dangerosité. Dimanche, le président du MoDem François Bayrou a par exemple évoqué un double péril sur LCI, « le risque d’avoir l’extrême droite au pouvoir, et le risque d’avoir au pouvoir un rassemblement que j’hésite à appeler Front populaire. »

Au même moment, la ministre des PME Olivia Grégoire indiquait sur RTL qu’elle voterait blanc en cas de duel au second tour entre un candidat du RN et du Front populaire, « sauf si c’est un socialiste modéré. » En réalité, c’est le président de la République en personne qui a fixé ces lignes pour la campagne lors d’une conférence de presse à Paris la semaine dernière quand il a résumé la situation en un choix binaire : moi ou le chaos avec « les deux extrêmes. »

Pourtant, tirer un trait d’égalité entre les deux est trompeur, voire fallacieux. D’un côté, le nouveau Front populaire est une alliance des différentes composantes de la gauche. Elle regroupe le PS, le PCF, EELV et LFI autour d’un programme, certes, de « rupture » avec les politiques menées ces dernières années, mais qui n’a pas grand-chose à voir avec l’extrême gauche.

Au sein de cette alliance - rééquilibrée en faveur du Parti socialiste par rapport à la Nupes - la France insoumise est sans conteste la composante la plus crispante, en raison notamment de sa « brutalité » dans le débat public. Mais sa stratégie, ses valeurs et son programme en font une formation de gauche radicale. Le Front populaire a bien fait une place au courant d’extrême gauche, avec le NPA et la candidature de Philippe Poutou dans l’Aude. Mais son poids est résiduel, avec une circonscription sur 577. On rappellera par ailleurs que le ministère de l’Intérieur ne classe pas le parti de Jean-Luc Mélenchon dans la catégorie « extrême gauche » lors des différentes élections, à l’inverse des déclarations publiques de son ministre de tutelle Gérald Darmanin.

Normaliser encore l’extrême droite

De l’autre côté, le Rassemblement national est bien un parti d’extrême droite, comme le confirme le conseil d’État à chaque fois qu’on l’interroge, n’en déplaise à ses dirigeants qui aimeraient se départir de cette étiquette.

En plus de cette couleur politique attribuée par l’institution administrative, on peut citer l’histoire de la formation (cofondée en 1972 par Pierre Bousquet, ancien collaborationniste ayant servi dans la division Charlemagne de la Waffen SS), ses alliés sur la scène internationale, certaines de ses propositions et son logiciel nationaliste et europhobe, comme autant de raisons qui placent le RN à cet endroit précis de l’échiquier politique.

Dès lors, si on comprend bien les atouts d’une stratégie qui consiste à mettre les deux principales forces d’opposition, le Rassemblement national et la gauche unie, dans la même panière infamante des « extrêmes », ce discours n’en est pas moins risqué. Il contribue tout d’abord à normaliser encore davantage l’extrême droite et à brouiller les repères politiques des électeurs. Comme le font d’ailleurs certains élus de gauche quand ils rapprochent abusivement Emmanuel Macron du RN.

Cette stratégie, qui s’accompagne bien souvent d’une critique des positions économiques des « extrêmes », tend également à empêcher les arguments moraux contre l’extrême droite en général, et la formation dirigée par Jordan Bardella en particulier, un mouvement qui a toujours eu du mal à renier ses racines. D’autant que sur ce terrain, les attaques répétées de la Macronie contre la France insoumise, et par contagion le Front populaire tendent, aussi, à brouiller le paysage.

LFI, cible de toutes les critiques

À l’unisson de son camp, Emmanuel Macron a reproché à la formation mélenchoniste d’être « antisémite », en plus d’être « antiparlementariste », mercredi 12 juin lors de sa conférence de presse. En somme : qui propage la haine, et met la pagaille à l’Assemblée. Une critique régulière qui s’appuie notamment sur les sorties hasardeuses ou douteuses de certains de ses membres, dont Jean-Luc Mélenchon, en lien entre autres avec la défense de la cause palestinienne. Notons toutefois qu’aucun député LFI n’a été condamné pour ce motif-là et que le Front populaire s’engage à lutter contre toutes les formes de racisme et d’antisémitisme. C’est écrit noir sur blanc dans son programme.

Dans une sorte d’effet miroir, le Rassemblement national est, lui, de plus en plus exonéré de ce procès. La Macronie se montre en tout cas moins loquace sur son cas. Pourtant, le parti, fondé par Jean-Marie Le Pen, pour qui les chambres à gaz étaient un « point de détail de l’histoire », a encore des liens avec des mouvances identitaires violentes et compte dans ses rangs des personnalités sulfureuses.

On peut par exemple évoquer les cadres ou élus condamnés pour incitation à la haine, les candidats débranchés pour propos racistes ou antisémites, ou le varois Frédéric Boccaletti, élu député sous les couleurs du RN en 2022 qui a tenu dans le passé une librairie vendant des ouvrages négationnistes (c’est-à-dire niant ou relativisant l’existence de la Shoah). Il a été reconduit pour ces législatives anticipées, tout comme d’autres candidats aux profils controversés.

Un palmarès, doublée d’une certaine vision de l’État du droit, qui éloigne encore davantage le Rassemblement national du nouveau Front populaire. Et qui illustre à quel point la stratégie du camp Macron ne résiste pas au réel. Une prise de risque supplémentaire quand on s’apprête à demander, à nouveau, aux électeurs de gauche à « faire barrage. »

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