UFC 296: Shavkat Rakhmonov, le monstre craint de tous qui n'a jamais vu les juges

Sur ce masque impassible qu'il semble arborer en toutes circonstances, il n'y a que ça qui le trahit. Un sourire, soudain, éclairant un visage d'ordinaire dénué d'émotions. Un des rares moments où Shavkat Rakhmonov a lâché prise. Invité en mars dernier par RMC Sport à répondre à la question de savoir s'il taperait les noms des combattants qu'on lui décline, le Kazakh rétorque par l'affirmative sans une once d'hésitation. Kamaru Usman. Leon Edwards. Khamzat Chimaev. Islam Makhachev.

Les noms défilent jusqu'à celui de Francis Ngannou où là, dans un éclat de rire, il doit bien se rendre à l'évidence: "Non, non, non." Plein d'aplomb certes mais pas téméraire. Si elle ne possède pas une puissance équivalente à celle du "Predator", la force impénétrable venue des steppes d'Asie centrale inspire pourtant la même crainte chez les welters (-77kg) de l'UFC. Parce que Rakhmonov s'érige comme un monstre silencieux. Avec un unique objectif en tête une fois dans la cage: finir son adversaire.

"Ce qui rend le Kazakhstan différent, c'est son âme"

Les chiffres donnent le vertige. 17 combats. 17 victoires. 17 finitions. Depuis qu'il a embrassé une carrière dans le MMA, Shavkat Rakhmonov a terminé tous ses affrontements avant la limite. Froidement. Les juges? Jamais vus. Le "Nomad" – comme on se plaît à le surnommer – voyage d'adversaire en adversaire avec systématiquement le même dénouement. Un style offensif autant qu'un crédo faisant écho à ses racines kazakhes. Né à Chourtchi en Ouzbékistan d'une union entre un père kazakh de la tribu Altynbay et d'une mère issue de la tribu Konyrat, il a été élevé au sein du clan Altynbai des Jüz Junior, une alliance de nomades kazakhs. Avec le devoir d'honorer un héritage ancestral et intangible.

"Ce qui rend le Kazakhstan différent des autres pays, c'est son âme, expose le combattant de 29 ans, habitué à porter un tymak, chapeau traditionnel de son pays en peau de loup. Les gens y sont très sympathiques, accueillants. Les hommes y sont très courageux et téméraires. Je ne veux pas trop me vanter au sujet de mes ancêtres mais il étaient tout sauf ordinaires. C'étaient des nomades. Ils allaient d'un endroit à l'autre. Les Kazaks ont toujours été de valeureux guerriers et ont toujours aimé combattre. On se souvient d'eux pour ça, on est fiers d'eux."

À seize ans, la famille déménage à Karagandy, au Kazakhstan, sous l'impulsion du paternel, modeste entrepreneur local. Et si Shavkat œuvre momentanément comme chargeur de camion dans les entrepôts, c'est le combat qui l'anime. Au point d'en faire une priorité existentielle à l'instar des Daghestanais Khabib Nurmagomedov et Islam Makhachev. "Nous étions des enfants très actifs, nous ne restions jamais à la maison. Mes frères aînés me faisaient combattre. Ils me demandaient si je voulais affronter tel ou tel enfant. Et je ne refusais jamais, relate au sujet de son adolescence celui qui a été naturalisé kazakh en 2017 et dont la sœur Sora Rakhmonova s'est aussi lancée dans le MMA. Je voulais battre tout le monde, excepté ceux qui étaient plus vieux que moi. J'ai tout de suite beaucoup aimé."

Et la découverte prend peu à peu le sens d'une vocation professionnelle: "Je me souviens d'une fois où j'allais au marché. Et sur un étalage, il y avait un DVD d'arts martiaux mixtes de l'UFC et du PRIDE. Fedor Emelianenko (ex-champion du monde des poids lourds au PRIDE, ndlr) était la grande star de l'époque. J'ai aussi beaucoup aimé regarder Mirko Cro Cop (ex-champion du monde de kickboxing et combattant MMA, légendes des sports de combat, ndlr). J'ai réalisé que les hommes les plus forts combattaient en MMA, j'ai ressenti ça en grandissant. Je voulais appartenir à l'élite des athlètes."

La même hype que Chimaev

Avant de causer l'effroi au sein de la plus prestigieuse des organisations de MMA au monde, "Nomad" s'est forgé scrupuleusement selon une ligne directrice immuable. En avançant sur ses adversaires pour faire pleuvoir les coups. Le visage comme figé, sans éprouver la moindre émotion. Sur les circuits amateurs, il rafle les titres de champion d'Asie et du monde au World Mixed Martial Arts Association (WMMAA). Après ses débuts comme professionnel chez les welters en 2014, l'ascension se poursuit au Kazakhstan Mixed Martial Arts Federation (KMMAF) avec la ceinture de champion.

Puis au M1-Global, célèbre ligue russe de MMA au sein de laquelle Khabib et Alexander Volkov sont notamment passés, où Rakhmonov finit également auréolé de la couronne sur la tête. C'est donc logiquement que l'UFC frappe à sa porte en 2020, faisant de lui le premier combattant kazakh de l'histoire de l'organisation. Et son baptême du feu, lors de l'UFC 254 avec en combat principal Khabib face à Justin Gaethje, donne le ton. Une soumission par guillotine au chevronné Alex Pereira. Sur la carte de Gane-Volkov en 2021, le Brésilien Michel Prazeres – huit succès de suite à l'époque et jamais soumis dans sa carrière – subit le même sort.

Son coup de pied retourné magistral infligé au prospect guyanais Carlston Harris avant de le terminer en ground and pound et sa nouvelle guillotine exécutée à Neil Magny – premier adversaire du top 10 chez les -77kg – nourrissent sa hype. Jusqu'à sa dernière victoire acquise lors de l'UFC 285 qui mettait en scène Jon Jones et Ciryl Gane, à l'aide d'un étranglement débout contre le cogneur Geoff Neal au terme d'une guerre totale et sanglante élue combat de la soirée. Cinq victoires. Cinq soumissions.

De quoi ériger l'actuel challenger numéro 5 comme l'un des épouvantails toutes catégories confondues au même titre que le loup tchétchène Khamzat Chimaev, lui aussi invaincu en carrière et infiniment redouté. "C'est un véritable phénomène. Il est très complet, avec un physique hors-norme pour les -77kg, appuie Antoine Simon, commentateur RMC Sport et véritable bible vivante du MMA dans l'Hexagone. Il est créatif, peut aussi bien vous soumettre que vous mettre KO (9 soumissions, 8 KO dans sa carrière, ndlr). Rakhmonov est longiligne, puissant, avec une lutte phénoménale. Dès qu'il voit une ouverture de soumission, il y va. C'est un vrai problème dans sa catégorie."

Golovkin, l'idole à imiter

La prochaine étape se nomme Stephen "Wonderboy" Thompson (12-6-1), Américain classé sixième au rang des challengers, à l'occasion du bouillant UFC 296. Un nouveau succès et une nouvelle finition viendraient asseoir davantage son crédit dans une division où ses concurrents ne se bousculent pas pour le défier (Gilbert Burns, Colvy Covington, Belal Muhammad). "Je suis prêt pour un combat pour le titre", a encore récemment martelé Shavkat Rakhmonov, qui ne brigue rien d'autre que la ceinture détenue par Leon Edwards. Un objectif autant qu'une nécessité pour assouvir son autre rêve. Celui d'imiter Gennadiy Golovkin. Idole absolue au Kazakhstan, le boxeur a participé au rayonnement de son pays sur la scène internationale avec sa série de victoires et ses titres glanés chez les moyens.

"Golovkin est un grand athlète. Il est la fierté du Kazakhstan, assure le 'Nomad', empreint d'une profonde déférence. Nous avons emprunté des chemins différents, même si similaires sur certains aspects. Nos origines sont quelque chose que nous avons en commun." Reste que "GGG" a déjà tracé son destin dans le noble art. Celui de Shakvat Rakhmonov s'écrit actuellement dans l'octogone et ne fait peut-être que commencer: "Je me suis fait un nom par mes propres moyens au Kazakhstan, j'ai travaillé dur pour cela. C'est une bénédiction de pouvoir montrer notre drapeau au monde entier." Et la ceinture de champion autour de la taille serait l'occasion de prouver que les monstres ne figurent pas que dans les contes. Ils peuvent, aussi, avoir leur place dans les livres d'histoire.

Article original publié sur RMC Sport