Attentat d'Arras: le gouvernement veut accélérer sur sa loi immigration quitte à risquer le 49.3
Une posture très optimiste. Trois jours après l'attaque au couteau qui a coûté la vie à un professeur dans un lycée d'Arras, la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a souhaité ce lundi que la loi immigration soit "votée définitivement" par le Parlement "avant la fin de l'année".
"Nous pouvons agir dans les deux mois qui viennent, je demande à chacun d'être responsable", a déclaré la présidente de l'Assemblée nationale sur France 2, estimant possible de trouver une "large majorité" pour voter le projet de loi.
Le profil de l'assaillant présumé d'Arras, une justification pour accélérer
Si la macroniste veut accélérer, c'est que ce texte porté par Gérald Darmanin vise notamment à "réduire le champ des protections" contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français (OQTF).
L'assaillant présumé d'Arras, Mohammed Mogouchkov, aurait dû être expulsé en février 2014, avec sa famille. Mais il avait finalement bénéficié d'un régime de protection. En l'état actuel du droit, une personne entrée sur le territoire avant ses 13 ans ne peut être expulsée.
De quoi donc pousser le gouvernement à vouloir aller très vite sur ce texte. La copie cherche à ménager la droite en facilitant les expulsions, tout en convainquant à gauche avec la régularisation des travailleurs sans-papiers déjà présents sur le territoire dans le secteur des métiers en tension.
"Impossible" d'adopter le texte "définitivement avant la fin de l'année"
Sur le papier, le calendrier semble extrêmement court. Le projet de loi immigration, qui suscite la méfiance au sein des LR et au sein même de la majorité présidentielle, arrivera au Sénat le 6 novembre prochain.
Jusqu'ici, il était question d'un examen à l'Assemblée nationale au début de l'année 2024. Il devrait désormais arriver dans l'hémicycle la semaine du 11 décembre, d'après des informations de BFMTV.com.
"On va trouver de l'espace pour en débattre avant les vacances de Noël. Mais je ne vois pas comment on adopte ce texte définitivement avant la fin de l'année. C'est impossible", reconnaît un bon connaisseur du dossier.
La procédure parlementaire "pas tranchée"
Et pour cause: une fois votée à l'Assemblée et au Sénat, le texte doit passer devant une commission mixte paritaire qui doit se mettre d'accord avant un second examen des deux chambres. Le tout alors que le Parlement sera suspendu du 26 décembre au 14 janvier pour cause de congés.
Mais le gouvernement a une autre possibilité: utiliser la procédure accélérée qui permet qu'un projet de loi ne fasse l'objet que d'une seule lecture à l'Assemblée et au Sénat avant d'être adopté.
"Pour l'instant, procédure accélérée ou procédure classique, personne ne peut le dire. Ce n'est pas tranché. Mais même avec ça, l'adoption définitive fin décembre, ça ne passe pas", explique cependant un conseiller ministériel.
Les sénateurs de droite jouent la carte du refus
Mais au-delà de la question de technique parlementaire, la question est au moins tout autant politique. Dans les tuyaux depuis plus d'un an, le projet de loi immigration suit un chemin chaotique. Déjà adopté par le Sénat en commission des lois qui lui a mis un sérieux tour de vis en mars dernier, le texte est depuis au point mort.
Si Gérald Darmanin n'a eu de cesse ces derniers jours de se montrer à l'écoute des sénateurs pour tenter d'aplanir les angles, plusieurs points coincent toujours. À commencer par l'article 3 sur la délivrance de titres de séjours pour les étrangers sans papiers dans les métiers en tension.
"Si cet article est dans la loi, on ne la votera pas", n'a eu de cesse de répéter dans plusieurs médias Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR, à la tête du principal groupe au Sénat.
Le risque d'un passage en force au Sénat "très maladroit"
Le président de la commission des Lois François-Noël Buffet (LR) dont l'avis est généralement suivi par ses collègues de droite, est sur la même ligne.
Mais l'exécutif dispose toujours de la possibilité de dégainer le vote bloqué qui permet de faire voter les sénateurs sur l'ensemble du texte en une seule fois. De quoi laisser présager d'un vote à l'issue positive. C'est avec cette cartouche que le gouvernement avait réussi à faire voter la réforme des retraites au palais du Luxembourg.
"Je leur déconseille de faire ça. Ce serait très maladroit et un très mauvais signal de procéder aux forceps sur ce genre de mesures", met en garde le sénateur LR François Bonhomme.
Sortir la régularisation des travailleurs sans-papiers de la loi
Autre possibilité qui sauverait la mise pour le gouvernement: sortir la régularisation des travailleurs sans papiers des métiers en tension pour la faire passer par décret et s'assurer d'un vote au Sénat sans (trop) de tensions.
"Le résultat serait à peu près le même mais aurait le gros avantage de décrisper la droite", traduit un député macroniste proche de Gérald Darmanin.
Si la manœuvre permettrait de passer l'étape du Sénat, elle serait loin de faciliter les choses à l'Assemblée nationale. L'aile gauche des députés macronistes a déjà prévenu: sans présence du volet régularisation des travailleurs sans papiers, elle ne votera pas ce texte. Pourtant, en l'absence de majorité absolue, l'exécutif ne peut pas se priver des voix de son propre camp.
"On voit mal une unité des parlementaires"
Du côté des députés LR, le constat n'est guère favorable. Certains, à l'instar du patron du groupe Olivier Marleix, ne veulent pas du tout voter ce projet de loi qu'ils jugent trop "laxiste". Sans les voix de la droite, le texte n'a pourtant aucune chance de passer.
"Quand Yaël Braun-Pivet dit qu'on peut avoir une large majorité pour ce texte, ça me semble vraiment être un vœu pieu. On voir mal une unité des parlementaires là-dessus", remarque un député de l'aile gauche de la majorité présidentielle.
"Le gros coût" politique d'un 49.3
Officiellement, le gouvernement cherche à convaincre très largement et n'envisage pas le recours au 49.3 pour faire adopter sans vote ce texte. Élisabeth Borne s'est ainsi dite "confiante" dans l'optique de "trouver une majorité" sur BFMTV le 8 octobre dernier.
"On sortira la calculette et voir qui vote. On ne va pas aller au vote si on voit qu'on va perdre. C'est une évidence, comme pour la réforme des retraites. Mais politiquement, ça aurait un gros coût", reconnaît cependant un député macroniste.
Les députés LR ont déjà brandi de leur côté la possibilité d'une motion de censure. De quoi donner quelques sueurs froides à la Première ministre si les oppositions se regroupaient contre elles. Elle n'avait échappé au renversement de son gouvernement lors de la réforme des retraites qu'à neuf petites voix près.