Keir Starmer, nouveau Premier ministre du Royaume-Uni, a suivi la stratégie du « vase Ming »

ROYAUME-UNI - Keir Starmer a au moins trois points communs avec Tony Blair. Le premier, c’est évidemment le 10 Downing Street, où le travailliste s’est installé, comme son prédécesseur, après la victoire de son parti aux élections générales britanniques ce jeudi 4 juillet. Le deuxième, c’est le score écrasant avec lequel il s’impose, lui assurant 410 sièges à la Chambre des communes – soit plus que les 326 nécessaires pour la majorité absolue –, juste en deçà du score historique de Tony Blair en 1997 (418). Enfin, leurs deux campagnes ont été associées à une même stratégie, celle du « vase Ming ».

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« Le vase Ming est en sécurité », écrit ainsi un Britannique sur X (anciennement Twitter) ce vendredi 5 juillet. « Il est temps de mettre des fleurs dans ce vase Ming et de les admirer », écrit une autre. « Quand on me demandera ce que je veux pour mon prochain anniversaire, je répondrai “un vase Ming” », s’amuse un internaute écossais.

Cette analogie est historiquement attribuée au travailliste Roy Jenkins, mort en 2003, qui avait comparé Tony Blair, dont il était le conseiller juste avant sa grande victoire de 1997, à un homme « traversant une pièce au sol lustré en portant un vase Ming à la valeur inestimable ». Elle qualifie aujourd’hui une stratégie consistant à jouer la sécurité pour conserver son avance.

Un programme pragmatique et sans surprise

L’image a traversé la campagne de Keir Starmer, dont le programme n’a apporté aucune nouvelle proposition ni surprise, surfant plutôt sur les déboires du camp conservateur, entre gaffes et scandales. Une stratégie assumée par le futur Premier ministre, vu comme peu charismatique voire ennuyeux, dans une interview au Guardian donnée deux jours avant son premier débat le 4 juin. Il prévoyait de rester « calme et mesuré » : « Je porte ce vase depuis un moment maintenant, je vais éviter la tentation de commencer à jongler avec. »

Le parcours de Keir Starmer en terrain glissant a effectivement commencé bien avant le 22 mai et l’annonce des élections anticipées. Depuis son arrivée à la tête du parti en avril 2020, après une déroute face aux conservateurs de Boris Johnson, l’ancien avocat de 61 ans a méthodiquement recentré sa formation, sans concession pour la frange la plus à gauche qui l’accuse d’avoir trahi certains de ses engagements, notamment celui de supprimer les frais de scolarité universitaires. Il s’est aussi attaqué aux accusations d’antisémitisme du parti, en décidant de suspendre Jeremy Corbyn, son prédécesseur au Labour (réélu jeudi en tant qu’indépendant).

Aux législatives, il a présenté un programme très prudent, sans promesse spectaculaire, invoquant la situation délicate des finances publiques. Parmi ses principales mesures, des hausses ou pérennisations de taxes (mais pas d’augmentation d’impôts pour les travailleurs et sociétés), l’abandon du projet controversé d’expulsion des migrants vers le Rwanda (mais la promesse d’une baisse de l’immigration), la création d’une société publique d’investissement dans les énergies propres, l’augmentation du nombre de rendez-vous médicaux proposés par le service public de santé et le recrutement d’enseignants. Avec des mesures économiques raisonnables et éloignées de celles de son prédécesseur au Labour, Keir Starmer souhaitait donner l’image d’un parti favorable aux entreprises, pour ne pas effrayer des marchés encore marqués par la crise économique provoquée par le gouvernement de Liz Truss fin 2022.

Un « raz-de-marée dénué d’amour »

Le « changement », mot d’ordre de Keir Starmer après 14 ans de gouvernements Tories, doit selon lui être « maîtrisé et contrôlé », note Robert Ford, professeur de sciences politiques à l’université de Manchester, cité par le New York Times. Au risque de manquer d’ambition ? « Je suis candidat pour être Premier ministre, pas directeur d’un cirque », répondait-il pendant sa campagne.

Si cette stratégie du « pas de vagues » et de la sobriété a sans doute contribué à creuser l’écart dans les sondages, pour donner 18 points d’avance à Keir Starmer sur Rishi Sunak la veille du scrutin, elle a aussi ses limites. À commencer par le risque d’une politique floue. Mi-mai, une enquête menée par l’agence de communication politique Portland indiquait que seuls 31 % des 2 016 personnes interrogées disaient « comprendre la vision de Starmer pour le pays ». Les travaillistes « ont tellement peur de dire quoi que ce soit qu’ils comptent surtout sur le fait que les conservateurs soient très impopulaires pour gagner », prévenait au même moment Andrew Cooper, ancien conseiller du parti conservateur, désormais soutien du Labour.

À force de s’appuyer sur les échecs du camp d’en face, les travaillistes ont obtenu une victoire en forme de « raz-de-marée dénué d’amour », glisse ce vendredi une source interrogée par Sky News. Une « élection de la revanche » contre les conservateurs, qu’il ne faut pas voir comme « une sincère approbation de tout ce sur quoi le Labour a fait campagne », analyse un journaliste politique de la chaîne.

En clair, il s’agit moins d’une victoire du Labour qu’une défaite des conservateurs. Les travaillistes, bien aidés par un mode de scrutin favorisant les grands partis, ont d’ailleurs engrangé moins de voix que lors de leur défaite de 2019, en dépit du nombre de sièges gagnés, comme le note l’AFP. Les petits partis, comme l’antisystème Reform UK, ont quant à eux progressé. Le risque est donc grand pour le Labour de décevoir des électeurs attirés par la promesse de changement. « Étant donné le degré de colère du pays […] il y a un potentiel pour […] transformer le paysage social avec des politiques radicales sur le logement, la santé, le bien-être ou les droits des travailleurs, estimait fin juin l’écrivain britannique Kenan Malik dans une tribune au Guardian. Pourtant, la peur qu’ont les travaillistes d’être critiqués sur leurs dépenses […] signifie que ce potentiel pourrait ne jamais être réalisé. »

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