D'où vient la notion de "décivilisation", évoquée par Emmanuel Macron ?

Photo d'illlustration  (Photo by THIBAUD MORITZ/POOL/AFP via Getty Images)
Photo d'illlustration (Photo by THIBAUD MORITZ/POOL/AFP via Getty Images)

Selon plusieurs médias dont Le Parisien, le chef de l'État constate qu'"il y a une forme de mouvement de décivilisation", en écho à la mort de trois policiers, aux agressions contre les maires ou le personnel médical de ces derniers jours.

"Il faut travailler en profondeur pour contrer ce processus de décivilisation". En conseil des ministres le 24 mai, Emmanuel Macron a évoqué le climat de violences mis en avant ces derniers jours contre des élus, mais aussi le personnel médical ou la mort de policiers, rapporte Le Parisien et BFMTV notamment.

Emmanuel Macron a appelé ses ministres à "être intraitable face à des violences jamais justifiables dans une société, quelles que soient les causes". Selon le chef de l'État, cité par des participants à la réunion, "depuis maintenant un certain temps et dans l’ensemble des pays, il y a une forme de mouvement de décivilisation". L'utilisation de ce mot interroge, d'autant qu'il est connoté politiquement.

Différentes définitions de la "décivilisation"

"Décivilisation", c'est tout d'abord le titre d'un livre de Renaud Camus, théoricien du concept de "grand remplacement" cher à une partie de l'extrême droite. "Ce livre est une attaque en règle contre une forme de démocratisation de la culture. Dans son livre Renaud Camus attaquait notamment le fait que la culture ne soit plus héréditaire. Il s'attaque aussi au système éducatif, qui selon lui, a partir du moment où l'éducation est "nationale," n'instruit plus mais nivelle pas le bas", nous éclaire Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l'extrême droite.

Il y a une autre définition du terme, celle du sociologue allemand Norbert Elias et d'autres sociologues qui ont prolongé ses travaux, qui peut davantage correspondre à l'utilisation qu'en a eu Emmanuel Macron, et au contexte auquel le chef de l'État fait référence.

Le retour de violence, la montée des incivilités

Le concept de décivilisation est défini par le sociologue dans l'un de ses principaux ouvrages : "La civilisation des mœurs" (1939) écrit juste avant la guerre et dans lequel il analyse le retour de la violence dans la société allemande des années 30, par opposition au concept de civilisation, qui est décrit comme une évolution de société vers une plus grande forme de civilité, de pacification des moeurs, en somme la production historique d'un type de conduite, faite d’autocontrainte, d'autodiscipline, de contrôle des pulsions, de refoulement de la violence.

A contrario donc, la décivilisation selon Norbert Elias renvoie donc vers le reflux des comportements civilisés, le relâchement du contrôle des pulsions, le retour de la violence notamment, et donc la montée des incivilités, l'accroissement de la délinquance, les nouvelles formes de violences, dont celle contre soi-même comme la drogue.

Macron semble se référer à la définition d'Elias

En évoquant la mort des trois policiers causée par un conducteur roulant à contre-sens, en excès de vitesse, fortement alcoolisé et sous l'emprise de la drogue, la mort d'une infirmière poignardée mortellement sur son lieu de travail par un homme décrit comme étant "paranoïaque et schizophrène" par le procureur, ou encore les agressions d'élus dont le maire de Saint-Brevin en a été la victime la plus médiatisée, l'utilisation du terme "décivilisation" par le le chef de l'État semble davantage renvoyer à la définition de Norbert Elias.

Emmanuel Macron n'est pas le seul responsable politique à utiliser ce terme, déjà présent dans le débat public depuis quelques mois. Outre le chef de l'État, le maire de Cannes David Lisnard (LR), également président de l'Association des maires de France répète à plusieurs reprises depuis septembre 2022 que la décivilisation est à l'oeuvre en France.

Un terme largement repris à droite

En septembre 2022, il évoquait "un problème de décivilisation", chez les plus jeunes pour évoquer l'insécurité sur BFMTV, en écho à l'agression d'une octogénaire à Cannes par deux jeunes. Il signait à cette occation une tribune dans Le Figaro intitulée "Peut-on arrêter la décivilisation?".

Un terme repris récemment pour commenter les coups reçus par le petit-neveu de Brigitte Macron.

Décivilisation, c'est aussi le mot choisi par le chef de file de la droite au Sénat, Bruno Retailleau pour évoquer les violences observées lors de la manifestation du 1er mai à Paris, ou encore pour commenter la survenue de faits divers à Nantes en septembre 2022. Le sénateur avait alors estimé que "la France est en train de s'ensauvager avec un phénomène de décivilisation".

Plus récemment, le terme a été utilisé par Gabrielle Cluzel, journaliste du site d'extrême droite "Boulevard Voltaire", dans un article où elle liste les viols 8 personnes âgées en près d'un an, "Y a-t-il plus flagrant signe de décivilisation que celui-là?", feint de s'interroger la journaliste.

Le terme décivilisation semble donc être un marqueur de la droite, qui est désormais repris par Emmanuel Macron en off devant ses ministres, et qui fait indirectement écho à un autre terme proche largement repris par la droite voire l'extrême droite, l'ensauvagement.

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