Thaïlande: accusé de lèse-majesté, l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra libéré sous caution

L'ancien Premier ministre thaïlandais, Thaksin Shinawatra, a bénéficié ce mardi d'une libération sous caution, dans une affaire de lèse-majesté à haute sensibilité politique dans un royaume habitué aux crises. Le milliardaire, âgé de 74 ans, a quitté un tribunal de Bangkok après le versement d'une caution de 500.000 bahts (soit 12.600 euros), ont indiqué les juges dans un communiqué.

Plus tôt dans la journée, le procureur général a précisé que le tribunal avait "accepté" l'affaire, sans autre précision sur le calendrier de la procédure.

Les accusations de lèse-majesté se basent sur des déclarations tenues en 2015 lors d'une interview en Corée du Sud, quelques mois après un putsch de l'armée, cette fois-ci contre sa soeur, Yingluck Shinawatra. Thaksin Shinawatra nie les accusations, a assuré ce mardi son avocat.

Ces poursuites rappellent de vieilles fractures en Thaïlande, entre le clan Shinawatra, soutenu par les milieux ruraux et pauvres du Nord et du Nord-Est, et l'establishment militaro-royaliste de Bangkok, attaché au statu quo. Elles ouvrent un nouveau chapitre d'incertitudes dans un royaume secoué par des crises cycliques, entre manifestations géantes parfois émaillées de violences, interventions de l'armée et décisions de justice contestées.

Une peine réduite de huit à un an de prison

L'ex-Premier ministre, chassé du pouvoir par un coup d'État en 2006, vivait alors en exil volontaire, pour échapper à des condamnations pour corruption et abus de pouvoir, qu'il estimait liées à son engagement contre les institutions. Il a fui le pays en 2008.

En Thaïlande, la loi sur la lèse-majesté, considérée comme l'une des plus sévères au monde de ce type, expose les accusés à des peines allant de trois à quinze ans d'emprisonnement. Ce texte a été détourné pour étouffer toute voix contestataire à des fins politiques, notamment dans la foulée des manifestations géantes de 2020 et 2021 réclamant une refonte en profondeur de la monarchie, ont dénoncé ces dernières années des groupes de défense des droits humains.

Depuis les contestations populaires, plus de 270 personnes ont été poursuivies pour lèse-majesté, selon un collectif d'avocats thaïlandais.

Thaksin Shinawatra est retourné en Thaïlande en août dernier, mais au prix d'un pacte secret avec ses anciens rivaux, selon des experts. À peine rentré, il a bénéficié d'une grâce royale qui a réduit sa peine de prison de huit à un an. Mais il n'aura passé en tout que six mois en détention, en très grande partie dans un hôpital de Bangkok en raison de son état de santé et de son âge.

Aujourd'hui, il n'a pas le droit de quitter la Thaïlande, sauf en cas d'accord de la justice, est-il précisé.

"Utilisé comme tampon"

En échange, le parti contrôlé par sa famille, Pheu Thai, aurait accepté de former une coalition gouvernementale avec des formations pro-armée, au risque de trahir certains de ses engagements pris durant la campagne.

Thaksin Shinawatra se situe "quelque part entre être un stratège politique, et être un otage", a estimé l'analyste politique Napon Jatusripitak. "Il continue d'être utilisé comme tampon par l'establishment contre les mouvements populaires pro-démocratiques venant de la base", a-t-il poursuivi.

Depuis sa remise en liberté, Thaksin Shinawatra multiplie les visites à travers le pays pour rencontrer ses soutiens.

Il reste une figure influente, bien que le parti Pheu Thai ait été dépassé par Move Forward, au programme plus radical, comme principal parti d'opposition. Move Forward est sous le coup de poursuites qui pourraient mener à sa dissolution, dans une autre affaire devant la Cour constitutionnelle, qui a mis le royaume sous pression.

Le mouvement pro-démocratie est accusé d'avoir promis durant la campagne des législatives de 2023 de vouloir réformer la loi de lèse-majesté, une action qui, elle aussi, tombe sous le coup de la loi de lèse-majesté.

Article original publié sur BFMTV.com