Débat Jordan Bardella - Gabriel Attal : le président du RN confronté à ses limites

Gabriel Attal photographié sur le plateau de France 2 ce jeudi 23 mai.
THOMAS SAMSON / AFP Gabriel Attal photographié sur le plateau de France 2 ce jeudi 23 mai.

POLITIQUE - Deux hommes sur un plateau. L’un est venu avec ses fiches, l’autre non. Jordan Bardella avait sans doute conscience que cet exercice face au Premier ministre était périlleux, notamment sur le plan technique. Hélas, les notes n’ont pas suffi à combler les lacunes du président du Rassemblement national face à Gabriel Attal jeudi soir lors de l’émission « L’Événement » sur France 2. Durant plus d’une heure, l’eurodéputé RN, qui s’imagine volontiers à Matignon en 2027, a joué en défense, dans un registre inhabituel pour cet expert des joutes télévisées.

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Apparaissant plusieurs fois agacé, voire nerveux, Jordan Bardella a été mis en difficulté sur plusieurs sujets. Notamment sur le plan économique. Alors que la tête de liste lepéniste appelle à « changer les règles du jeu » en UE, en instaurant une « priorité nationale » sur la commande publique, Gabriel Attal a répliqué en multipliant les exemples d’entreprises françaises répondant à des appels d’offres dans des pays européens.

« Naufrage économique »

« Si la proposition de Jordan Bardella était appliquée, toutes ces entreprises, on leur coupe les jambes », a fait valoir le locataire de Matignon, en rappelant qu’une telle mesure de « priorité nationale » dans la commande publique, pour peu qu’elle soit réalisable dans le cadre actuel des traités, entraînerait mécaniquement des mesures de rétorsion de la part de nos voisins. Et ce, dans un contexte où « 80 % de nos PME exportent dans un pays européen ».

En écho, le polémiste Jean Messiha, ex-conseiller spécial de Marine Le Pen aujourd’hui candidat sur la liste de Marion Maréchal, sort le lance-flammes : « Jordan Bardella est en naufrage économique. Il ne sait rien sur les règles du marché unique et se fait balader par Gabriel Attal. L’argument de la réciprocité au sein des pays membres du marché commun est imparable ».

Autre moment difficile pour le favori des sondages, son explication de la fameuse « double frontière » qu’il prône pour lutter contre l’immigration. « La double frontière, c’est d’abord le refoulement systématique des bateaux de migrants qui arrivent sur le sol européen », a justifié le candidat d’extrême droite, qui dit souhaiter « que la libre circulation dans l’espace Schengen soit réservée aux seuls ressortissants européens ». Dans ce cas, comment s’assurer de ce contrôle, sans remettre en place des filtrages aux frontières au sein de Schengen ?

« Votre programme, c’est un banco »

Le président du RN a alors pris l’exemple de « l’aéroport », où « il y a une file pour les membres de l’espace Schengen » et une autre pour les Extra-Européens. Sauf que, dans un aéroport, tout le monde est contrôlé. Ce que n’a pas manqué de souligner Gabriel Attal, obligeant Jordan Bardella à revoir son exemple. « En quelques secondes, on est passé d’une double frontière où tout le monde va être contrôlé aux frontières à “On augmente un peu les contrôles aléatoires” », a ironisé le Premier ministre, avant d’enfoncer le clou : « votre programme, c’est un Banco, il y a plein de promesses, mais quand on gratte, il n’y a rien derrière ».

Gabriel Attal photographié sur le plateau de France 2 ce jeudi 23 mai.
THOMAS SAMSON / AFP Gabriel Attal photographié sur le plateau de France 2 ce jeudi 23 mai.

Voulant repeindre Valérie Hayer en candidate « fédéraliste » qui souhaiterait la « dissolution de la France », Jordan Bardella s’est aussi pris les pieds dans le tapis sur les institutions européennes, et la question du droit de véto que le camp présidentiel souhaite — a minima — limiter pour éviter les processus de blocages au Conseil de l’UE. « Aujourd’hui il y a un droit de véto sur tous les sujets en Europe ? », a interrogé Gabriel Attal, laissant son adversaire sans voix durant cinq longues secondes.

Même impression d’hésitation lorsque le dauphin de Marine Le Pen a semblé découvrir en plateau que la réforme du marché européen de l’électricité ne sera appliquée qu’en 2026. « Vous ne lisez pas avant de voter des textes ? », a interrogé le Premier ministre, dans une allusion à peine voilée à la réputation d’attention — disons légère — du président du RN au Parlement européen. Le président du RN a aussi dû à répondre des revirements de son parti ses dernières années au sujet de l’Europe.

« Qu’est-ce qui fait que vous avez changé d’avis sur l’euro, sur l’Europe, sur le Frexit, sur le marché européen de l’électricité ? », a attaqué le chef du gouvernement, demandant à plusieurs reprises à son adversaire « pourquoi » il avait changé d’avis, frôlant très souvent le ton professoral. Si Jordan Bardella a balayé les critiques, en affirmant que cela faisait longtemps que le RN n’avait plus ce logiciel, le procès en incohérence qu’il était en train d’instruire à Gabriel Attal est soudainement devenu caduc.

Tout comme les pirouettes sorties par le candidat frontiste pour justifier ses votes sur la Russie — au nom du refus d’accorder une vertu démocratique au Parlement européen — sont tombées à l’eau lorsque Gabriel Attal lui a fait remarquer qu’il avait pourtant voté pour une résolution contre Cuba. « Vous êtes faible avec les forts, et fort avec les faibles. Cuba c’est loin, ils sont petits, ce n’est pas grave, on peut voter une résolution. La Russie, qui nous a financés, on ne vote pas de résolution pour dénoncer leur comportement », a résumé le Premier ministre. Une attaque à laquelle Jordan Bardella a sobrement répliqué : « ce n’est pas de votre niveau M. Attal ». Il ne croyait pas si bien dire.

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