Alexandre Arcady : "Je n’imaginais pas que ce film sortirait dans un moment plus que trouble, plus que délicat, plus que difficile"

L’attaque du 7 octobre par le Hamas a ravivé les tensions entre israéliens et palestiniens. Cette violence, Alexandre Arcady, juif d’Alger exilé en France pendant la guerre, l’a redoutée toute sa vie. Dans "Le Petit Blond de la Casbah", en salles ce mercredi 15 novembre, il dépeint l’immeuble de son enfance, où se mêlent toutes les cultures et les religions, mais aussi la guerre d’Algérie, teintée d’antisémitisme. Pour Yahoo, il raconte ses premières années, les coulisses de son dernier long-métrage et revient sur sa carrière, dont les thématiques des films résonnent aujourd'hui d'une manière particulière.

"Le Petit Blond de la Casbah", c'est lui. Alexandre Arcady est né à Alger, en 1947. Il grandit dans une bâtisse singulière, auprès de son père, légionnaire d'origine hongroise, et de sa mère, juive d'Algérie. "Dans cette basse casbah d’Alger, j’étais le seul gamin blond aux yeux bleus. Nous avons eu la chance d’habiter un immeuble très particulier, tout en coursives, avec des balcons intérieurs…", décrit le réalisateur face aux caméras de Yahoo.

Dans cet immeuble, toutes les cultures se mêlent et cohabitent. Musiques traditionnelles, cuisine, fêtes, tout est partagé. "On allait passer la fin du ramadan chez l’un, Noël chez l’autre, la Pâque juive (Pessa'h ; ndlr) chez le troisième… Il y avait cet espèce de mélange, où les odeurs de cuisine aussi se mêlaient. Souvent, je me suis posé la question : comment se faisait-il que c’était aussi facile, ce vivre-ensemble ? Alors que la guerre était à la porte de l’immeuble, sous la fenêtre", se demande Alexandre Arcady.

"Quitter l'Algérie, pour mes parents, c’était vraiment la déchirure"

"Je disais : 'Attention, il y a un islam radical qui pointe son nez'"

En effet, la quiétude de son quotidien et la facilité à vivre ensemble, dans l'immeuble, vont connaître la guerre d'Algérie, comme il le raconte dans son film, "Le Petit Blond de la Casbah", en salles ce mercredi 15 novembre. Les manifestations et les émeutes effraient les proches du réalisateur, la synagogue d'Alger est saccagée. Un "signal très dur" qui pousse la famille Arcady vers l'exil. "Mon père a pris la décision de partir. Si je réfléchis, j’étais excité d’aller voir Paris. Mais pour les parents, c’était vraiment la déchirure, surtout pour ma mère, qui avait vécu quarante ans de sa vie là-bas, et qui laissait, à la fois ses anciens au cimetière, et une partie de sa famille dans les autres quartiers", raconte Alexandre Arcady.

La sortie de son film et sa thématique trouvent un écho particulier dans l'actualité : les actes antisémites se multiplient depuis l'attaque terroriste d'Israël par le Hamas le 7 octobre, et les bombardements ordonnés par le gouvernement israélien qui ont suivi à Gaza, sur le territoire où vivent plus de 2 millions de palestiniens. La filmographie du réalisateur témoigne de l'évolution de la société. "Il y a environ trente ans, j’ai fait un film qui s’appelait "L'Union sacrée" (1989) (film dans lequel un policier juif et un agent musulman de la DGSE doivent collaborer pour démanteler un réseau de trafiquants de drogue, qui se révèlent être des islamistes radicalisés; ndlr). C’était déjà les prémices d’un premier signalement. Je disais 'Attention, il y a un islam radical qui pointe son nez, et la solidarité entre juifs et arabes est nécéssaire.' Plus tard, en faisant un film sur Ilan Halimi ("24 jours" sorti en fait écho à l'affaire du "gang des barbares", une vingtaine de personnes qui a enlevé, séquestré, torturé et tué Ilan Halimi en janvier 2006. Leur choix s'est porté sur lui du fait de son appartenance à la communauté juive. Il est censé, selon eux, être riche; ndlr), j’ai dit 'Là, ce n’est plus un signal, c’est quelque chose qu'il faut prendre au sérieux.' Malheureusement, j’ai eu raison", déplore-t-il.

Et d'ajouter : "Quand j’ai fait ce film qui s’appelait "Là-bas... mon pays" (1999) (il met en scène un journaliste de retour dans son Algérie natale sur fond de guerre civile, qui oppose le gouvernement algérien à divers groupes islamistes; ndlr), je ne pouvais pas rester étranger à la souffrance des Algériens face à une guerre terrible qu’ils vivaient contre cet Islam radical.

"Mon judaïsme, je l’ai toujours porté avec fierté"

Aujourd'hui, Alexandre Arcady affirme ne pas être inquiet pour lui, mais n'est pas sans craintes quant à l'avenir : "Mon judaïsme, je l’ai toujours porté avec fierté, sans en faire un étendard, naturellement. Je n’ai pas peur aujourd’hui en France, ce que je crains c’est plutôt pour mes enfants, mes petits-enfants… Là oui, voilà, je me dis 'Ah quand même, quand même, quel monde on leur offre si ça ne s’arrange pas ?' Je n’imaginais pas en réalisant ce film que la sortie coïnciderait avec un moment plus que trouble, plus que délicat, plus que difficile."

Pourtant, il garde espoir : "Il y a plus de choses qui unissent, aujourd’hui, les musulmans, les juifs et les catholiques que de choses qui nous déchirent. Je suis triste, inquiet, par rapport à ce qui se passe, mais pas désespéré. Ma grand-mère disait une chose, 'La bougie, je la vois au bout du tunnel.' Je pense que cette bougie doit être là, il ne faut pas qu’elle s'éteigne. Parce qu’on va la retrouver, on va retrouver le jour, j’en suis sûr."

"Banco, mais je ne fais pas "La Cage aux folles""

Pour réaliser "Le Petit Blond de la Casbah", Alexandre Arcady a pu compter sur une équipe d'acteurs très enthousiastes. Au casting, on retrouve Pascal Elbé, Marie Gillain, Michel Boujenah, Dany Brillant, mais aussi Smaïn et Franck Dubosc. Surprise dans la distribution : le réalisateur a choisi Jean Benguigui pour incarner... Sa grand-mère ! "Elle mesurait 1m50, elle pesait 150 kilos, elle ne se déplaçait pas beaucoup, elle avait sa place dans l’escalier de l’immeuble, et elle avait, dans son regard, quelque chose qui nous racontait toute l’histoire de ce peuple, de cette tribu… Un rôle très difficile à distribuer. Et tout d’un coup m’est revenu en mémoire que Jean Benguigui avait fait un spectacle. À un moment donné, il imitait sa mère et sa grand-mère. Je me suis dit 'Mais pourquoi pas'. Donc je l’ai appelé", rapporte le cinéaste. Pour son plus grand bonheur, l'acteur est partant : "Il m’a dit 'Écoute, c’est banco. Mais attention, je ne fais pas "La Cage aux folles".' Je lui ai dit 'Il n'est pas question de faire "La Cage aux folles", il est question de faire ma grand-mère.' Et il a incarné ce personnage avec une vérité, une drôlerie…"

"Pour jouer le rôle de ma grand-mère, j'ai pensé à Jean Benguigui"

Un pari gagnant, à en croire les retours des spectateurs lors des avant-premières : "Il y a quelqu’un dans une salle, je crois que c’était à Toulouse, qui m’a dit 'Monsieur Arcady, pourquoi avoir pris Jean Benguigui pour jouer votre grand-mère ? Mais avant de me répondre, sachez que ma grand-mère ressemble trait pour trait à Jean Benguigui.' Je lui ai dit 'Ben voilà, la réponse est dans la question.'" Pour vous faire votre propre avis sur la question, rendez-vous dans les salles obscures à partir du 15 novembre.

Interview : Alexandre Delpérier

Article : Maïlis Rey-Bethbeder

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