NBA: pourquoi Wembanyama n’arrête pas de perdre avec les Spurs (et ce n’est pas vraiment de sa faute)

NBA: pourquoi Wembanyama n’arrête pas de perdre avec les Spurs (et ce n’est pas vraiment de sa faute)

Une douce euphorie s’est emparée des fans de basket français en cette matinée de novembre. À leur réveil ce jour-là, les amoureux de NBA qui n’ont pas eu la force de rester debout en pleine nuit pour suivre le match des San Antonio Spurs découvrent ébahis la ligne de statistiques hallucinante de Victor Wembanyama: 38 points, 10 rebonds, 2 passes, 2 contres… et la victoire en prime contre les Phoenix Suns de Kevin Durant, candidats déclarés au titre.

Mais le retour à la réalité s’est avéré brutal. Depuis ce 3 novembre, soirée d’ivresse et sommet émotionnel d’un début de saison scruté par toute la planète basket, Victor Wembanyama n’a plus regoûté à la victoire. Battus par les Atlanta Hawks dans la nuit de jeudi à vendredi (137-135), l’intérieur français et les Spurs ont enchaîné une 13e défaite consécutive en un mois, égalant au passage la deuxième pire série de défaites de l’histoire de la franchise.

Avec un bilan de trois victoires pour 15 défaites, les Spurs sont bons derniers de la Conférence Ouest et présentent le deuxième pire bilan de toute la ligue. 28e attaque de NBA (sur 30 équipes), 27e défense, des gifles à gogo (aucune franchise n’avait perdu autant de matchs de plus de 30 points sur leurs 11 premières rencontres depuis 1990)... San Antonio n’y arrive pas. "Si Victor ne joue pas à San Antonio, pas une seule seconde je ne regarde cette équipe car c'est une équipe dramatique”, résumait Stephen Brun sur RMC il y a une dizaine de jours, quand la franchise texane n’en était "qu’à" sept défaites de suite.

Mieux que LeBron James

Au milieu ce marasme, Wembanayama parvient tout de même à tirer son épingle du jeu. Après seulement 18 matchs dans la plus prestigieuse ligue de basket au monde, le MVP du dernier championnat de France est déjà le meilleur marqueur (19,3 points par match), meilleur rebondeur (9,7) meilleur contreur (2,7) et meilleur intercepteur (1,3) de son équipe. D’un point de vue purement statistique, il est loin devant tous les autres rookies (débutants en NBA) de sa cuvée. Seul Chet Holmgren (Oklahoma City Thunder) semble en mesure de tenir le rythme.

L’ancien joueur de Boulogne-Levallois a même fait un meilleur départ sur les parquets américains qu’un certain LeBron James. Lors de ses 18 premiers matchs en 2003-2004, le "King" avait inscrit 17,6 points de moyenne. À l’époque, le futur quadruple champion NBA (2012, 2013, 2016, 2020) était notamment descendu sous la barre des 10 points à trois reprises. Victor Wembanyama, lui, fait pour l’instant preuve d’un peu plus de régularité dans le scoring, avec, sur le même échantillon, un seul match sous les 10 points (8 points le 15 novembre contre le Thunder).

Ça, c’est pour le bilan statistique en attaque. Mais depuis le début de son aventure américaine, Wembanyama brille aussi de l’autre côté du terrain. Si sa présence ne se traduit pas encore sur la défense collective des Spurs, la grande carcasse de l’intérieur tricolore fait déjà beaucoup d’ombre dans les raquettes. Grâce à ses quatre blocks face à Atlanta dans la nuit de jeudi à vendredi, il est désormais le meilleur contreur de toute la NBA, à égalité avec Anthony Davis (Los Angeles Lakers) et Brook Lopez (Milwaukee Bucks). Et son apport ne se limite pas à l’aspect purement statistique. Son activité en défense, son intelligence dans le placement, sa mobilité et bien évidemment sa taille (2,22 sans les chaussures) gênent considérablement les attaquants adverses. On ne compte d'ailleurs plus le nombre de joueurs contraints de changer la trajectoire de leur shoot à cause du géant français.

"Il joue dur. Et il ne considère pas ça comme acquis, a confié cette semaine Nikola Jokic, double MVP de saison régulière (2021, 2022) et champion NBA en titre, après l’avoir affronté pour la première fois de sa carrière. Il défend sur tout le monde. Il va changer le jeu, c’est certain. À 19 ans, il est déjà sur cette voie. Donc, asseyez-vous et profitez du spectacle", a conclu le pivot serbe dans une sorte d’adoubement. "Je ne vois personne comme lui en NBA, avait de son côté salué le double champion NBA Kevin Durant après avoir dû rendre les armes face aux Spurs dans cette fameuse rencontre du 3 novembre. Il est unique. Il va créer sa propre histoire."

Une équipe en totale reconstruction... qui vise plutôt les dernières places

D’un point de vue individuel, les premières semaines de Wembanyama ont donc déjà convaincu les plus grands joueurs de la ligue. Mais alors comment expliquer que le Français ne parvienne pas à emmener les Spurs dans son sillage? La réponse est plutôt simple et se trouve dans le principe même de la draft NBA. Chaque année, cette draft permet aux franchises les plus en difficulté sur la saison écoulée de sélectionner les meilleurs espoirs de la planète. Drafté en première position en juin dernier, devenant au passage le premier Français à recevoir un tel honneur, "Wemby" a débarqué dans ce qui était (déjà) l’une des pires équipes de la ligue (22 victoires pour 60 défaites en 2022-2023, 28e équipe sur 30). C’est d’ailleurs lors de la saison dernière que les Spurs ont connu la pire série de défaites de leur histoire, un long tunnel de 16 matchs sans victoire entre fin janvier et début mars 2023.

Le Français savait donc qu’il mettait les pieds dans une équipe en totale reconstruction... et dont l’ossature n’a absolument pas changé. À l’intersaison, aucun joueur de renom n’est venu rejoindre les Spurs pour solidifier un effectif à la peine en 2022-2023. Aux côtés du Français, les leaders s’appellent Devin Vassell, Keldon Johnson, Jeremy Sochan, Zach Collins ou encore Tre Jones, un quintet qui présente une moyenne d’âge d’un peu plus de 23 ans. Surtout, bien que talentueux, aucun de ces joueurs ne présente - pour l’instant - le profil d’une star en devenir, un lieutenant capable d’épauler Wembanayma dans sa conquête de l’Amérique.

Concrètement, les Spurs sont en fait là où on les attendait, c’est-à-dire plus proches d’une bonne position à la draft 2024 (et donc d'une place en queue de peloton) que d’une qualification en playoffs. "La draft est évidemment l’objectif, rappelait d’ailleurs Fred Weis avant le début de la saison régulière. C’est pour ça qu’ils n’ont pas mis beaucoup d’argent sur une star pour l’entourer. Ils auraient pu. S’ils prennent un bon choix de draft l’année prochaine, tu te dis que ça peut être une équipe d’avenir qui pourra être létale d’ici quatre ou cinq ans… ou même avant."

Poser les bases d'un projet à long terme

Gregg Popovich, légende du coaching aux cinq titres NBA sur le banc des Spurs (1999, 2003, 2005, 2007 et 2014), est pour l’instant en plein tâtonnement. À l’image de son utilisation de Sochan, reconverti à un poste qui n’est pas le sien (meneur), Popovich et son staff semblent pour l’instant en pleine expérimentation et ont un objectif clair en tête: laisser tout ce petit monde jouer sans pression du résultat, observer ceux qui sortent du lot et poser les bases d’un projet à plus long terme. "On apprend quand on gagne. On apprend quand on perd. Que nous gagnions ou perdions, nous allons regarder la vidéo et relever les erreurs de l’équipe et de chaque joueur individuellement", confiait début novembre le coach des Spurs. Une manière de faire comprendre que, pour cette première année du projet, il sera plus attentif à la manière qu’au résultat.

C’est d’ailleurs le sens de l’histoire: à chaque fois qu’une superstar en devenir a débarqué en NBA, la machine collective a mis du temps à se mettre en route. Jamais ou presque un rookie n’a réussi à transfigurer à lui seul le visage de sa franchise. LeBron James, N°1 de la draft 2003, a dû patienter jusqu’à sa troisième saison en NBA pour se qualifier en playoffs (top 8 de la conférence). Luka Doncic, de son côté, a attendu sa deuxième saison pour découvrir les phases finales. Kevin Durant? Sa troisième. Devin Booker? Sa sixième.

L’immense engouement autour de lui depuis son adolescence, confirmé lors d’une saison 2022-2023 sensationnelle sous les couleurs de Boulogne-Levallois, a sans doute fait oublier l’essentiel: aussi monstrueux soit-il, Wembanyama ne peut pas à lui seul faire gagner une équipe, surtout dans une ligue aussi compétitive. Le Français, sûr de ses forces, connaît la marche à suivre pour valider les espoirs démesurés placés en lui depuis tant d’années. "J'apprends tous les jours, je suis déjà meilleur qu'au début de saison, a clamé le principal intéressé ces derniers jours. On sait où l'on va, on est entre de bonnes mains. J'apprends tous les jours. Je suis déjà meilleur qu'au début de saison. Ce qui est satisfaisant, c'est que sur tous les secteurs que nous ciblons avec les entraîneurs, je me suis amélioré. On ne parle pas et on ne travaille pas pour rien. C'est ma saison rookie, je suis encore jeune, c'est sûrement le pire Victor que vous verrez." Ça ne peut qu’augurer un futur radieux.

Article original publié sur RMC Sport