En Arménie, cet accord avec l’Azerbaïdjan provoque la colère de milliers de citoyens

ARMÉNIE - Restaurer la paix avec son voisin, au risque de créer le conflit dans son propre pays. C’est le dilemme qu’est en train de vivre l’Arménie, alors que 284 personnes ont été interpellées après une manifestation dimanche 26 mai. Une mobilisation qui a réuni des dizaines de milliers de participants à Erevan, la capitale, comme vous pouvez le voir dans notre vidéo en tête d’article. Ce lundi 27 mai, des centaines de manifestants sont encore descendus dans la rue à travers le pays.

La police arménienne a indiqué avoir interpellé ces manifestants car ils tentaient de bloquer des axes routiers de la capitale Erevan. « Au total, 284 citoyens ont été interpellés pour avoir refusé d’obéir aux injonctions légitimes de la police », a précisé le ministère arménien de l’Intérieur dans un communiqué ce lundi matin.

Cette mobilisation a été lancée pour protester contre la cession de terres à l’Azerbaïdjan et réclamer la démission du Premier ministre Nikol Pachinian.

Une étape clé vers la normalisation des relations

Alors que les deux pays ont des différends territoriaux depuis des décennies, le gouvernement arménien a accepté en avril de restituer à Bakou quatre villages frontaliers. Une étape clé vers la normalisation des relations. Depuis, l’Arménie est secouée par un mouvement de contestation emmené notamment par le charismatique archevêque Bagrat Galstanian de la région de Tavouch.

Le gouvernement arménien a accepté en avril de restituer à Bakou quatre villages frontaliers dans le cadre d’une étape clé vers la normalisation des relations. (Carte montrant les quatre villages restitués)
AFP Le gouvernement arménien a accepté en avril de restituer à Bakou quatre villages frontaliers dans le cadre d’une étape clé vers la normalisation des relations. (Carte montrant les quatre villages restitués)

Les villages, dont Erevan s’était emparée dans les années 90 et qui se situent justement dans la région de Tavouch, ont été restitués vendredi 24 mai. C’est en réaction que plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées sur la place de la République dimanche 26 mai dans la capitale arménienne.

« Notre peuple veut changer la réalité amère qui nous a été imposée », a clamé Bagrat Galstanian devant la foule, ajoutant que la fixation de la frontière instable avec l’Azerbaïdjan « ne doit se faire qu’après la signature d’un traité de paix » avec Bakou.

Un bout de territoire à l’importance stratégique

Une telle cession a en effet du mal à passer pour les Arméniens, surtout ceux qui ont vécu les deux guerres du Haut-Karabagh contre l’Azerbaïdjan (février 1988 à mai 1994, puis 27 septembre au 10 novembre 2020). « Nous demandons la démission immédiate de Nikol (Pachinian) », a déclaré à l’AFP l’un des manifestants, Artour Sargsian, 67 ans, qui a dit avoir participé aux deux conflits.

Les habitants arméniens des localités voisines affirment que cette mesure les coupe du reste du pays et accusent le Premier ministre Nikol Pachinian de céder des territoires sans rien obtenir en retour.

Ils craignent de tout perdre et contestent la légitimité de la carte utilisée pour expliquer le différend territorial. D’autant plus que ce bout de territoire cédé revêt une importance stratégique pour l’Arménie, pays enclavé, car il contrôle des tronçons d’une route vitale vers la Géorgie.

L’archevêque prêt à devenir Premier ministre

L’archevêque Bagrat Galstanian cherche à lancer une procédure de destitution contre Nikol Pachinian. Il a annoncé ce lundi qu’il renonçait à ses fonctions cléricales pour pouvoir se présenter au poste de Premier ministre, et a appelé à des élections parlementaires anticipées. Une chose qu’il ne pourra faire que s’il renonce à sa double nationalité canadienne, un processus qui peut prendre du temps. Il présente les manifestations qu’il a lancées comme une « campagne nationale de désobéissance ».

De son côté, Nikol Pachinian assure que cette décision de restitution vise à garantir la paix avec Bakou.

Dans une déclaration télévisée vendredi soir, le Premier ministre a assuré que la résolution des différends frontaliers avec l’Azerbaïdjan « est la seule garantie de l’existence même de la république arménienne dans sa frontière internationalement reconnue et légitime ».

Comme le souligne EuroNews, le Premier ministre a déclaré que l’Arménie devait rapidement définir la frontière avec l’Azerbaïdjan afin d’éviter une nouvelle série d’hostilités.

Les conséquences d’années de conflit

La situation actuelle résulte de plus de trente années de conflit. La première guerre entre les deux pays, qui a eu lieu dans les années 1990, a été remportée par l’Arménie, faisant plus de 30.000 morts.

En 2020, l’Azerbaïdjan a repris le contrôle d’une partie de la région à l’automne lors de la Seconde guerre du Haut-Karabakh. Ceci avant d’en prendre la totalité après une offensive éclair en septembre 2023, chassant les séparatistes arméniens qui la dirigeaient depuis trois décennies.

À ce moment-là, environ 120 000 personnes ont fui la région, dont la quasi-totalité de la population d’origine arménienne. En volonté d’apaisement, les autorités arméniennes ont donc décidé de céder quatre villages qu’ils avaient pris dans les années 90.

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