"Stigmatisant", "contre-productif".... Le redoublement des élèves largement décrié par les spécialistes

Le retour du redoublement? Gabriel Attal a récemment assuré vouloir "lever le tabou" du redoublement. Ce mardi 5 décembre, lors de l'annonce de son plan pour relever le niveau des élèves, le ministre de l'Intérieur a annoncé tout un panel de mesures pour créer un "choc des savoirs" et s'est notamment exprimé sur le redoublement.

Le locataire de la rue de Grenelle a ainsi déclaré qu'en cas de proposition de redoublement, le dernier mot reviendrait désormais aux professeurs et non plus aux familles. Gabriel Attal a également ajouté que "pour les élèves en très grande difficulté", le redoublement aurait "toujours lieu" et qu'il fallait mieux "faire sa primaire en six ans que rater au collège".

Mais depuis une dizaine d'années, le redoublement est en perte de vitesse. À titre de comparaison, en 2003, près de quatre élèves de 15 ans sur dix avaient redoublé au moins une fois durant leur scolarité, selon l'enquête Pisa de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui évalue le niveau des élèves.

Dans celle de 2009, la France affichait toujours le pourcentage le plus élevé de redoublants de tous les pays de l'OCDE. Mais dans l'enquête de 2022 diffusée ce mardi, ce ratio tombe à un élève sur dix.

"Grossier, simpliste et dépassé"

C'est un fait: le redoublement est devenu rare. En maternelle, il est interdit. En élémentaire, il concerne 0,4% à 2% des élèves, selon les données de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance. Mêmes proportions au collège: 0,8% en sixième, 0,5% en cinquième, 0,4% en quatrième et 1,9% en troisième.

"Le redoublement est très très exceptionnel", observe pour BFMTV.com Sylvie Amici, présidente de l'Association des psychologues et de psychologie dans l'Éducation nationale. "Il est demandé en cas de situation particulière, notamment quand un élève a été beaucoup absent, notamment pour raisons de santé, parce qu'il a été hospitalisé ou dans certaines situations de décrochage scolaire."

Un redoublement qui fait l'unanimité contre lui. Car les spécialistes du sujet s'accordent pour dire qu'il n'est pas efficace. "Il y a bien sûr des cas particuliers où pour un élève, ça peut marcher. Mais c'est marginal", considère pour BFMTV.com Jean-Jacques Paul, professeur émérite en sciences économiques à l'Institut de recherche sur l'éducation de l'université de Bourgogne.

"Recommencer ce qui n'a pas marché une première fois ne fonctionne pas. Face à l'échec scolaire, le redoublement n'est pas une solution. C'est même grossier, simpliste et dépassé."

"Je suis étonné qu'on remette ça au goût du jour."

Une absence d'efficacité même quand il s'agit des fondamentaux, comme les mathématiques, qui ne sont pas acquis. "Le redoublement n'a jamais fait ses preuves", abonde pour BFMTV.com la mathématicienne Mélanie Guenais, vice-présidente de la Société mathématique de France et coordinatrice du Collectif maths et sciences.

Benoît Galand, docteur en psychologie et professeur en sciences de l'éducation à l'Université catholique de Louvain qui a étudié les effets du redoublement, détaille les mécanismes à l'œuvre à moyen terme.

"Un élève redoublant va revoir les notions qui n'étaient pas comprises", explique-t-il à BFMTV.com. "Il est possible qu'il progresse sur celles-ci. Mais le redoublement ne va pas l'aider à redémarrer l'année suivante. Les problèmes vont persister. C'est un constat."

Par rapport à des élèves qui rencontreraient les même difficultés mais qui seraient passés dans la classe supérieure, "quand on compare leur niveau, les redoublants n'ont pas progressé".

"C'est même contre-productif: leur niveau est inférieur."

"Les élèves le vivent comme une punition"

Sans compter les autres effets délétères du redoublement. C'est ce que dénonce le Centre national d'étude des systèmes scolaires (Cnesco) qui estime que si "au mieux" le redoublement n'a pas d'effet, "il s'avère dans bien des cas nocif pour la réussite scolaire des élèves" et "le développement de leur estime de soi". Ce que confirme à BFMTV.com Laurent Kaufmann, principal de collège et secrétaire fédéral du Sgen-CFDT. "Les élèves le vivent très mal, c'est pour eux une forme de punition."

Ce qu'a également remarqué Jean-Jacques Paul, auteur d'un rapport sur l'impact du redoublement comme moyen de traiter les difficultés scolaires publié par le haut conseil de l'évaluation de l'école. "Non seulement ils n'ont pas rattrapé le niveau de leurs camarades, y compris de ceux qui n'avaient pas de meilleurs résultats au départ, mais leur carrière scolaire est fortement compromise dans un système qui fonctionne 'à la norme d'âge'", concluait le rapport.

L'OCDE émet également des réserves sur les bénéfices redoublement. Lors de la conférence de presse de présentation de la dernière l'enquête Pisa, Éric Charbonnier, analyste éducation, le jugeait "souvent stigmatisant", mais aussi "injuste", "avec des critères différents d'un établissement à l'autre".

La mathématicienne Mélanie Guenais met en garde contre un autre facteur à prendre en compte: la différence de traitement entre élèves issus de milieux favorisés ou défavorisés. "On oriente d'autant plus pas défaut vers le redoublement un élève issu d'un milieu défavorisé. C'est un facteur aggravant des inégalités sociales." Jean-Jacques Paul va même plus loin.

"Un redoublement, c'est un handicap que les élèves se traînent, notamment au moment des choix d'orientation. C'est un frein avec de vraies conséquences psychologiques."

"Le problème, c'est l'échec précoce"

Pour le chercheur Benoît Galand, la solution passe d'abord pas un dépistage en amont et plus fin des difficultés scolaires, "dès que les élèves commencent à perdre les pédales". Et prône des approches pédagogiques collaboratives et coopératives - comme le tutorat entre élèves - mais aussi des groupes de niveau - évoqués par Gabriel Attal - modulés selon les besoins et limités à certaines disciplines, voire à certaines notions.

Une analyse que partage Marie Duru-Bellat, sociologue de l'éducation et professeure émérite à Sciences Po Paris. "Les pays dont les systèmes scolaires sont les plus efficaces ne pratiquent pas le redoublement, ça devrait nous faire réfléchir", pointe-t-elle pour BFMTV.com.

"Il n'y a pas de tabou autour du redoublement. Le problème, c'est l'échec précoce. C'est dès l'apprentissage de la lecture qu'il faut accompgner les enfants et dès que la difficulté se présente, pas un an après. Mais pour cela, il faut de l'innovation pédagogique et des moyens", plaide cette spécialiste des questions liées à l'enseignement.

"Là où le ministre a raison, c'est qu'il faut faire quelque chose. Mais ressortir les vieilles recettes qui ne fonctionnent pas, c'est démagogique et expéditif."

Article original publié sur BFMTV.com