Guerre en Ukraine: faut-il craindre une extension du conflit à la Transnistrie?

Vers une extension du conflit? Réunis en congrès extraordinaire mercredi, une première depuis 2006, les députés de Transnistrie, région séparatiste pro-russe de Moldavie, ont demandé à la Russie des "mesures de protection" face à la "pression" présumée de Chisinau, sur fond de tensions exacerbées par le conflit en Ukraine voisine.

Dans ce texte, cité par les agences de presse russes, il est réclamé au Parlement russe de "mettre en œuvre des mesures pour protéger la Transnistrie", où vivent "plus de 220.000 citoyens russes", face à une "pression accrue de la part de la Moldavie".

Un territoire aux airs d'URSS

Cette bande de terre d'un peu plus de 4000km², peuplée de 465.000 habitants, vit dans la plus grande nostalgie soviétique. En mars 1992, quelques mois après la dislocation de l'URSS, débute la guerre du Dniestr qui oppose l'armée transnistréenne aux forces armées moldaves après que la Transnistrie a annoncé, de manière unilatérale, son indépendance.

La fin de ce conflit, qui a fait 2.000 morts, marque la création de la république moldave du Dniestr (RMD), comme le veut sa dénomination "officielle" malgré le fait que son existence ne soit reconnue par aucun membre de l'ONU, pas même la Russie.

Depuis, les autorités locales n'ont jamais caché leur volonté de rejoindre le giron russe. En 2006, lors d'un référendum dont l'authenticité n'a pas été reconnue internationalement, 97,1% de la population locale disait vouloir être rattachée à la Russie.

Officieusement pourtant, et malgré la non-reconnaissance russe, cette bande de territoire ne doit sa survie qu'à Moscou qui y fournit gratuitement du gaz. Le principal conglomérat du pays, nommé Sheriff, est d'ailleurs un tentaculaire groupe dirigé d'une main de fer par Viktor Gushan, ancien des services secrets russes. Ce groupe est partout, et contrôle tout ce qui concerne l'énergie, l'alcool, l'acier et les loisirs.

Quelle réponse russe?

Retour en 2024. Dans son discours de mercredi, le président séparatiste Vadim Krasnosselski, cité par les médias locaux, a assuré que ce territoire subissait "une politique de génocide", via des pressions économiques, "physiques", juridiques et linguistiques.

Une déclaration qui ressemble à s'y méprendre à celles des autorités du Donbass quelques jours avant l'invasion russe. Cette fois encore, la Russie a répondu, assurant avoir pour "priorité" la "protection" des habitants de la Transnistrie. Moscou a également dit "examiner avec attention" la demande de Tiraspol, sans donner plus de précisions.

Cette répétition de l'histoire peut-elle faire craindre une extension du conflit ukrainien en Transnistrie et une intervention de l'armée russe sur place? Invité sur l'antenne de Franceinfo ce jeudi matin, Jean-Arnault Dérens, historien et rédacteur en chef du Courrier des Balkans, tempère cette hypothèse, Russie et Transnistrie n'éait pas des terrtoires frontaliers.

"Militairement, il n'y a pas de continuité territoriale. Sur place, il y a des troupes de maintien de la paix russe (on en estime 1.500, NDLR) mais elles ne sont pas capables de faire la guerre. Il existe un scénario de déstabilisation avec un support aérien mais il faudrait survoler Odessa, ça semble compliqué", explique-t-il.

La réponse russe pourrait alors prendre une autre forme. En 2023, la présidente moldave, Maia Sandu, qui souhaite être rattachée à l'Union européenne, soulignait que son pays était la cible de pression russes importantes, au point de soupçonner un coup d'état.

Dans un article daté de février 2023 publié par Nemrod, un thinktank de la Sorbonne, Victor Huerre, professeur agrégé d’histoire, souligne que la Russie mène en réalité une "guerre hybride" qui serait à l'origine de déstabilisation en Moldavie.

En particulier, l'historien pointe les activités "du parti Şor, un parti pro-russe et anti-roumain", qui permettent à Moscou de maintenir la pression et de créer un désordre dans le pays, au-delà même de la Transnistrie. Ce parti a finalement été interdit constitutionnellement en juin 2023.

Zone de tensions

Les tensions qui tournent autour de cette bande de terre ne sont pas nouvelles, encore moins depuis le début du conflit ukrainien. L'an passé, les autorités de cet État autoproclamé avaient notamment accusé Kiev de vouloir l'attaquer après avoir affirmé avoir déjoué en mars un attentat ayant visé ses dirigeants.

La semaine passée, le ministère russe de la Défense a assuré, sans présenter de preuves, que l'Ukraine préparait une "provocation armée" contre la Transnistrie.

Vendredi, la diplomatie russe a réaffirmé que Kiev était en train de masser "des hommes et du matériel militaire" près de la Transnistrie, faisant également état d'un "déploiement de positions de tir d'artillerie et d'une augmentation sans précédent de vols de drones" ukrainiens au-dessus du territoire.

En avril 2022, peu après le début du conflit ukrainien, deux explosions ont endommagé plusieurs bâtiments en Transnistrie. La présidente moldave avait alors appelé "au calme", mais et Kiev et Moscou s'étaient rejeté la faute.

Article original publié sur BFMTV.com