Le Rwanda marque le 30e anniversaire du génocide des Tutsi

Murs de noms de victimes du génocide des Tutsi au mémorial Murambi de Nyamagabe, au Rwanda, le 12 mars 2024 (Guillem Sartorio)
Murs de noms de victimes du génocide des Tutsi au mémorial Murambi de Nyamagabe, au Rwanda, le 12 mars 2024 (Guillem Sartorio)

Les commémorations du 30e anniversaire du génocide des Tutsi ont commencé dimanche au Rwanda pour marquer les 100 jours d'horreur dont l'ombre plane toujours sur ce pays de l'Afrique des Grands Lacs.

Les commémorations officielles débutent le 7 avril – jour des premières tueries de ce qui deviendra le dernier génocide du XXe siècle, faisant 800.000 morts, majoritairement dans la minorité tutsi, mais aussi des Hutu modérés.

Le président Paul Kagame -- chef du Front patriotique rwandais (FPR) qui a renversé le régime génocidaire hutu en juillet 1994 et est depuis l'homme fort de ce pays de la région des Grands Lacs -- a allumé une flamme du souvenir au Mémorial de Gisozi, à Kigali.

Peu de temps auparavant, aux côtés notamment du président congolais Denis Sassou-Nguesso et du chef de l'Etat sud-africain Cyril Ramaphosa Paul Kagame s'est recueilli devant une gerbe de fleurs, en hommage aux victimes des massacres.

Il doit également prononcer un discours dans une arène de 10.000 places, où les Rwandais organiseront plus tard une veillée aux chandelles.

"Personne, personne, pas même l'Union africaine (UA), ne saurait se disculper de son inaction face à la chronique d'un génocide annoncé. Ayons le courage de le reconnaître, et de l'assumer", a déclaré lors des commémorations le président de la Commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat.

L'ancien président américain Bill Clinton, en poste à la Maison Blanche durant les massacres, le ministre français des Affaires étrangères Stéphane Séjourné et le secrétaire d'Etat à la Mer Hervé Berville, né au Rwanda, assistent également à la cérémonie.

A l'occasion de cet anniversaire, le président français Emmanuel Macron, qui avait déjà reconnu en 2021 les "responsabilités" de la France dans le génocide de 1994, a fait un pas supplémentaire, estimant que Paris, "qui aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains, n'en a pas eu la volonté", selon des propos rapportés par l'Elysée jeudi.

M. Macron s'exprimera dimanche "par une vidéo qui sera publiée sur les réseaux sociaux", avait précisé la présidence française.

- Carnages -

Au Rwanda, la musique ne sera pas autorisée pendant sept jours dans les lieux publics, ni à la radio. Evénements sportifs et films seront interdits de diffusion à la télévision, sauf s'ils sont liés aux commémorations appelées "Kwibuka 30", "Se souvenir" en kinyarwanda.

Les tueries du printemps 1994 ont été déclenchées au lendemain de l'attentat contre l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana, dans une frénésie de haine alimentée par une virulente propagande anti-Tutsi.

Trois mois durant, l'armée, les milices Interahamwe (bras armé du régime génocidaire hutu), mais aussi de simples citoyens massacreront -- avec fusils, machettes ou gourdins -- les Tutsi, appelés par leurs bourreaux "Inyenzi" ("cafards" en langue kinyarwanda), et des opposants hutu.

Le carnage prend fin lorsque la rébellion tutsi du FPR s'empare de Kigali le 4 juillet, déclenchant un exode de centaines de milliers de Hutu vers le Zaïre voisin (aujourd'hui République démocratique du Congo).

Trente ans plus tard, des charniers continuent d'être mis au jour.

La communauté internationale avait été vivement critiquée pour son inaction avant et durant le génocide.

Paris, qui entretenait des relations étroites avec le régime hutu quand le génocide a commencé, a longtemps été accusé de "complicité" par Kigali.

Après des décennies de tensions, allant jusqu'à une rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali entre 2006 et 2009, un rapprochement a été permis entre les deux pays à l'issue de la mise en place d'une commission par Emmanuel Macron qui a conclu en 2021 à des "responsabilités lourdes et accablantes" de la France, tout en écartant la complicité.

- Aveux des bourreaux -

Depuis 30 ans, le Rwanda mène un travail de réconciliation, avec notamment la création en 2002 de tribunaux communautaires, les "gacaca" où les victimes pouvaient entendre les "aveux" des bourreaux.

La justice a également joué un rôle majeur mais selon Kigali, des centaines de personnes suspectées d'avoir participé au génocide sont toujours en liberté, notamment dans les pays voisins, comme la République démocratique du Congo (RDC) et l'Ouganda.

Au total, 28 fugitifs ont été extradés depuis des pays étrangers, dont six depuis les États-Unis.

La France n'en a extradé aucun mais en a condamné une demi-douzaine.

Des organisations de défense des droits humains, dont Amnesty et Human Rights Watch, ont appelé à l'accélération des poursuites contre les responsables du génocide.

Le Haut-Commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Volker Türk, a de son côté exhorté "les États du monde entier à redoubler d'efforts pour traduire en justice tous les auteurs présumés encore en vie".

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