"Changer de sexe en mairie", "immigrationniste" : pourquoi Emmanuel Macron est accusé de draguer l'extrême droite

Les propos tenus par Emmanuel Macron mardi face à des électeurs ont surpris plusieurs observateurs, qui notent une main tendue du président à l'extrême droite.

La dernière sortie d'Emmanuel Macron a largement fait réagir, notamment du côté des associations LGBT. (Photo Christophe Ena / POOL / AFP)
La dernière sortie d'Emmanuel Macron a largement fait réagir, notamment du côté des associations LGBT. (Photo Christophe Ena / POOL / AFP)

Programme immigrationniste", "choses ubuesques" sur le changement de genre à l’état civil… Emmanuel Macron a étonné, mardi, lors d'un échange avec des journalistes puis avec des électeurs, en tenant ces propos sur le programme de "l'extrême gauche".

À LIRE AUSSI>> LFI est-il un parti d'extrême gauche comme le qualifie Emmanuel Macron ?

Car les termes employés, s'ils sont une première dans la bouche du président, sont empruntés au vocabulaire du Rassemblement national et plus globalement au vocabulaire d'extrême droite pour critiquer les propositions émanant des différents programmes de gauche ces dernières années.

L'an dernier, l'utilisation du terme 'décivilisation' par le président de la République à l'issue des émeutes suivant la mort de Nahel avait profondément marqué les esprits, le terme étant un marqueur de la droite voire de l'extrême droite depuis plusieurs années, qui préfère parfois le terme d''ensauvagement'.

À LIRE AUSSI>> D'où vient la notion de "décivilisation", évoquée par Emmanuel Macron ?

Le terme "immgrationniste", utilisé par le chef de l'État pour qualifier le programme du Nouveau Front Populaire dans un échange avec les journalistes, renvoie au courant politique favorable à l'immigration.

"Le terme 'immigrationniste' est central dans le discours du RN et de R !, plutôt émergent à LR, et est désormais validé par le Président supposément centriste de la République", a jugé le doctorant et enseignant à Sciences-Po, spécialiste de la droite, Emilien Houard-Vial, dans les colonnes de Libération.

Un néologisme directement emprunté à l'argumentaire du Rassemblement national lors de la campagne de la présidentielle 2017 pour faire face à la candidature de Jean-Luc Mélenchon, et plus globalement propre aux milieux d'extrême droite

Comme le rappelle Le Nouvel Obs, le terme apparait dans les années 90, dans une sorte de lexique interne à l’usage des cadres du parti. La direction du FN recommandait alors de parler, à propos des "milieux pro-immigrationnistes", de "parti de l’étranger".

Le 10 avril 2017, à treize jours du premier tour et alors que Jean-Luc Mélenchon est donné en progression constante dans les sondages, ouvrant la possibilité à sa qualification au second tour, Marine Le Pen est interrogée par Le Figaro sur la manière d'arrêter la progression de Jean-Luc Mélenchon dans les sondages. La candidate du RN avait alors répondu au Talk du Figaro: "On rappelle juste aux Français ce qu'il veut mettre en place", avant de qualifier le candidat d'"immigrationniste absolu", qui souhaite "ouvrir les frontières et régulariser l'intégralité des clandestins". "Il est pour l'immigration, il a toujours été pour une immigration massive, et donc en cela nous sommes profondément encore une fois divergents", a insisté Marine Le Pen. Des propos réitérés trois jours plus tard sur le plateau des 4 Vérités sur France 2, mais aussi 5 ans plus tard pour la campagne présidentielle suivante, toujours à l'adresse de Jean-Luc Mélenchon.

Mais Marine Le Pen n'est pas la seule à utiliser ce terme, fréquent dans la bouche des milieux proches de l'extrême droite en France. À plusieurs reprises durant la dernière législature, des députés RN l'ont utilisé à l'Assemblée pour qualifier ses adversaires politiques de gauche, comme la députée sortante Edwige Diaz, qui dénonçait une "extrême gauche aveuglée par son idéologie immigrationniste".

Toujours à l'extrême droite, le terme d'immigrationnisme est aussi utilisé par Éric Zemmour, qui accusait France Inter de faire "de la propagande anti-française, immigrationniste", à l'antenne de la radio publique, en février 2022.

Les personnalités gravitant autour de l'extrême droite sont aussi familières de ce terme, de l'essayiste franco-québecois Mathieu Bock-Côté, intervenant régulier sur CNews au directeur de la rédaction de Frontières (Ex-Livre Noir) qui employait ce terme pour qualifier le journaliste Jean-Michel Aphatie.

Le terme "immigrationniste" avait également été employé par plusieurs cadres du RN dont son porte-parole Julien Odoul pour dénoncer la nomination de l'éphémère ministre de l'Éducation Pap NDiaye en mai 2022.

En reprenant le terme "immigrationniste" pour critiquer l'alliance de gauche, Emmanuel Macron fait donc sienne une des critiques du RN envers la gauche, souscrivant à l'idée qu'il s'adresse à des électeurs potentiels du RN ou de Reconquête.

L'autre terme qui suscite la colère et l'indignation a été capté lors d'un échange entre Emmanuel Macron et des électeurs, mardi 18 juin. Alors qu'il développe les mesures qu'il qualifie d'"ubuesque" dans le programme de "l'extrême gauche", Emmanuel Macron évoque la possibilité de "changer de sexe en mairie".

Une phrase qui a fait bondir de nombreux militants, notamment contre la transphobie, qui accusent le président de surfer sur la rhétorique anti-trans, en augmentation ces derniers mois.

D'autant que l'Emmanuel Macron en campagne en 2022 plaidait auprès de Têtu pour une simplification du changement de genre : "Les personnes qui s’engagent dans un processus de transition doivent être respectées dans leur choix et leur vie ne doit pas être rendue plus complexe par des procédures administratives si elles sont inutiles", plaidait-il, alors qu'aujourd'hui selon le site service-public.fr, pour changer d’indication du sexe sur vos actes d’état civil, il n’est pas nécessaire d’avoir suivi un traitement médical ou d’avoir été opéré.

Alors que l'Emmanuel Macron de 2024 contredit l'Emmanuel Macron de 2022, plusieurs observateurs y voient une main tendue aux électeurs d'extrême droite sur fond de mouvement anti-trans de plus en plus présent.

En mai dernier plus de 2 500 personnes se sont rassemblées à Paris et 10 000 partout en France, selon le ministre de l’intérieur, pour lutter contre "l’offensive transphobe" en cours contre les droits des personnes trans.

Dans leur viseur, la cible mise sur la communauté trans par les partis d'extrême droite et des maisons d’édition. Pêle-mêle : la proposition de loi des sénateurs du parti Les Républicains contre les mineurs trans, la sortie d’un livre, Transmania, promu par l’ensemble de l’extrême droite politique et jugé haineux.

"Les personnes qui sont dans des procédures de transition, c'est très difficile personnellement et médicalement, on ne joue pas avec ça. Les personnes qui le font souffrent dans leur chair et dans leur corps, on ne peut pas les mettre comme ça à la vindicte populaire. Je suis très en colère de cette phrase, ce n'est pas responsable de la part d'un président de la République", a notamment fustigé l'ex-députée Sandrine Rousseau sur Sud Radio.

À LIRE AUSSI >> Transmania : plainte de SOS Homophobie, accusation de censure... pourquoi ce livre fait polémique

Dans une tribune publiée sur Politis et appelant à une mobilisation, les auteurs dénonçaient un projet de loi déposé au Sénat par LR proposant "d’interdire la transition médicale et sociale aux mineurs, de renforcer le contrôle psychiatrique sur les enfants trans et de punir par des peines de prison allant jusqu’à deux ans les médecins qui accompagnent les jeunes trans. Un projet de loi similaire a été déposé par le Rassemblement national à l’Assemblée". Des initiatives législatives qui semblent donc reprises par le président dans sa stratégie électorale en vue des législatives des 30 juin et 7 juillet prochains.