RFI "suspendue" par les autorités indiennes ? C'est faux

Sébastien Farcis, correspondant de longue date de plusieurs médias francophones en Inde, a été contraint de quitter le pays après le refus du renouvellement de son permis de travail par les autorités indiennes. Dans ce contexte, de nombreuses pages Facebook basées en Afrique de l'ouest prétendent que Radio France Internationale (RFI) a été "suspendue" en Inde, sur décision du gouvernement. Mais c'est faux : la radio est toujours accessible, ont confirmé un journaliste de l'AFP basé dans la  capitale New Delhi, le ministère indien des Affaires étrangères et le service presse de RFI. Cependant, les journalistes étrangers et indiens font face à la répression grandissante du pouvoir en place, limitant manifestement l'expression de la liberté de la presse, selon Reporters sans frontières (RSF).

Depuis le 22 juin 2024, le média français Radio France Internationale (RFI) est ciblé par des rumeurs, en particulier diffusées sur les réseaux sociaux d'Afrique francophone. La radio, dont le siège est basé à Issy-les-Moulineaux (région Île-de-France), est mondialement diffusée en français et en seize autres langues (lien archivé ici).

Elle aurait récemment été "suspendue" par les autorités indiennes, prétendent de nombreuses pages Facebook, principalement administrées depuis le Burkina Faso (1,2,3,4...)

"Si tu penses que tu as trop de problème (sic), faut penser à RFI qui vient d'être verrouillé (sic) et suspendue en Inde également", est-il par exemple avancé ici.

"RFI suspendue en Inde. Ses correspondants sont priés de quitter le pays dans un bref délais Merci aux autorités indiens (sic) la lutte continue", soutient un autre post sur X.

<span>Captures d'écran prises sur Facebook le 25 juin 2024 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP</span>
Captures d'écran prises sur Facebook le 25 juin 2024 / Croix rouge ajoutée par la rédaction de l'AFP

"On dirait que les pays de l’Alliance des États du Sahel (Mali, Burkina et Niger) ont été les précurseurs d’une prise de conscience globale de la nuisance des medias de propagande et de désinformation français. Ce n’est qu’un début!", estiment encore d'autres messages, faisant référence à la suspension de la radio dans ces trois pays d'Afrique de l'ouest à la suite des coups d'Etat qui ont porté à leur tête des régimes militaires.

Les auteurs de ces posts étayent leurs propos en évoquant le "retrait" du "permis de travail du correspondant de RFI, obligeant ce dernier à quitter le pays".

Sébastien Farcis, journaliste correspondant de RFI, Radio France ou encore Libération, installé en Inde depuis treize ans, a effectivement été contraint à quitter le pays après avoir reçu un refus de renouvellement de son permis de travail par le ministère indien de l'Intérieur. Ceci dans un contexte où la défiance des autorités indiennes à l'égard de la presse étrangère est manifeste, a expliqué à l'AFP le bureau Asie du sud-est de l'ONG Reporters sans frontières (RSF).

Cependant, RFI est toujours diffusée en Inde à ce jour, nous ont confirmé un journaliste de l'AFP basé dans la capitale New Delhi, le ministère indien des Affaires étrangères et le service presse de la radio.

RFI toujours "fonctionnelle" en Inde

Pour vérifier ces assertions, un journaliste de l'AFP basé au bureau de New Delhi a tenté d'écouter RFI le 26 juin, depuis son téléphone portable. Il a constaté que la radio était toujours accessible depuis la capitale indienne.

Le ministère indien des Affaires étrangères a également démenti auprès de l'AFP, le 25 juin, l'arrêt de la diffusion du média français. "RFI continue de fonctionner en Inde", a ainsi déclaré Vasudev Ravi, chargé des relations avec la presse auprès du ministère indien des Affaires étrangères.

En parallèle, le directeur de la communication du groupe France Médias Monde (dont RFI fait partie), Thomas Legrand-Hedel, a confirmé le 27 juin à l'AFP que "l'accès au site n'est pas empêché dans le pays", précisant que la radio "n'est pas diffusée en FM en Inde". Elle est simplement accessible "par les voies numériques", depuis son site internet ou encore son application mobile, qui sont toujours opérationnels dans le pays.

Les journalistes étrangers et indiens sous pression

Certaines publications actuellement relayées sur les réseaux sociaux évoquent également le retrait par l'Inde du "permis de travail du correspondant de RFI, obligeant ce dernier à quitter le pays".

Sur ce point, elles se basent sur le départ récent de Sébastien Farcis, journaliste de longue date pour plusieurs médias francophones dont RFI, Radio France, Libération ainsi que des radios publiques suisses et belges.

Dans un communiqué publié depuis Paris, le 20 juin dernier, il explique avoir été obligé de quitter l'Inde après le refus soudain du renouvellement de son permis de travail dans ce pays où il exerçait depuis 13 ans (lien archivé ici).

 

Marié à une ressortissante indienne, Sébastien Farcis a dit disposer du statut de résident permanent, qui permet de travailler et de vivre dans le pays mais nécessite un permis spécial pour ce qui est notamment des activités journalistiques.

"En 2021 – 2022, les autorités indiennes imposent un nouveau permis de travail obligatoire, délivré par le ministère de l'Intérieur. Je l’ai obtenu en 2022, puis j'ai fait une demande de renouvellement en août 2023, à laquelle je n'ai jamais eu de réponse", a-t-il ainsi expliqué à l'AFP le 25 juin.

"Le 7 mars 2024, juste avant les élections, j'ai reçu une réponse du ministère de l'Intérieur qui m’a refusé ce permis de travail sans aucune explication. J'ai demandé un appel administratif et une révision, eux aussi restés sans réponse. Sur les conseils du ministère des Affaires étrangères indien, j’ai formulé une nouvelle demande ; on me dit qu’elle est toujours en instruction", ajoute le journaliste.

De son côté, le ministère indien des Affaires étrangères a indiqué à notre rédaction, le 25 juin, que "la demande de permis de journaliste de M. [Sébastien] Farcis sur carte OCI (Overseas Citizenship of India) est actuellement en cours".

"En tout cas, j’ai reçu une interdiction de travail et c’est celle qui prévaut aujourd'hui. Je suis finalement rentré en France le 17 juin dernier, forcé et contraint, après avoir passé trois mois sans possibilité de travailler et alors que j’ai vécu treize ans en Inde", complète Sébastien Farcis, qui dénombre "au moins cinq correspondants étrangers (ayant le statut de résident permanent Overseas Citizen of India) (qui) ont été interdits de travailler comme journalistes en moins de deux ans".

"Il y a un climat de plus en plus ouvertement suspicieux envers la presse étrangère", note aussi le journaliste, spécifiant que "les médias indiens souffrent d’une répression beaucoup plus sévère encore. Le média Newsclick, qui n’est pas favorable au gouvernement, a par exemple fait l'objet d'une descente très sévère pour avoir reçu un financement de la Chine ; tout le média a été fermé et 50 journalistes ont été interrogés."

Ce n'est pas la première fois qu'un journaliste étranger, installé depuis de nombreuses années en Inde, se voit refuser le renouvellement de son permis de travail. En février 2024, la correspondante du média français La Croix avait été obligée de quitter le pays pour les mêmes raisons, après avoir passé plus de vingt ans sur place (lien archivé ici).

"Il y a eu aussi le cas d'Avani Dias, correspondante d’ABC (diffuseur australien, NDLR) qui a dû se résoudre à quitter l'Inde faute de visa, ce qui est une forme d'expulsion déguisée : en privant les journalistes de leur droit d'exercer on les oblige à quitter le pays, car en les privant de travail, on les prive de revenu", observe également Célia Mercier, responsable du bureau Asie du Sud de Reporters sans frontières (RSF), contactée par l'AFP le 25 juin (lien archivé ici).

"Pour les correspondants étrangers, ce qu'on a noté, ce sont les refus de permis de travail et un problème d'accès à plusieurs régions. Il n’y a aucune possibilité de se rendre au Cachemire par exemple. Il y a une stratégie des autorités qui vise à faire taire les voix indépendantes. En parallèle, les grands médias publics indiens ont été rachetés par des conglomérats dont les dirigeants sont proches du gouvernement", ajoute-t-elle.

 

Dans le classement sur la liberté de la presse, publié chaque année par RSF, l'Inde figure à la 159ème place sur 180 pays. "Pour une démocratie, c'est une place quand même inquiétante", note Célia Mercier.

L'ONG dénombre également cinq journalistes actuellement détenus en raison de leur travail de journalistes. "En prison sous le coup de loi antiterroristes, vous pouvez être détenu pendant 180 jours sans possibilité de libération sous caution et sans procès. Cette détention provisoire est elle-même la punition. Car les cours de justice, en général, relâche ces journalistes après qu'il aient passé un ou deux ans en prison", complète-t-elle.

<span>Capture d'écran prise sur le site de Reporters sans frontières (RSF) le 26 juin 2024</span>
Capture d'écran prise sur le site de Reporters sans frontières (RSF) le 26 juin 2024

En Inde, le 5 juin, le Premier ministre Narendra Modi a été contraint de former un gouvernement de coalition pour son troisième mandat au lendemain de sa victoire aux législatives qui, loin d'être écrasante, l'a vu perdre sa majorité absolue au Parlement.

La plupart des analystes et les sondages de sortie des urnes avaient prédit le triomphe de Narendra Modi, accusé par ses détracteurs d'instrumentaliser la justice avec l'emprisonnement de dirigeants de l'opposition et de bafouer notamment les droits des minorités religieuses, dont plus de 200 millions d'Indiens musulmans.