Covid-19 : masques, chloroquine, vaccination... la science est-elle devenue une simple question d'opinion ?

Pour certains, l'utilité du port du masque pour lutter contre le coronavirus n'est pas une question de science, mais d'opinion.
Pour certains, l'utilité du port du masque pour lutter contre le coronavirus n'est pas une question de science, mais d'opinion.

Port du masque, vaccin, hydroxychloroquine... depuis le début de la crise du Covid-19, la science et la médecine sont devenues, pour certains, de simples questions d’opinion dans lesquelles les faits n’ont plus leur place.

C’est un phénomène qui s’est beaucoup vu depuis le début de la crise du coronavirus. Sur les plateaux de télévision, sur les réseaux sociaux, et même en famille ou entre amis, la science est entrée dans le débat public. Elle est devenue matière à discussion, à avis et même à croyance. L’intérêt du port du masque, l’efficacité de traitements comme l’hydroxychloroquine ou la vaccination sont devenues des questions d’opinion, et non plus seulement de faits.

Dernière illustration en date, mardi 28 janvier : le chanteur Francis Lalanne était invité de l’émission de Cyril Hanouna Touche pas à mon poste, notamment pour discuter d’une tribune, postée sur le site de France Soir, dans laquelle il appelle à la destitution d’Emmanuel Macron. Très vite, le sujet du coronavirus est arrivé sur la table. Le chanteur, qui a bien rappelé qu’il n’était “pas médecin”, a assuré savoir “qu’on a empêché les Français d’avoir accès à des traitements précoces [une référence à l’hydroxychloroquine, NDLR]. Je sais que le Premier ministre dit aujourd’hui qu’à part les vaccins il n’y a aucune autre solution [...] moi je dis qu’il ne faut pas croire à ça”, a-t-il avancé. “Même sans être médecin, je vous affirme que les traitements précoces existent”, a martelé Francis Lalanne.

Face à lui, le docteur Jimmy Mohamed, en sa qualité de médecin, a tenté de lui apporter une contradiction. Précisant qu’il n’avait “aucun conflit d’intérêt” et parlait “en toute indépendance”, le spécialiste a notamment rappelé l’importance du port du masque et précisé que les études scientifiques ont montré l’inefficacité des traitements précoces, comme l’hydroxychloroquine et l’azithromycine.

Visiblement très peu impressionné par les arguments scientifiques de Jimmy Mohamed, le chanteur a répondu que les assertions du médecin étaient “fausses” et que, par ailleurs, le masque était “un incubateur de microbes”. L’animateur, Cyril Hanouna, a tout de suite précisé que les propos de Francis Lalanne “n’engageaient que lui”. Mais, pendant plus de cinq minutes, un chanteur et un médecin se sont retrouvés à débattre d’un sujet médical, comme s’il s’agissait d’une simple question de point de vue et que l’opinion comptait plus que la connaissance scientifique.

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Un phénomène amplifié par la crise, mais pas nouveau

“Avant, celui qui était un expert avait un savoir. Alors qu’aujourd’hui, celui qui ne sait pas a l’impression que son opinion a la même valeur que celle de l’expert”, commente Audrey Mikaëlian, journaliste et réalisatrice scientifique, vice-présidente de l’AJSPI (Association des journalistes scientifiques de la presse d’information).

Ce phénomène, amplifié par la crise sanitaire, n’est en fait pas nouveau. Et il prend racine dans la méfiance des citoyens à l’encontre de la science.

“Lorsque la science a explosé, au XIXe siècle, une philosophie scientiste s’est répandue dans la société, avec l’idée que la science, c’était le progrès, la manière d’arriver à la vérité et d’apporter du bien-être”, relate Jacqueline Feldman, ancienne chercheuse au CNRS en physique théorique puis en sociologie. “Mais tout s’est effondré avec mai 1968 et la crise de l’autorité. La crise de la confiance dans les institutions s’est répercutée dans la science”, poursuit-elle. À cela s’ajoute une “espèce d’anarchisme un peu fondamental en France, qui fait qu’on va plutôt être d’accord avec les minoritaires qu’avec les officiels”. De quoi expliquer pourquoi certaines voix se font entendre plus que d’autres.

Un rejet des élites et de la science

Le problème dépasserait en fait largement la question de la science. “Ça fait plusieurs années qu’on a l’impression que la parole scientifique n’est plus considérée comme un savoir, mais comme une espèce de domination sociale”, observe la journaliste et réalisatrice. Sur le coronavirus en particulier, “une étude a été menée pour savoir quelles sont les personnes qui s’opposent au port du masque, au vaccin, à la limitation de la vie sociale… Elle a révélé que ce sont des gens qui souffrent d’une espèce de sentiment d’abandon, ils ont l’impression d'être oubliés, négligés”, rapporte Audrey Mikaëlian. S’opère donc un rejet des élites, dont la science fait partie.

“Que la croyance occupe une place si importante, chez les citoyens, lorsqu’il est question de science relève aussi d’un problème de formation”, avance quant à elle l’ancienne chercheuse au CNRS, Jacqueline Feldman. Notamment en ce qui concerne l’esprit critique et la question de la confiance. “Avant, on apprenait la rhétorique au lycée : c’est-à-dire qu’on apprenait la façon de convaincre les autres, que ce soit de manière honnête ou non”, rappelle-t-elle. Une formation qui permettait “d’apprendre à se méfier, et de chercher à savoir pourquoi on croit”.

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Les dessous de la recherche révélés au grand public

Si la crise du Covid-19 a amplifié la méfiance envers la science, c’est qu’elle a offert au grand public une vision de ce monde jusqu’alors cachée. “On est habitué à ce que la science produise des réponses”, entame la journaliste scientifique. Or, avant d’amener des réponses, elle se pose beaucoup de questions. “C’est, par définition, le travail même de la recherche”, poursuit-elle.

Des études sont menées dans le monde entier, elles amènent à des controverses, à des débats et ensuite, seulement, à un consensus. Toute cette partie se fait habituellement loin des projecteurs. N’est rendu public que le résultat final. Mais “pour la première fois, la recherche se fait presque en direct”, souligne Audrey Mikaëlian. Résultat, les citoyens découvrent - parfois avec inquiétude - les tâtonnements concernant les traitements, les vaccins... des étapes qui se font, d’ordinaire, dans l’ombre.

À cela s’ajoute également un problème de communication de la part du gouvernement, estime la réalisatrice et journaliste scientifique. Les dirigeants “mélangent en permanence la parole politique et la parole scientifique. C’est une très mauvaise stratégie car ça décrédibilise les deux”, regrette-t-elle.

Rendre les scientifiques plus abordables

Puisque cette méfiance envers la science a des causes profondes, des changements profonds pourraient être nécessaires pour inverser la tendance. À commencer par l’éducation. Pas forcément sur les connaissances en elles-mêmes, mais “surtout sur l’esprit critique et l’argumentaire”, avance la physicienne et sociologue Jacqueline Feldman. Les changements doivent aussi intervenir, plus largement, sur la société, pour que “les gens aient l’impression d’être moins négligés, moins oubliés, pas seulement par la science, mais par tout le système”, analyse de son côté Audrey Mikaëlian.

Des solutions existent aussi à court terme. Comme celle de former les scientifiques à la prise de parole médiatique. “Ça leur permet de sortir un peu de leur tour d’ivoire et d’arriver à faire passer leurs messages”, commente la journaliste, qui organise occasionnellement ce genre de formations, “parce qu’ils ne se rendent pas forcément compte qu’ils ont vraiment un très haut niveau de savoir”. Une certaine responsabilité revient également aux médias eux-mêmes, qui “sont l’intermédiaire entre les scientifiques et le grand public”, analyse Jacqueline Feldman, “ils doivent donc être vigilants”.

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