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Guerre en Ukraine: qu'est-ce que la Transnistrie, région séparatiste de Moldavie appuyée par Moscou?

La statue de Lénine devant le siège du gouvernement de Transnistrie, à Tiraspol - JOEL ROBINE / AFP
La statue de Lénine devant le siège du gouvernement de Transnistrie, à Tiraspol - JOEL ROBINE / AFP

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Jamais la Transnistrie n'aura autant fait parler d'elle. Ces derniers mois, cet Etat indépendant autoproclamé de l'Est de la Moldavie, dans les faits une bande de terre majoritairement russophones d'un peu plus de 4000m² accolée à la frontière ukrainienne, a fait une entrée fracassante sur la scène internationale après que son principal club de football, le Sheriff Tiraspol, se soit qualifié pour la phase finale de la Ligue des Champions.

Ces dernières heures, en marge de l’invasion ukrainienne, la république moldave du Dniestr (RMD), comme le veut sa dénomination officielle malgré le fait que son existence ne soit reconnue par aucun membre de l'ONU, fait de nouveau parler d'elle. Mardi, deux détonations ont endommagé une tour radio et, lundi, un bâtiment officiel avait été la cible d'une attaque au lance-roquettes dans la capitale séparatiste, Tiraspol.

Ces deux incidents n'ont pas fait de victime, mais renforcent la crainte d'un débordement en Moldavie du conflit qui ravage l'Ukraine voisine, d'autant que les autorités transnistréennes n'ont jamais caché leur envie de rejoindre le giron de Moscou. Dans la foulée, Washington a d'ailleurs mis en garde contre une "escalade des tensions" autour de la région.

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Base arrière russe?

Alors que l'armée russe s'est recentrée sur l'Est de l'Ukraine et le Donbass, de nombreux Moldaves estiment que la volonté des Russes reste malgré tout de poursuivre leur route vers l'Ouest du pays et de rejoindre la Transnistrie, qui pourrait servir de base arrière à Moscou puisque pour l'heure, 1500 soldats russes s'y trouveraient. "Si Odessa tombe, c’est sûr que les Russes feront la jonction avec leur armée de Transnistrie", estimait dernièrement, dans les colonnes de Ouest-France, Aleksander, un informaticien moldave d'une trentaine d'années.

Rencontré par BFMTV, Vitalle Marinuta, qui habite à proximité de la frontière gardée militairement, indique que la situation actuelle inquiète fortement les locaux. "Il y a environ 2000 séparatistes armés là-bas, formés et entraînés par les Russes pour des opérations spéciales. On peut parler d’une force qui peut devenir hostile. Les habitants commencent à faire des réserves et de provisions. Bien sûr que les gens sont inquiets", dévoile-t-il.

Il faut dire que la Transnistrie reste une cicatrice qui a bien du mal à se refermer dans l'imaginaire collectif moldave. En mars 1992, quelques mois après la dislocation de l'URSS, débute la guerre du Dniestr qui oppose l'armée transnistréenne aux forces armées moldaves après que la Transnistrie a annoncé, de manière unilatérale, son indépendance. "Très souvent les obus volaient au-dessus du village et allaient jusqu’à 300 kilomètres d’ici", se rappelle Vitalle, vétéran de ce conflit, pour qui ce retour du passé est un mauvais présage.

Le 21 juillet de cette même année, après des combats qui ont fait près de 2000 morts côté moldave, un cessez-le-feu est finalement signé entre les deux parties et gêle la frontière de la région sécessionniste qui reprend le tracé du fleuve Dniestr.

Une région figée à l'ère soviétique et sous perfusion russe

La situation transnistréenne est dès lors paradoxale. La région a tous les attributs d'un pays mais n'est reconnue par personne, excepté par elle-même. Après trente ans d'existence, la jeune république est affublée d'un président, Vadim Krasnoselsky, d'un Premier ministre, Aleksandr Martinov, d'un parlement, le Conseil suprême, d'une capitale, Tiraspol, mais aussi d'une monnaie, le rouble de Transnistrie, dont certaines pièces sont en plastique, voire d'une police.

Autre détail, la Transnistrie vit dans la nostalgie de l'Union soviétique, en témoigne la faucille et le marteau qui ornent encore son drapeau et ses armoiries, ainsi que les nombreuses statues de Lénine encore debout sur son territoire.

En réalité, la Transnistrie ne doit sa survie qu'à la Russie, qui pourtant ne reconnaît pas non plus son existence, en tout cas officiellement. Le principal conglomérat du pays, nommé Sheriff, est un tentaculaire et obscur groupe dirigé d'une main de fer par Viktor Gushan, ancien des services secrets russes. Le groupe est omniprésent dans le quotidien du pays, son logo, une étoile de Shériff, orne l'ensemble des stations-setrvices et des supermarchés du pays, et le groupe omnipotent en ce qui concerne l'énergie, l'alcool, l'acier et les loisirs. C'est simple, Sheriff contrôle tout.

"Victor Gushan est la personne qui a le plus d'influence ici, dans le monde politique et économique", confiait à l'Indépendant Anatoli Diroun, directeur de l'École d'études politiques de Tiraspol. Aujourd'hui, Sheriff exporte à travers l'Europe des produits textiles ou sidérurgiques, ainsi que du caviar jusqu'aux Etats-Unis et au Japon.

Divorce consommé

L'invasion russe en Ukraine a l'effet d'un accélérateur dans le divorce moldavo-transnistréen. A l'image de l'Ukraine, la Moldavie ne fait partie ni de l'Otan, ni de l'Union européenne. Afin de se prémunir d'une potentielle avancée de l'armée russe, la présidente Maia Sandu a, le 3 mars passé, signé de manière officielle sa demande d'adhésion à l'entente européenne.

Comme le souligne Courrier international, cette décision a immédiatement été suivie, le 4 mars, d'une contre-attaque transistréenne, qui a adressé à l'ONU et à l'OSCE une demande de reconnaissance d'indépendance “à la suite de la décision de Chisinau de confier la souveraineté de la Moldavie aux organes supranationaux de Bruxelles.”

"Étant donné les circonstances, nous invitons les autorités moldaves à engager le dialogue avec la RMD afin de régler définitivement et de manière civilisée la question de nos relations, sur la base d’une coexistence pacifique entre deux États indépendants et au moyen d’un accord global interétatique”, a publié le ministère transnistrien des Affaires étrangères.

Un rapprochement de Moscou qui pourrait encore plus faciliter l'exode de la population la plus jeune de la région. Celui-ci est du aux revenus trop faibles, 200 à 300 dollars (170 à 260 euros) par mois en moyenne, soit moins qu'en Moldavie, qui est pourtant le pays le plus pauvre d'Europe. En l'espace de 30 ans, sa population a été divisée par deux pour passer de 500.000 à 250.000 personnes.

Article original publié sur BFMTV.com