Déficit public : quand la communication de Gabriel Attal et Bruno Le Maire part en dérapage incontrôlé

POLITIQUE - À la recherche des milliards perdus. Bruno Le Maire, et avec lui tout l’exécutif, est à nouveau sommé de s’expliquer sur le mauvais état des finances publiques et de trouver les moyens de renflouer les caisses après la confirmation par l’Insee du dérapage du déficit sur l’année 2023.

Réforme de l’assurance chômage : à peine annoncée par Attal, la mesure fait l’unanimité contre elle

Un débat épineux pour le gouvernement, tant il fonde sa crédibilité sur des questions de sérieux et de compétences. Or, pour l’instant, la parade semble difficile à trouver. Gabriel Attal s’est certes exprimé au journal télévisé de TF1. Bruno Le Maire a reçu les oppositions à Bercy. Mais bien malin celui qui connaît la stratégie de l’exécutif pour redresser la barre.

Pire, certaines sorties ou propositions avancées pendant la séquence peuvent s’apparenter à des erreurs… Voire des fautes politiques, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo en tête de l’article.

Un dérapage presque inédit

Revenons tout d’abord sur les chiffres de cette embardée financière. En novembre, Bruno Le Maire tablait encore sur un déficit à 4,9 % du PIB pour l’année 2023… Une donnée qu’il n’a pas voulu réviser toute de suite, malgré de nombreuses réserves plus ou moins sérieuses.

Trois mois (et un plan d’économie ficelé en urgence) plus tard, le couperet tombe : l’Insee annonce mardi 23 mars que le déficit a finalement atteint 5,5 % du PIB, soit un écart exceptionnel de 0,6 point avec l’objectif gouvernemental. « C’est tout de même un dérapage dans l’exécution qui est important, pas tout à fait inédit mais très, très rare » explique le premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici sur France inter, dans la foulée.

Des arguments contestables

Alors, pour justifier ce trou dans les caisses, le locataire de Bercy avance quelques arguments discutables ou surprenants. Le premier consiste à affirmer que personne ne les avait prévenus de tels déboires. « Je rappelle juste que sans doute nos prévisions n’ont pas été bonnes, mais personne, personne, ne les a contestés quand elles ont été formulées », a ainsi soufflé Bruno Le Maire mercredi au Sénat, provoquant la légère bronca de l’assemblée.

L’argument est effectivement osé lorsque l’on se rappelle des conditions d’examen du budget 2 024 à l’automne. Le gouvernement avait alors usé de l’article 49.3 jusqu’à plus soif à l’Assemblée pour imposer son texte sans débat, un texte rejeté à plusieurs reprises par le Sénat. Surtout, à l’époque, les parlementaires n’ont loupé aucune occasion de fustiger les orientations de l’exécutif.

« Les prévisions macroéconomiques sur lesquelles est assise la trajectoire de votre gouvernement paraissent trop optimistes », avait par exemple estimé le rapporteur (LR) de la commission des Finances de la Haute assemblée Jean-François Husson le 16 octobre dans l’hémicycle, en critiquant une stratégie qui « repose sur une combinaison d’hypothèses toutes favorables » avec des « planètes qui s’aligneraient comme par enchantement. »

L’Opinion nous apprend aussi ce vendredi que les directions générales du Trésor et du Budget ont alerté le ministre de l’Économie et des Finances, ainsi que celui des comptes publics Thomas Cazenave, dès le 7 décembre 2023, d’un potentiel dérapage délicat. Il est question d’une note dans laquelle les administrations expliquent effectivement que le déficit « pourrait s’établir à 5,2 % du PIB » et non pas 4,9 %. Elles estimaient en revanche qu’il n’était pas opportun de communiquer sur cette nouvelle tendance, pas consolidée à leurs yeux.

L’autre argument brandi par Bruno Le Maire depuis la publication de l’Insee touche à l’inflation. Le ministre de l’Économie et des Finances explique en substance que le dérapage du déficit est dû au ralentissement inattendu de l’inflation, et donc des recettes. Ce qui est, là aussi, surprenant au regard des précédentes déclarations du locataire de Bercy sur ce même sujet. Il jugeait par exemple, dès le mois de décembre dernier, que « la crise inflationniste » était « derrière nous », semblant anticiper - à tout le moins - ce ralentissement de la hausse des prix.

Changement de pied sur l’assurance chômage

Dès lors, comment rattraper le coup ? C’est là que vient la troisième faute. Parmi les principales réponses apportées par l’exécutif pour l’instant, on trouve la réforme de l’assurance chômage (encore). Le but : « viser le plein-emploi », selon les mots de Gabriel Attal mercredi sur TF1, et donc pouvoir compter sur davantage de recettes.

Problème ? Cette proposition a une portée limitée, comme l’expliquent de nombreux économistes et spécialistes de la question. Surtout, elle vient contredire une promesse récente de l’exécutif concernant les demandeurs d’emploi.

En réformant l’assurance chômage en 2023, le gouvernement voulait effectivement un système adaptable. Des règles plus dures quand le marché de l’emploi est florissant. Des règles plus souples quand le marché se grippe. « La réforme que je porte répond à un principe simple : lorsque les choses vont bien et que beaucoup d’emplois sont créés, il faut que les règles soient plus incitatives. Quand les choses vont mal, il faut que les règles soient plus protectrices », expliquait alors Olivier Dussopt, le ministre du Travail de l’époque.

Or, depuis plusieurs mois, le taux de chômage tend à remonter. Ce qui ne va pas empêcher le gouvernement de raboter à nouveau les droits des personnes sans emploi. Décidément, les calculs ne sont vraiment pas bons.

À voir également sur Le HuffPost :

Déficit public : Agences de notation, JO… Attal et le gouvernement face au casse-tête du calendrier des économies

Européennes 2024 : comme Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou et Édouard Philippe pensent à être candidats