Défaillances dans les fédérations sportives: quel bilan et quelles suites après les auditions à l'Assemblée nationale?

Défaillances dans les fédérations sportives: quel bilan et quelles suites après les auditions à l'Assemblée nationale?

À son lancement début juillet, la commission d'enquête sur les défaillances des fédérations sportives initiée par l’Assemblée nationale était très décriée par le mouvement sportif. Cinq mois après, l’ambiance n’a pas beaucoup changé. On peut globalement dire que cette commission a bousculé le sport français et la forte médiatisation des auditions a justement permis de mettre en avant certaines défaillances.

"Il y a beaucoup de choses à retenir. Le but de notre commission d’enquête était d’identifier les dysfonctionnements au sein du mouvement sportif. Oui, on se rend compte qu’il y en a, c’était évident", confirme Sabrina Sebaihi, la rapporteure de cette commission, à RMC Sport.

"Après, il y a des choses qui vont bien dans le mouvement sportif, il ne faut pas non plus dire que tout est à jeter."

Le témoignage émouvant d’Angélique Cauchy

Parmi les défaillances particulièrement mises en évidence lors de cette commission parlementaire, on retiendra surtout la gestion des violences sexuelles et des affaires de racisme au sein du sport tricolore. Si une sortie d’Arnaud Rouger - directeur général de la LFP - sur la lutte contre l’homophobie a déclenché un tollé, d’autres témoignages ont marqué les esprits. Notamment celui d’Angélique Cauchy.

Ancienne espoir du tennis français, cette femme désormais âge de 36 ans a ému les députés par le récit poignant des viols perpétrés contre elle par son entraîneur pendant l’adolescence. Après l’avoir écoutée, la présidente de la commission parlementaire, Béatrice Bellamy, avait conclu la séance: "La petite fille que vous étiez avait droit à une autre enfance."

Les auditions très médiatiques de Le Graët et Laporte

Lui-même inquiété pour des faits de sexisme, Noël Le Graët a été entendu par les membres de la commission parlementaire au début du mois de novembre, peu de temps après Didier Deschamps mais avant Lilian Thuram. Très attendue, la prise de parole de l’ancien président de la Fédération française de football a finalement débouché sur un moment assez frustrant.

Visiblement briefé par ses conseillers, le dirigeant breton qui fêtera ses 82 ans fin décembre a refusé de répondre aux questions sur ses déboires judiciaires mais a nié tout comportement inapproprié avec les femmes. Pour le reste, l’ancien patron du football tricolore a souvent botté en touche et renvoyé vers d’autres membres de la "3F" et notamment vers son patron juridique Jean Lapeyre, dont l’audition a parfois agacé ses interlocuteurs par ses non-réponses ou ses réponses floues.

Lui aussi très attendu par les membres de la commission, surtout pour les affaires financières, Bernard Laporte a fait du Bernard Laporte. L’ex-président de la Fédération française de rugby s’est montré très offensif lorsqu’il a fallu parler de la lutte contre les discriminations dans son sport en prônant une "tolérance zéro" contre le racisme et lors de violences sexuelles avérées.

Le nouveau directeur du rugby du club de Montpellier s’est toutefois montré plus réservé quand il a été question de sa condamnation en première instance pour corruption et trafic d’influence. Idem quand on lui a demandé de s’exprimer sur l’affaire Bastien Chalureau puisque l’ancien sélectionneur du XV de France s’est rangé derrière la présomption d’innocence pour ne pas trop développer le sujet. Le tout agrémenté, encore, de quelques approximations.

Des approximations qui dérangent et nourrissent les regrets

Pendant plusieurs mois, force est de constater que cette commission d’enquête a aussi fait peur à des interlocuteurs. Certains auditionnés ont préparé pendant plusieurs heures leur passage aux allures d’interrogatoire devant les députés. Des dirigeants de fédération ont même réuni leurs cercles rapprochés pour organiser des répétitions avant de passer à la moulinette des parlementaires. La méconnaissance du sport initiale de la rapporteure, de la présidente ou de certains membres de la commission ont aussi parfois donné lieu à des questions presque naïves, qui ont pu déstabiliser certains dirigeants.

Plusieurs présidents ou dirigeants du sport français ont marqué les députés par leurs approximations lors de leur passage devant la commission. "On peut dire que Gilles Moretton (tennis), André Giraud (athlétisme) ou Nadir Allouache (kickboxing) n’ont pas été les meilleurs devant nous", explique à RMC Sport un député de la commission. Avant de compléter: "Ils m’ont même impressionné par leurs approximations des dossiers présentés."

Du foot au rugby, en passant par le tennis, aucune fédération n’a été épargnée. "Certains dirigeants n’ont pas compris qu’il faut évoluer", a commenté une autre députée après ces nombreuses auditions. Voilà un vrai regret des élus qui ont aussi déploré de ne pas avoir réussi à entendre Karim Benzema. Espéré, et malgré un travail pour le faire venir, l’attaquant d’Al-Ittihad n’a pas été auditionné. Même si son témoignage ne revêtait pas un caractère capital pour le futur rapport d'enquête.

De possibles signalements auprès de la justice pour parjure

Après les auditions des nombreuses personnalités issues du mouvement sportif français, les députés vont donc entamer la publication d’un rapport qui sera remis le 19 décembre. Mais avant même la fin des travaux, les membres de la commission pourraient signaler plusieurs dirigeants pour "parjure" ce qui peut théoriquement déboucher sur des peines allant jusqu'à cinq ans de prison et 75.000 euros d'amende.

C’est notamment le cas pour Gilles Moretton. L’actuel président de la Fédération française de tennis a enchaîné les affirmations, parfois erronées, sur certaines affaires au sein de son instance. Auditionnés "sous serment", les dirigeants de fédérations risquent donc de voir la justice se pencher sur leurs cas. Afin d'éviter un possible signalement, plusieurs personnes auditionnées ont fait parvenir des correctifs écrits aux députés.

Cette possibilité existe aussi pour Philippe Diallo. Les propos tenus par le successeur de Noël Le Graët fin octobre ont fait l’objet d’une observation minutieuse de la part des parlementaires qui pourraient bien les signaler s’ils sont trop éloignés de la vérité des faits.

Quelles suites après cette commission d’enquête?

Le travail acharné des députés pour tenter de mettre en lumière des dysfonctionnements au sein du sport français n’aura servi à rien si cela ne débouche pas sur des actions concrètes et de vraies évolutions. On pense notamment à de gros changements pour la plateforme Signal-sports lancée par le ministère des Sports et dont les failles ont été clairement mises en évidence.

Les 90 auditions devant les députés vont d’abord entraîner la publication d’un rapport qui sera remis à l’Assemblée nationale le 19 décembre. La présidente et la rapporteure de la commission émettront alors des recommandations. Soit elles trouvent un accord et elles rédigent ensemble leurs recommandations, ce qui devrait être le cas, soit elles ne trouvent pas d’accord et elles émettent leurs recommandations de manière séparée. Ensuite, les membres de la commission devront approuver ce rapport avant sa publication.

Les députés espèrent un travail législatif à la suite de cette commission, ce qui n’est pas garanti malgré les importantes défaillances identifiées au sein du sport tricolore. "Il y a déjà des textes dans les tuyaux sur lesquels les députés de la commission vont travailler", fait même savoir l’entourage de la commission. Le contrôle d'honorabilité des éducateurs, point faible mis en avant par les auditions, devrait ainsi subir des modifications dans les prochains mois.

Enfin, le ministère des Sports n’est pas fermé sur différentes questions évoquées lors de ce long moment d’échange devant les représentants du peuple français. La ministre Amélie Oudéa-Castéra a regardé, selon ses propos, 96% des auditions.

"Il ne faut plus une seule brèche dans ce système", a même martelé Amélie Oudéa-Castéra devant la commission. Tout paraît bien parti pour véritablement engager de profonds changements dans le sport tricolore.

Article original publié sur RMC Sport