Salon de l'agriculture: pourquoi l'invitation des Soulèvements de la Terre au débat avec Macron a posé problème
En à peine quelques heures, l'opération de communication de l'Élysée d'organiser un grand débat pour le premier jour du Salon de l'agriculture avec "l'ensemble des acteurs du monde agricole" a viré au couac ce jeudi 22 février.
Dans une volonté de brasser "large", l'Élysée avait annoncé la veille aux journalistes que plusieurs invitations avaient été lancées à des associations écologistes, telles que Réseau Action Climat ou encore Générations futures.
Mais c'est celle dite envoyée aux Soulèvements de la Terre (dont le gouvernement avait décidé la dissolution avant d'être retoqué par le Conseil d'État) qui a mis le feu aux poudres.
"Ce qui se passe est incompréhensible"
"C'est un bras d'honneur adressé aux agriculteurs", s'est ainsi insurgé Céline Imart, agricultrice, porte-parole d'Intercéréales et numéro 2 sur la liste des Républicains aux élections européennes. "Ces gens sont des sauvages qui saccagent nos terres et attaquent les policiers. Leur place est en prison, pas à notre salon", a-t-elle ajouté avec véhémence.
Dans la foulée de la publication par la presse de cette invitation, la FNSEA est montée au créneau en annonçant son refus de participer.
"Je n'irai pas à ce grand débat [...] Je trouve que ce qui se passe est incompréhensible, le cynisme qui prévaut à ce que j'observe est intolérable pour les gens que je représente", a répété son président, Arnaud Rousseau sur notre antenne.
Les Jeunes Agriculteurs ont annoncé réfléchir eux aussi à répondre défavorablement à l'invitation.
L'opposition s'est aussitôt engouffrée dans la brèche. "Décidément, Macron n'incarne rien d'autre que la confusion, le mépris et le désordre", a réagi la cheffe de file de l'extrême droite Marine Le Pen. Le président des Républicains Éric Ciotti a lui dénoncé un "'en même temps' macroniste [...] insupportable".
Rétropédalage
L'Élysée n'a pas tardé à faire marche arrière. Dès hier soir, il a annoncé que l'association n'était finalement plus conviée. Avant de finalement reconnaître une "erreur".
"Des contacts ont été pris avec des collectifs ayant par le passé perturbé le salon pour leur proposer, pour cette édition, une expression constructive dans le cadre de cet échange" a indiqué l'Élysée dans une mise au point publiée sur X ce vendredi matin
"Dans ce cadre, les 'Soulèvements de la Terre' n’ont été ni conviés ni contactés. Il s’agit d’une erreur faite lors de l’entretien avec la presse en amont de l’événement", a déclaré l'Élysée.
Le nom de ces invités a, en effet, été sorti lors un brief presse sur la visite d'Emmanuel Macron au Salon et auquel BFMTV.com a assisté. Les journalistes y avaient obtenu les noms de plusieurs invités. Celui des Soulèvements de la Terre avait suscité pendant cet entretien plusieurs interrogations et demandes de confirmation de la part des journalistes.
Une invitation "inopportune"
Selon le ministre de l'Agriculture, cette invitation était "inopportune". "Je comprends parfaitement l'incompréhension, pour ne pas dire la colère, qui s'est exprimée à l'idée que certains avaient exprimé qu'on invite les Soulèvements de la Terre", a déclaré Marc Fesneau ce vendredi matin sur TF1.
"Leur mode d'expression, c'est le casque, le masque et le cocktail molotov", a-t-il tancé.
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin avait lui-même accusé le groupe d'"éco-terrorisme" après leur participation à l'organisation de la manifestation de Sainte-Soline samedi 25 mars 2023.
Sans succès
"Il n'est pas question de débattre avec eux", martèle le ministère de l'Agriculture à BFMTV.com. Ni au Salon, ni ailleurs. Une mise au point qui n'a pas convaincu Arnaud Rousseau.
Ce vendredi matin, le puissant syndicat a réitéré son refus de participer au grand débat arguant que "tout n'est pas possible. Avoir des convictions, c'est aussi les assumer pleinement".
"Ce mouvement que le gouvernement lui-même a tenté de dissoudre, aujourd'hui lance des cocktails molotov sur les gendarmes et détruit les biens des agriculteurs", a-t-il tancé en référence aux affrontements à Sainte-Soline.
Le souvenir brûlant de Sainte-Soline
"Les affaires agricoles ne concernent pas que les agriculteurs et la distribution", ont abondé en ce sens, Générations Futures, toujours invités au débat de samedi aux dernières nouvelles. "Si au Salon, on a un débat entre que des personnes qui sont d'accord, qu'est-ce que ça va être rasoir", paysanne, dont certains membres font aussi partie du mouvement.
À Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres, en mars dernier, ils ont occupé le terrain "pour stopper" la construction d'un réservoir d'eau géant destiné à l'irrigation agricole. Ils dénoncent la pression des "acteurs agro-industriels, dévastateurs et inadaptés" sur les ressources en eau et son partage, nuisant "à la biodiversité", "aux nappes phréatiques", "au détriment de solutions locales et paysannes".
Cette mobilisation avait donné lieu à des affrontements particulièrement violents entre les 3.200 membres des forces de l’ordre présents sur place pour empêcher le rassemblement, et les milliers de manifestants et activistes écologistes.
Les organisateurs des Soulèvements de la Terre avaient alors annoncé 200 blessés, dont 40 gravement, et deux dans un état critique. Du côté des policiers, le ministère avait compté 47 blessés.
Tandis que la Ligue des droits de l’Homme et de nombreux observateurs avaient par la suite accusé les forces de l’ordre d’"usage immodéré et indiscriminé de la force" sur les manifestants, et d’avoir entravé l’accès des secours aux blessés, le gouvernement, lui, avait commandé la dissolution du mouvement, déjà dans son viseur depuis des mois.
Une supercherie pour l'association
"Compte tenu l'enfumage du Grand Débat post gilets jaunes et de la Convention citoyenne pour le climat [...] Nous n'aurions pas pris part à cette opération de communication. Mais merci pour le spectacle!" se sont fendus les Soulèvements de la Terre sur X en guise de réponse à l'Élysée.
"Mais il est intéressant de noter que le gouvernement est toujours prompt à céder aux exigences du patron de la FNSEA [...] Nous continuerons à défendre les terres avec celles et ceux qui les cultivent", ajoutent-ils.
De nombreux agriculteurs "ne se sentent pas représentées par la FNSEA"
Le mouvement assure pourtant soutenir la colère des agriculteurs et ont précisé leurs positions dans une longue mise au point sur leur site.
Le métier d'agriculteur est devenu "quasiment impraticable, croulant sous la brutalité des dérèglements écologiques qui s'annoncent et sous des contraintes économiques, normatives, administratives et technologiques asphyxiantes", reconnaissent-ils.
"Nous ne pouvons que nous réjouir que la majorité des agriculteurs.rices (sic) bloquent le pays aujourd'hui. Qu'ils et elles soient représenté·es par la FNSEA et l'agrobusiness dans les instances de négociation avec le gouvernement est consternant, à l'heure où les cadres du syndicat majoritaire sont copieusement sifflé·es sur certains blocages", ont-ils également déclaré.
"De nombreuses personnes sur les barrages ne sont pas syndiquées et ne se sentent pas représentées par la FNSEA", peut-on également lire.
"Les affaire agricoles ne concernent pas que les agriculteurs et la distribution", ont abondé en ce sens, Générations Futures, toujours invités au débat de samedi aux dernières nouvelles. "Si au Salon, on a un débat entre que des personnes qui sont d'accord, qu'est-ce que ça va être rasoir", a déclaré leur porte-parole François Veillerette ce matin sur BFMTV.